Goal a rencontré le Président du Stade de Reims Jean-Pierre Caillot. Membre du syndicat Première Ligue, le dirigeant champenois suit de près ce qui se passe autour du projet de réforme des Coupes d'Europe révélé récemment. Une réforme qui ne fait pas l'unanimité et à laquelle il s'oppose fermement dans l'intérêt du football français. Il nous explique sa posture et se positionne clairement en faveur de l'unité des clubs et des fédérations européennes afin d'enrayer la machine.
Ce projet de réforme fait beaucoup de bruit en ce moment. Quelle est votre position en tant que Président d’un club historique du football français et membre du syndicat Première Ligue ?
Jean-Pierre Caillot : Alors, Jean-Michel Aulas, qui ne semble pas hostile à cette réforme et avec lequel je dînais mardi, me disait qu’ils allaient peut-être partir sur une moyenne de clubs d’appartenance dans les coupes. Je lui ai répondu que ce serait sûrement plus simple de prendre les anciens finalistes afin de les mettre dans les poules. Auquel cas, ça défendrait un peu plus les intérêts du Stade de Reims. Très sérieusement, je pense que le football français doit être acteur de cette réforme. Il ne doit pas laisser les choses en l’état. Je pense même que les mecs qui ont présenté ces choses savent qu’ils vont trop loin. Du moins, je l’espère parce c’est fort de café tellement la manière dont tout cela est présenté est honteuse. Quelle est la stratégie à adopter ? Doit-on taper fort en se disant qu’on va amener les gens autour de la table ? Là, on part dans l'idée de donner ce que veulent certains gros clubs depuis plusieurs années en jouant dans une pseudo ligue fermée. C’est comme ça que les choses sont présentées et dans ce cas, ce serait pratiquement impossible pour un club français d’intégrer les poules dans la durée. Je me demande si c'est bien la démarche ou si c'est une énième fois un capitalisme complètement exacerbé, avec la volonté de supprimer de la carte football un certain nombre de clubs.
Il y aura tout de même a minima 124 clubs concernés, ce qui n'est pas rien.
Il ne faut pas être dupe. Seules les premières poules et la Champions League auront un intérêt, donc moi je pense que dans un premier temps il faut montrer les dents. C’est d’ailleurs ce que le Conseil de la Ligue a décidé mercredi en ayant un message commun avec la Fédération laissant entendre que le football français ne pouvait pas accepter cela pour diverses raisons. Ceci dit, on ne sera pas les Irréductibles gaulois. Il faudra que les autres Fédérations soient avec nous. Aujourd’hui, l’ECA a nommé le Paris Saint-Germain qui évidemment est plutôt pour cette réforme. Et j'ai le sentiment que juridiquement ils peuvent arriver à leurs fins, donc il ne faut pas qu’on aille sur le plan juridique. Il faut qu’on se positionne sur le plan football, car je pense que demain ce type de réforme tuera les vraies valeurs du football, le football domestique et le football national. Ça voudra dire que les droits télé nationaux n’auront plus du tout la même valeur, la qualité des équipes ne sera plus la même. Les équipes en Champions League enverront des équipes B, le produit sur lequel on vient d’obtenir un résultat magnifique sur les appels d’offre à venir, et sur lequel on a encore beaucoup à espérer sur les droits nationaux, sera totalement dévalorisé.
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Vous parlez d'une dévalorisation du produit en France, mais à l'international pensez-vous que ce soit viable ?
Je suis d'abord un Président passionné et je sais qu’une affiche entre le Bayern Munich et le Real Madrid intéresse le public, mais si ça devient récurrent, le produit international se dévalorisera aussi. D'ailleurs, je suis convaincu que les gens ont envie de voir des matches comme Nîmes-Montpellier. J’ai souvent pris des positions, parfois mal comprises vis-à-vis du Paris Saint-Germain, mais je suis aussi capable de reconnaître tout le bien que fait le PSG avec ses stars. Je regarde la présence des supporters quand ce type d’équipe vient jouer à Delaune. En revanche, je pense aussi que voir le PSG assuré de gagner le titre avant même que le championnat démarre fait perdre tout doucement la valeur ajoutée de ce qu’est le football. Pour moi, le football ce n’est pas un moyen comme les fonds de placement qui font un gagner un certain nombre d’argent. C’est quelque chose qui doit créer beaucoup de sentiment, beaucoup de réaction humaine. Le football est le seul sport où le petit peut battre le gros, où il y a autant d’incertitude. Quand vous regardez la Formule 1, les meilleures voitures sont devant. Quand vous regardez du tennis, les 4-5 meilleurs joueurs sont dans le dernier carré. Le rugby, à un moment donné, a essayé de le faire, mais on s’aperçoit que c’est la même chose à l’arrivée. Aujourd’hui, on arrive en France à s’en sortir parce qu’il y a un vrai suspense pour la deuxième place. Il y a un vrai suspense pour savoir qui descendra. Mais il n’y a plus de suspense pour le titre. Et si demain ce type de réforme se met en place, on va supprimer tout suspense, et je pense que les amoureux de football y perdront au bout du compte.
"Avant de parler de sanction, arrangeons-nous pour que ça ne se mette pas en place"
Bertrand Desplat a émis l’hypothèse de geler les droits télé des participants. Est-ce un positionnement qui vous semble cohérent ?
(Sourire) Bertrand, comme je le pense, imagine que les droits vont baisser, et par conséquent que la somme va baisser. Mais sincèrement, entreprendre 40 à 50 millions dans les domestiques, et aller chercher 5 ou 6 fois plus dans l’international, vous ne croyez pas que le Paris Saint-Germain ou ces clubs qui sont susceptibles d’être dans cette division s’en foutent un peu ? À mon avis, ce n’est pas avec cet argument qu’on va arriver à bloquer les choses. C’est plutôt un problème de fond. Et avant de parler de sanction, arrangeons-nous pour que tout ça ne se mette pas en place.
Vous avez parlé du positionnement de la FFF et de la Ligue. Pensez-vous vraiment que cette union sera assez forte pour faire face à l’ECA ou l’UEFA ? Ou est-ce déjà trop tard ?
J’ai l’impression qu’à partir du moment où ça a été dévoilé, il y avait déjà des choses très avancées. D’ailleurs, on parle d’un début d’appel d’offres et à partir du moment où on a lancé la machine, elle est difficile à enrayer. On voit comment la France a été entendue ces derniers temps. Il n’y a qu’à voir la dernière réforme de la Coupe d’Europe pour s’assurer qu’on ne faisait pas partie des nantis. Il y avait plutôt trois ou quatre nations qui nous passaient devant, donc aujourd’hui si seule la France a une réaction il est évident que rien ne s’arrêtera. Un certain nombre de clubs internationaux doivent faire entendre leur voix. D’ailleurs, on a une réunion très prochainement pour ça. Et si les Fédérations des principaux pays s’y opposent, ce qu’elles devraient faire, il est logique que ça calme un petit peu cette réforme.

Avec cette réforme, on peut partir du principe qu’un club comme le Stade de Reims n’aurait pratiquement aucune chance de se qualifier pour une Coupe d’Europe.
Déjà qu’on en n’a pas beaucoup...
C’est sûr, mais vous êtes quand même double finaliste de la Ligue des champions.
C’est vrai, mais on ne vit pas dans le passé non plus. C’était il y a 60 ans. Là, je me bats surtout dans l’esprit général, en faveur du football français. Ce n’est pas le Stade de Reims qui prétend être intégré dans une Coupe d’Europe de manière continue dans les années à venir. Mais là encore, on peut rêver. Qui aurait imaginé que Strasbourg, qui était en National il y a trois ans, serait en Coupe d’Europe l’année prochaine ? Tout ça ne sera plus possible, et je pense que ce serait regrettable. En revanche, je ne suis pas en train de me plaindre parce que je ne suis pas dans le bon wagon. C’est d’ailleurs la réflexion que je faisais à Melero qui représentait le Paris Saint-Germain, et à Jean-Michel Aulas, qui était plus nuancé. Je pense qu’il ne faut pas voir l’image de son club, il faut voir l’image du football, et notamment de son pays et des droits domestiques qui sont liés.
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Si cette réforme venait à passer, peut-on dire que ce serait la victoire du football business européen ?
Ça ne peut être que ça. Je pense qu’au final on va se couper d’une partie du public, et c’est là où j'ai l'impression qu’il n’y a pas de prise de conscience des gens qui sont dans ces réformes. Moi, je suis quelqu’un d’à peu près normal, qui a une entreprise, une vie sociale. Je discute avec des gens qui ne sont pas fans de football, et je me rends compte que ce sport a déjà une image péjorative via des salaires hors-norme. J’explique que les salariés du Stade de Reims, même s’ils sont mieux payés que des salariés lambda, développent une image, sont des artistes et font venir du monde dans un stade. Je me bats pour vulgariser le fait qu’ils ne volent pas leur argent, mais si on rentre dans ce type de système, j’ai bien peur qu’un certain nombre de gens se désintéressent du football en disant que c’est le monde du fric, des 'tous pourris'.
Une image existante et déjà grandissante.
En tout cas, ça ne va pas l’arranger, ça c’est sûr !
Vous réclamez clairement l’unité des Fédérations européennes. Avez-vous peur que cette unité n’ait pas lieu et que certaines Fédérations prennent totalement la position inverse ?
Ceux qui peuvent aller dans le sens inverse, et les gens qui ont pensé à la réforme l’avaient bien en tête, ce sont les petites nations. Elles se trouvent dans une position où elles pourraient se joindre demain à une table où elles ne sont pas invitées aujourd’hui. Il y a un vrai intérêt. Mais les grandes nations de football, selon moi, et je parle bien des Fédérations, n’ont pas un grand intérêt à aller vers cette réforme.
"Si Reims en est là aujourd'hui, ce n'est pas un hasard. On avait tout écrit"
On l’a évoqué très rapidement, mais les droits télé devraient exploser en 2020. En cas de qualification européenne la saison prochaine, est-ce que cela pourrait vous pousser à privilégier le championnat plutôt que la Ligue Europa ?
On entend souvent que des clubs avec des budgets moyens ont du mal à s’organiser pour être compétitifs sur deux fronts. Mais pour moi, ce sont des problèmes de riches. Dernièrement, je me suis posé des questions pour le budget d’un club qui irait en National, et plus récemment pour un club qui jouerait en Ligue 2. Je me pose constamment ce type de questions pour continuer à développer un club, et si à l’intersaison j’ai ces questions à me poser ça m’ira très bien. Le Stade de Reims était revenu en Ligue 1 33 ans après. On est quand même resté quatre ans dans ce championnat alors qu’on sait que ce n’est pas simple quand on est promu. Là, on est revenu encore, et dès notre promotion on a dit que notre ambition n’était pas de jouer le maintien à la 17e place, mais de manière plus confortable. On s’est donné les moyens d’y arriver, en continuant à suivre la feuille de route qu’on avait écrite et qui s’appelait 'Horizon 2020'. Et si on en est là aujourd’hui, ce n’est pas un hasard. Tout ce qui se passe a été écrit il y a cinq ou six ans. En clair, on estimait qu’il nous fallait 40 millions d’euros de budget. Ce qu’on a aujourd’hui. On pensait qu'il fallait une formation travaillant sur le recrutement de jeunes joueurs en allant chercher les meilleurs. C’est ce qu’on a mis en place avec le projet 'Pro 2'. On estimait aussi qu’on devait avoir une politique de recrutement différente. C’est ce qu’on a fait. Alors c’est facile de raconter le match quand on connaît le résultat, mais aujourd’hui tout ce qui nous arrive est en adéquation avec ce qu’on avait prévu.
Vous êtes donc un Président heureux ?
Je vis dans le bonheur depuis deux ans maintenant et je le revendique pleinement parce que pendant 14-15 ans, la vie de Président d’un club comme le Stade de Reims en pleine reconstruction n’a pas toujours été facile. Quand je suis arrivé dans le foot, pour mes premières interviews, on me demandait à combien j’estimais mon pourcentage de bonheur à la présidence, et je répondais que c’était 95% d’emmerdements pour 5% de bonheur. Maintenant, je peux dire que c’est 99% d’emmerdements pour 1% de bonheur. Mais ce petit pourcent est tellement fort qu’il mérite d’être vécu. Et je dis deux ans, mais il va falloir que je pense à revoir la proportion parce qu’entre la magnifique deuxième saison qu’on a réalisée en Ligue 2 et notre saison actuelle, pour un Président comme moi c’est extraordinaire, d’autant que dans le foot ça va très, très vite... Je lisais en début de saison que mon entraîneur était au hit-parade de ceux à pouvoir se faire virer le plus vite en Ligue 1. Quand j’ai nommé David Guion deux ans plus tôt, j’entendais qu’on avait manqué d’ambition, que le club était en train de mourir à petit feu. Et au final, ce sont les mêmes qui m'ont dit qu'avec 88 points on avait fait un truc extraordinaire et que c’était une pleine réussite d’avoir nommé cet entraîneur et d’avoir opté pour cette politique. Le football et sa perception est versatile et je dis souvent à mes collègues chef d’entreprise que c’est une entreprise comme les autres, mais avec un business plan qui est remis en question toutes les semaines.
«Horizon 2020» va bientôt arriver à échéance. Est-ce qu’on n’anticiperait pas plus loin maintenant ?
Bien sûr. Même si les choses ne sont pas aussi catégoriques et aussi écrites, on sait très bien ce que l’on veut faire de ce club dans la durée. Et je pense que c’est l'un de nos atouts. C’est pour ça d’ailleurs que cette réforme des compétitions européennes m’intéresse. Aujourd’hui, les résultats sont ce qu’ils sont (Reims est sixième de Ligue 1, à un point de Marseille, cinquième, NDLR), mais ce n’était pas l’objectif. L’objectif était d’établir le club entre la huitième et la quatorzième place sans avoir la pression permanente de ne pas savoir dans quelle division on allait être. On va assez vite dans tous les éléments qu’on s’est fixés et, à terme, si cette réforme ne se met pas en place, bien évidemment que notre objectif sera que le club puisse aspirer à jouer des Coupes d’Europe. Je ne parle pas de Champions League, mais je pense que c’est bien aussi pour nos supporters et le public qu’un club sain et sympathique comme le Stade de Reims porte les couleurs de la France en Europe.
Propos recueillis par Benjamin Quarez, à Reims.


