Karim Benzema Didier Deschamps GFXGetty

Le « Si on m'appelle, je viens » de Benzema : passion du jeu ou orgueil démesuré ?

C'est une petite bombe médiatique lâchée depuis la quiétude de Dubaï qui a secoué le football français ce jeudi. Dans un entretien fleuve accordé à L'Équipe, Karim Benzema, a entrouvert la porte à un retour en équipe de France pour la Coupe du Monde 2026. "Si on m'appelle, je viens", lance-t-il avec un aplomb déconcertant. Une déclaration d'amour au football, certes, mais aussi une formidable opération de communication pour l'amour du "je", tant la démarche paraît aussi culottée qu'improbable. Il y a chez lui cette capacité fascinante à brouiller les pistes, à écrire sa propre légende en marge des scénarios préétablis.

Alors qu'on le pensait définitivement rangé des joutes internationales après son départ en catimini du Qatar au petit matin, le Ballon d'Or 2022 se rappelle à notre bon souvenir. À bientôt 38 ans, il se dit prêt, "fit", et motivé par la seule compétition qui manque à son immense palmarès. Sur le papier, l'histoire est belle : le dernier grand défi d'un géant du jeu qui refuse de voir la lumière s'éteindre. Mais à y voir de plus près, cette sortie médiatique ressemble davantage à un coup de poker menteur qu'à une véritable main tendue, où la frontière entre la passion du "jeu" et la démesure du "je" n'a jamais été aussi floue.

  • Al Ittihad v Al Nassr - Saudi Pro LeagueGetty Images Sport

    Un coup de poker menteur ou un excès d'orgueil ?

    En se déclarant disponible sans préalable, Karim Benzema place très habilement la balle dans le camp de la Fédération et du staff tricolore. La manœuvre est limpide, presque trop visible : il se pose en recours providentiel, en victime potentielle d'un système qui se priverait d'un talent intact par pur orgueil. C'est du grand art en matière de communication personnelle. En lançant cette phrase faussement ingénue, "Qui peut refuser une Coupe du monde ?", il prend à témoin l'opinion publique. Si Deschamps ne l'appelle pas, ce ne sera pas de son fait, mais bien de la "faute" du sélectionneur.

    Pourtant, cette initiative manque singulièrement d'humilité. Revenir toquer à la porte de la sélection exigeait sans doute, avant toute déclaration publique, une explication de texte privée, voire un mea culpa. En procédant ainsi, par voie de presse, Benzema tente de forcer le verrou par la pression populaire, espérant que ses performances en Arabie Saoudite suffisent à amnésier les supporters. C'est un pari risqué, voire un brin arrogant, de penser que l'Institution France l'attendait sagement. Il oublie que l'on ne revient pas en sélection comme on entre dans un club, surtout quand on a claqué la porte avec autant de fracas il y a trois ans. Le "je" semble ici avoir pris le pas sur la lucidité nécessaire à une telle entreprise.

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    Deschamps n'a pas la mémoire courte

    Il faut avoir la mémoire courte, ou particulièrement sélective, pour imaginer Didier Deschamps sauter de joie en lisant l'entretien de son ancien attaquant. Le contentieux entre les deux hommes n'est pas une simple brouille de vestiaire passagère, c'est un fossé géologique creusé par des années de malentendus, de déclarations tapageuses et de silences pesants. On ne balaie pas d'un revers de main une accusation de racisme - quand Benzema déclarait en 2016 que Deschamps avait "cédé à une partie raciste de la France" - ou un "menteur" lâché en mondovision sur les réseaux sociaux après l'épisode de la blessure au Qatar.

    Espérer que le sélectionneur passe l'éponge "pour l'amour du jeu" relève d'une naïveté que Benzema n'a pas. Il sait pertinemment que la porte est fermée à double tour tant que "DD" sera en poste. Deschamps a bâti ses succès sur la notion de groupe, de sérénité et de confiance mutuelle. Or, le lien de confiance avec Benzema est rompu depuis longtemps. Le technicien basque est un pragmatique, certes, mais il n'est pas masochiste. Réintégrer un élément, aussi talentueux soit-il, qui a ouvertement remis en cause son intégrité et sa gestion humaine, serait un désaveu de sa propre autorité. Benzema tente un coup de bluff, mais il joue face à un homme qui détient toutes les cartes et qui n'a jamais cédé aux pressions extérieures.

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    Le talent ne suffit pas à faire une équipe

    Sur le plan strictement sportif, le débat est pourtant légitime et presque enivrant. Benzema en Arabie Saoudite n'est pas en préretraite, il le prouve chaque semaine par une condition physique irréprochable. Sa longévité force le respect et le voir rejoindre le cercle très fermé des légendes - Messi, Ronaldo, Modric - pour une dernière danse américaine en 2026 aurait une allure folle. Imaginer une attaque française profitant de son intelligence de jeu, de sa science du déplacement et de sa qualité technique reste un fantasme de puriste. Oui, Benzema est un joueur exceptionnel, peut-être le plus complet de sa génération.

    Mais une équipe nationale n'est pas une collection d'individualités, c'est un équilibre chimique précaire. On se souvient trop bien du précédent de 2021. Son retour surprise avant l'Euro avait désorganisé le système, vampirisé l'attention médiatique et, malgré ses quatre buts personnels, le collectif s'était délité jusqu'au fiasco suisse. À l'inverse, en 2022, son forfait, aussi regrettable fut-il pour lui, avait paradoxalement libéré des espaces et des énergies, permettant aux Bleus d'atteindre une nouvelle finale mondiale. Réintroduire l'équation Benzema dans le logiciel des Bleus à six mois de l'échéance, alors que de nouveaux leaders ont pris le pouvoir, c'est prendre le risque de tout déstabiliser pour une promesse incertaine. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Rien n'est moins sûr.

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  • FBL-WC-2014-MATCH58-FRA-GERAFP

    Ne pas insulter l'avenir en reniant le passé

    Il y a enfin une forme d'indécence à vouloir revenir "par la grande porte" sans jamais avoir vraiment soldé les comptes. On ne peut pas dire "Fontaine, je ne boirai pas de ton eau", claquer la porte avec fracas, insulter le staff à demi-mot, et apparaitre à la fenêtre quand l'odeur du banquet mondial se fait sentir. L'équipe de France a tourné la page. Une nouvelle dynamique s'est installée, des jeunes poussent, et l'histoire s'écrit désormais sans lui. Vouloir s'y insérer de force, c'est faire passer son destin personnel avant l'intérêt collectif, c'est privilégier l'amour du "je" sur celui du maillot et du "jeu".

    Alors, laissons le bénéfice du doute à la passion d'un immense champion qui refuse de vieillir. Peut-être que Benzema y croit vraiment. Mais l'histoire ne repasse pas toujours les plats, surtout quand on a renversé la table plusieurs fois. Si Deschamps reste fidèle à sa logique, le "Nueve" regardera le Mondial 2026 à la télévision. Et cette fois, il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même. Car le talent ne suffit pas toujours à tout pardonner, et à force de jouer avec le feu des déclarations, on finit par se brûler les ailes de son propre mythe. Le ridicule ne tue pas, l'ambition non plus, mais l'orgueil finit souvent par isoler.

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