Gianfranco Zola Euro 1996Getty

Les témoins de l’Euro : Gianfranco Zola (Euro 1996)

A l’approche de l’Euro 2020, notre rédaction vous propose une série de rencontres avec les joueurs ayant disputé ce tournoi par le passé. Des lauréats de la compétition, des acteurs majeurs ou simplement des protagonistes ayant des histoires intéressantes à raconter. Ce lundi notre témoin est Gianfranco Zola. L’ancien grand meneur de jeu italien revient pour nous sur l’édition 1996 de la compétition continentale où lui et ses coéquipiers ont connu une grosse désillusion.

Il y a vingt-cinq ans, le titre de champion d’Europe est revenu à l’Allemagne. Lors de cette dernière grande compétition disputée en Angleterre, la Mannschaft avait retrouvé sa splendeur, renouant ainsi avec la gloire dans cette compétition. Pourtant, avant le début des hostilités, l’étiquette de principal favori avait été collée à une autre sélection, à savoir l’Italie. Finaliste de la Coupe du Monde 1994, la Squadra Azzurra se voyait bien enchainer et conquérir un trophée derrière lequel elle courait depuis 1968. Mais, malheureusement pour les Transalpins, les évènements n’ont pas du tout été conformes aux attentes.

La Nazionale a été la grande victime du groupe de la mort, celui dans lequel figurait les deux futurs finalistes de l’épreuve, en l’occurrence l’Allemagne et la République Tchèque. Malgré la présence de l’illustre Arrigo Sacchi sur son banc, elle a fait pschitt et ce tournoi raté a ensuite été fatal au célèbre tacticien. Un vrai fiasco que personne n’a vu venir.

La Squadra était pourtant armée pour bien faire

Gianfranco Zola faisait partie des 22 vice-champions du monde qui avaient pris part à cette compétition. C’était le seul Euro qu’il a pu disputer avec son pays et c’est pourquoi il se souvient très bien du moindre détail en rapport avec cette épreuve, et aussi la manière dont lui et ses coéquipiers l’avaient approché. A Goal, il assure qu’il n’y avait aucun signe avant-coureur d’une débandade. « Nous étions tous très motivés. Et l’équipe avait de bonnes sensations pour ce tournoi parce que juste avant on a fait de bons matches amicaux et en produisant un bon football, se souvient celui qui portait à l’époque le maillot de Parme. Sacchi a connu un succès en 1994. Il a guidé l’équipe jusqu’à la finale de la Coupe du Monde, où on n’a perdu qu’aux tirs au but face au Brésil. Mais, en même temps, cette sélection était alors un peu critiquée. Car tout en étant performants, on n’a pas produit un grand football aux Etats-Unis. Et je crois qu’en préparant cet Euro, il avait beaucoup travaillé dans le but d’améliorer la qualité du jeu. On a trouvé un bon équilibre sur le terrain, et on jouait un bon football. Donc, en allant en Angleterre, on était pleins de confiance. Avec un état d’esprit positif. Et on croyait pouvoir réussir de belles choses ».

L’Italie avait donc pour objectif de confirmer le résultat de l’épopée américaine. Ce n’était cependant pas avec le même groupe de joueurs. Entre les deux tournois, la moitié de l’équipe a sauté pour des raisons diverses. Entre ceux qui ont pris leur retraite (Franco Baresi), ceux que l’entraineur avait écarté (Mauro Tassotti, Nicola Berti, Alberigo Evani, Roberto Baggio et Beppe Signori) et ceux qui étaient blessés (Antonio Conte), il ne restait pas grand-monde de l’équipe qui avait approché le graal planétaire. Mais, c’était des choix assumés. Et Sacchi n’avait aucun doute sur le fait que la nouvelle vague, emmenée par les Angelo Perruzzi, Mauro Torrricelli, Roberto Di Matteo, Angelo Di Livio, Enrico Chiesa ou encore Fabrizio Ravanelli, allait répondre présente.

74c24961382bb1bd44a577edab6ce7bdb4b5a0b7

Zola pour faire oublier Baggio

La révolution connue par la Squadra ressemblait un peu à celle vécue par l’équipe de France à la même époque. Quand Aimé Jacquet choisissait de snober les David Ginola, Eric Cantona ou Jean-Pierre Papin, Sacchi, lui, tournait le dos au Ballon d’Or 1994, Roberto Baggio. Le technicien français avait justifié cette décision par un souci de préserver l’équilibre collectif et surtout s’assurer un état d’esprit positif dans le vestiaire. Son homologue italien avait-il tenu le même discours auprès des siens pour expliquer la non-sélection du Divin Codino ? Zola assure que non : « Il n’a rien dit de tel. Il n’a pas ressenti le besoin de s’expliquer. Et je ne crois pas qu’il ait écarté un jour quelqu’un juste pour que l’équipe soit soi-disant libérée d’un poids ».

« Tu peux créer un bon équilibre, et un bon état d’esprit tout en ayant de grands joueurs et à fort caractère dans ton onze. Plus il y a de bons joueurs dans l’équipe, plus l’équipe est meilleure, poursuit notre témoin avec l’œil de coach qu’il est devenu par la suite. Je ne peux pas juger la situation en équipe de France, mais je ne suis pas sûr que les bons joueurs nuisent à l’état d’esprit collectif. C’est plutôt le contraire. Car quand vous savez que vous pouvez compter sur de grands joueurs dans votre équipe, vous êtes plus en confiance. Et vous voulez faire partie de ce genre d’équipes ».

L’absence de Baggio concernait directement Zola, puisque c’est à lui que revenait la mission de faire oublier le stratège de la Juventus. Les deux joueurs étaient alors les meilleurs « 10 » en activité et le natif de Sardaigne s’offrait enfin l’opportunité de sortir de l’ombre de son compatriote et jouer un grand tournoi dans la peau du principal guide de la sélection. Une sacrée responsabilité mais qui n’était pas de nature à l’inhiber. « Cela ne me gênait pas. A ce moment-là, j’étais habitué à avoir des responsabilités dans les différentes équipes de haut niveau dans lesquelles je jouais, assure l’intéressé qui avait déjà connu la lourde tâche de succéder à Diego Maradona à Naples. J’étais simplement concentré sur ce que je devais faire. Je pense que dans cette équipe-là, on se sentait tous comme étant une pièce d’un mécanisme. On savait que tout le monde devait donner le maximum pour rendre l’équipe plus forte. Donc je n’avais pas vraiment le sentiment de devoir régler tous les problèmes collectifs à moi tout seul. Je devais apporter ma contribution, ça oui. Mais faire oublier Baggio, non pas du tout. De toute façon, il y avait beaucoup d’attentes sur toute l’équipe ».

Pour Zola, cela aurait pu être le tournoi de consécration

La confiance en soi qui animait Zola à ce moment-là s’explique aussi par le rendement qu’il affichait en club. En pleine force de l’âge (30 ans), il sortait de trois années pleines au sein de sa formation parmesane, sans oublier les bonnes sorties sur la scène internationale. En phase de qualification, il a été le joueur le plus décisif de la Squadra avec six buts marqués, dont un triplé contre la Lituanie. « Oui, c’est vrai que j’abordais cette compétition en sortant de deux belles saisons, se remémore-t-il. Je sentais que je progressais d’année en année. Et en se présentant à ce tournoi, j’étais dans d’excellentes conditions et prêt pour ce niveau ».

Zola avait donc le vent en poupe en 1996. Cependant, sa préparation pour la compétition continentale avait été quelque peu perturbée par un évènement imprévu. « Ce qui était compliqué en revanche c’est que 10 jours avant l’entame de l’Euro, j’ai contracté une infection (un virus intestinal, ndlr). Moi ainsi que 2 ou 3 autres joueurs. Donc on devait rester au lit. Ça aurait pu compromettre notre rendement. On a pu se rétablir rapidement, mais on est parvenus à revenir pour le premier match. On n’était peut-être pas dans une forme optimale, mais ça allait. Donc globalement je dois dire que j’ai abordé cette compétition dans de bonnes conditions. »

Et c’est en tant que titulaire qu’il se présente pour le premier match face à la Russie, disputé à Liverpool. Une rencontre qui se passe plutôt bien pour lui et sa sélection. Les Azzurri l’emportent 2-1 avec un doublé du laziale Pierluigi Casiraghi et Zola s’offre une passe décisive sur le but de la victoire. « Contre la Russie, en première période, ça a été poussif mais ensuite on a bien réagi et on a gagné avec mérite », nous confirme-t-il. Une entame idéale donc et qui augurait une suite de tournoi intéressante. Finalement, c’est le scénario inverse qui s’est produit.

9754e392aa4691375fd4388911b11b14ce99059e

Tchèques et mat 

Lors du second match, la Squadra a déraillé. Opposée à la République Tchèque, elle se fait cueillir à froid et concède un revers complètement inattendu (2-1). C’était la première grosse sensation de cet Euro et c’est un échec dont Sacchi porte l’essentiel de la responsabilité. Les choix du maesto ont été pour le moins déroutants. En bouleversant son équipe de départ et en tardant à rectifier le tir au cours du match, il a mis son équipe dans une grande difficulté.

« Je ne crois pas que l’équipe a fait preuve d’un excès confiance ce jour-là, mais c'était plutôt  à cause d'un manque d’informations. Sacchi devait avoir de mauvaises informations sur cette équipe, juge Zola vingt-six ans après. On lui a dit que ce n’était pas une équipe athlétique et qu’elle n’était pas très forte. Pour être honnête, il y avait de bons joueurs dans cette sélection comme Nedved, Smicer, mais ils étaient alors jeunes et personne ne les connaissait vraiment à ce moment-là. C’est là qu’il a décidé de changer pratiquement la moitié de l’équipe, dont moi et Casiraghi. Car le premier match avait été couteux en énergie et beaucoup de joueurs en ont souffert, et on avait aussi l’Allemagne qui arrivait en 3e match. Les joueurs qu’il a lancés n’étaient pas mauvais, mais cinq changements d’un coup c’était trop. Et on a été surpris par la qualité des Tchèques. Et c’est pourquoi on a perdu. On avait mal commencé, on a un peu réagi après mais c’était trop tard. Donc ce n’était pas un excès de confiance, mais plutôt qu’on a sous-estimé la valeur de l’adversaire ». Un turn-over fatal et dont La Nazionale ne s’est est pas remise.

Une sortie de tournoi par la petite porte

Pour espérer passer en quarts lors du dernier match de poule, il fallait gagner contre l’Allemagne, déjà qualifiée. Ou alors faire match nul, mais compter sur un faux-pas de la République Tchèque. C’est le deuxième scénario qui a failli se vérifier mais un but de Vladimir Smicer dans les derniers instants du match entre les Tchèques et les Russes a scellé le sort des Transalpins, incapables de dominer l’Allemagne (0-0). Un vrai désastre, et a fortiori pour Zola qui a eu la malchance de rater un pénalty durant cette rencontre décisive. Alors qu’il avait la qualification au bout du pied, il a frappé trop mollement et Andreas Kopke a arrêté le tir. « On ne connaissait pas le résultat de l’autre match, car il se jouait en en même temps. On savait qu’on devait gagner face à l’Allemagne pour être sûrs de passer au prochain tour. On était simplement concentré sur ça, se rappelle le héros malheureux du jour. Malheureusement, on n’a pu faire mieux que match nul. J’ai raté ce pénalty. On a attaqué pendant tout le match, mais on n’a pas été assez efficaces. On a essayé, mais les Allemands avaient très bien défendu ».

Trente ans après avoir été débarqué de la Coupe du Monde dès le premier tour par la Corée du Nord, l’Italie subissait donc un autre camouflet sur le sol anglais. Zola se rappelle encore du climat qui régnait dans le vestiaire et aussi des mots de consolation reçus de la part de l’adversaire du jour : « Personne ne s’attendait à ce qu’on se fasse éliminer dès le premier tour. Nous étions parmi les favoris de la compétition. C’était une grande désillusion pour toute l’équipe, c’est sûr. C’était douloureux pour les joueurs, et pour moi personnellement. Car je n’ai pas fait un grand match et j’ai raté un pénalty. Il y avait beaucoup de tristesse. Mais, c’était le football. Parfois, vous avez de bons moments et parfois des mauvais. Je crois qu’on en ressort grandi de ce genre d’épreuves. »

Zola et la Squadra, une idylle trop vite écourtée

Pour Zola, toute expérience vécue est donc utile et enrichissante. Pourtant, il y a cette impression que lui, plus que n’importe qui d’autre, a payé les pots cassés à la suite de cette sortie de route prématurée. Il n’est plus réapparu ensuite dans un grand tournoi international malgré les très belles années qu’il a effectuées à Chelsea, et aussi malgré le retour gagnant effectué en Angleterre lors d’un match qualificatif pour le Mondial 98. Le 12 février 1997, il a offert la victoire à la Squadra de Cesare Maldini contre l’Angleterre à Wembley. Le match retour contre les Three Lions à Rome, le 11 octobre 1997, a été ensuite son tout dernier avec son pays.

178848e86b37b3356529607b4ce8d3bdccf574b4

Le milieu de terrain à la technique soyeuse et qui a tant enchanté le jardin Stamford Bridge entre 1996 et 2003 ne méritait pas une telle fin. Cependant, et cela en dit long sur sa personnalité, il est toujours resté classe face à ces péripéties contraires. Il n’a jamais critiqué le moindre sélectionneur. Et quand on lui demande son avis sur la mise à l’écart qu’il a connue, il préfère évoquer la malchance ou choix de carrière de sa part qui fut lourd de conséquences. « Quand j’ai quitté l’Italie pour l’Angleterre, j’ai compris que je quittais le meilleur championnat en Europe. Les différents sélectionneurs ont privilégié les plus grands joueurs du championnat italien. Je l’ai compris rapidement, indique-t-il. Et il faut être honnête en disant qu’il y avait beaucoup de grands joueurs à mon poste à ce moment-là. Je faisais bien les choses à Chelsea, mais il y avait les Alessandro Del Piero, Roberto Baggio et Francesco Totti. Donc, la concurrence était très forte. J’aurais pu apporter mon expérience, mais c’est comme ça. »

Avec les Blues et sans les Azzurri, Zola semblait bien se porter. Ce n’était pourtant pas le cas. Il admet aujourd’hui que c’était un vrai manque de voir la sélection se produire sans lui pendant toutes ses années et le compteur de capes resté bloqué ainsi à 35 unités. « C’était des moments douloureux pour moi que de ne pas jouer ces tournois, mais c’est le football. Bien sûr que l’équipe nationale me manquait. Pour moi, elle était toujours très importante. J’étais toujours fier de jouer pour mon pays. Je voulais apporter ma contribution. Mais c’était des choix compréhensibles ». A défaut d’avoir pu marquer l’histoire de la Nazionale, il a pu se consoler ensuite avec une belle reconnaissance, en recevant l’ordre du Mérite de la République Italienne. 

Avec ou sans Zola, l’Italie n’a pas pu être couronnée championne d’Europe lors des éditions qui ont suivi. Sa seule et unique couronne continentale date d’ailleurs toujours de 1968. Son bilan dans cette épreuve contraste d’ailleurs avec celui qu’elle affiche en Coupe du Monde. Est-ce à dire que l’Euro compte moins pour cette nation ? « Non, je ne le pense pas, assure pour conclure notre interlocuteur. J’en veux pour preuve l’édition 2000 où l’Italie a perdu en finale, alors qu’elle voulait vraiment ce trophée. Nous étions très concentrés sur le fait de la gagner. Donc, je ne crois pas qu’on donne plus d’importance à la Coupe du Monde qu’à l’Euro. C’est juste que parfois ça fonctionne mieux lors de certains tournois que d’autres. C’est juste une coïncidence ».

Publicité