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DOSSIER - Autorités et supporters : le dialogue pour dépasser les clichés et les divergences

Un dialogue quasi inexistant, des relations tendues. Historiquement, les supporters, la Ligue de Football Professionnel (LFP)* et les pouvoirs publics ont chacun campé sur leurs positions, favorisant les divergences, notamment en 2010 avec l’instauration du "Plan Leproux." Les cartes ont été rebattues au début de la saison 2017-2018. Depuis plus d’un an maintenant, la loi Larrivé a en effet changé la donne. Déposée à l’Assemblé Nationale par Guillaume Larrivé et promulguée le 10 mai 2016, elle a pour but de renforcer le dialogue avec les supporters. Les effets se ressentent tout juste puisque les décrets d’application n’ont été pris qu’à la fin de l’année 2016.

Ce n’est que l’été dernier qu’elle a donc pu être sérieusement envisagée et appliquée. Elle a notamment débouché sur la création de l’Instance Nationale du Supportérisme (INS), placée auprès du Ministère des Sports. Cette dernière vise à ouvrir le débat entre les supporters, représentés par des référents supporters, et l’ensemble des acteurs du sport. Le mois d’août dernier a aussi été celui du changement au sein de la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme (DNLH). Antoine Mordacq a pris la direction de la division avec l’envie que "le dialogue se poursuive, que les clubs assument leurs responsabilités aussi, notamment dans la mise en place rapide d’un référent supporter, et que les groupes de supporters s’engagent aussi dans cette démarche", nous a-t-il confié.


Le dialogue comme point de départ


Le dialogue, justement, est l’essence même de ce réchauffement des relations. Car contrairement aux années précédentes, tout le monde s'est assis autour de la même table, autour d’un but commun : "Il y a encore un an, on était à un stade où c’était bloqué partout, les gens se haïssaient par principe parce qu’on leur expliquait qu’en face c’était des supporters, la Ligue ou la DNLH, donc il fallait les détester, explique Pierre Barthélémy, avocat de l’Association de Défense et d'Assistance Juridique des Intérêts des Supporters (ADAJIS), pour Goal. Pour la première fois, il y a un dialogue à tous les niveaux et pas du dialogue de façade, c’est-à-dire qu’on a des choses qui sont produites à chaque réunion. Il y a des groupes modérés et aussi des Ultras. Certains groupes Ultras ne veulent pas entrer dans tous ces dialogues et à l’Association Nationale des Supporters, ils ont leurs raisons. A l’ANS, il y a une trentaine de groupes membres, une quinzaine de groupes soutiens officiels donc ça fait 45 groupes à peu près de la Ligue 1 à la CFA."

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Pour s’installer à la table et débattre des chantiers à améliorer, les groupes de supporters ont la possibilité d’être agréés par le Ministère des Sports et d’être ainsi reconnus officiellement. Une condition essentielle pour la DNLH : "Nous avons un rôle transversal et national pour soutenir et conseiller les préfectures au niveau local, expose Mordacq. Un certain nombre de groupes refusent d’être agréés, d’avoir un leader etc. Dans beaucoup de clubs, des groupes qui se disent indépendants refusent cette logique là. Le problème, c’est qu’en même temps, ils exigent des choses et ils revendiquent. Mais si vous voulez les revendiquer, il faut aussi avoir une logique de représentativité et être disponible pour la discussion."


Les supporters maintiennent la pression


Il n’y a qu’à prendre connaissance d’un communiqué de presse publié ces derniers jours pour comprendre les revendications des groupes de supporters. Trente-trois d’entre eux se sont en effet unis pour "contester ensemble la répression disproportionnée qui entrave (nos) activités et (notre) passion" , pointer du doigt des "mesures arbitraires inadmissibles"  et exiger de "jouir de (notre) liberté de supporter."  Le recours aux arrêtés préfectoraux** est notamment contesté et demeure un sujet de discorde récurrent.

"Les arrêtés d’interdictions de déplacements ont été créés en 2011 par le législateur,  ajoute Pierre Barthélémy. Ces arrêtés ont été pensés, à la base, pour économiser les forces de l’ordre quand elles sont mobilisées ailleurs. Petit à petit, les préfets se sont rendus compte que c’était un bon moyen d’avoir moins de travail. S’il n’y a pas de supporters adverses, il y a moins de policiers à mettre en œuvre, donc le dispositif de sécurité est moindre. Quand on aura mis en place ce cadre-là, adapté par chaque préfet, on sera dans une solution plus équilibrée."

Jean-Guy Riou, président de l’Union des Supporters Stéphanois, abonde dans ce sens : "Les arrêtés préfectoraux sont très déplaisants. Les consignes de sécurité sont assez draconiennes pour les groupes de supporters. Pendant des années, la DNLH a tenu un discours disant : 'attention, nous vous avertissons qu’il y a des risques. Si vous ne faites rien, ce sera votre faute.' Les préfets ont alors pris l’habitude, lorsqu’il y a des déplacements de groupes de supporters nombreux ou réputés comme supportant leur équipe en faisant beaucoup de bruit, de prendre des arrêtés. Il n’y a pas de dialogue établi avec les préfectures et je pense que ça va prendre un peu de temps pour que les préfets jugent à sa juste valeur un déplacement de supporters."

Pratique festive ancrée dans la Culture supporter, la pyrotechnie génère elle aussi de la frustration du côté des groupes. Elle est réprimée dans les stades et les clubs sont régulièrement sanctionnés d’amendes et de matches à huis clos pour introduction ou utilisation de ces engins. "Il peut y avoir des risques avec la façon dont les fumigènes sont utilisés, et s’ils ne sont pas de bonne qualité , commente Pierre Barthélémy. Mais c’est interprété par la Ligue comme étant une volonté de troubles, de véhiculer de la haine, de la provocation et donc, il y a une mauvaise compréhension de cette culture."

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La DNLH, entre ouverture et fermeté


Du côté de la DNLH, le communiqué de presse signé par les trente-trois associations de supporters doit servir à ouvrir un peu plus le dialogue : "Il y a encore un certain nombre de postures de la part de certains, nous confie le chef de la DNLH. Ils sont attachés à des principes et il y a aussi une part de symbolique et de médiatisation de leurs actions. Ils souhaitent que leurs actions soient entendues. Les revendications ne sont pas nouvelles et pas très surprenantes mais c’est aussi à eux de montrer qu’ils sont dans une démarche positive, de prises de contact, d’échanges avant les rencontres. Ça commence à se faire. C’est à eux aussi d’engager ces initiatives-là, plutôt que de toujours dire qu’ils sont en demande et qu’ils sont victimes d’un certain nombre de choses qui ne leur convient pas."

Antoine Mordacq réfute en revanche fermement l’idée d’une solution de facilité appliquée arbitrairement par les préfets lors de la mise en place des arrêtés préfectoraux : "La réalité, c’est qu’il y a encore des incidents dans les stades donc les supporters qui vous disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi il y a des arrêtés et des restrictions alors que tout sa passe bien, c’est qu’ils n’ont pas dû voir ce qui s’est passé en fin de saison dernière, ou depuis le début de la saison. Les préfets et les directions départementales de la sécurité publique ne prennent pas ces mesures par plaisir et gratuitement, parce qu’elles en voudraient aux supporters. J’entends ce discours là parfois. Sans généraliser, les supporters doivent aussi assumer ce qu’ils font dans les stades."

Le point sur lequel la DNLH se montre moins ouverte est celui qui concerne l’utilisation d’engins pyrotechniques : "La pyrotechnie au sens large (fumigènes, pétards et bombes agricoles), telle qu’elle est utilisée dans les stades, constitue un danger, ajoute le patron de l'Instance. Défendre l’idée selon laquelle allumer un fumigène, qui monte à plus de 1000 degrés dans un espace confiné, c’est ça le vrai problème. Si on dit qu’il faut qu’ils soient utilisés de manière responsable, pour moi c’est un peu un vœux pieu, parce que si vous vous référez à la Culture supporter, vous savez que dans une tribune, on n’est pas dans une salle d’opéra. Le législateur a prévu que ces engins constituaient un délit, avec une peine de 3 ans d’emprisonnement et 15 000€ d’amende, ce n’est pas une invention nouvelle. Il est important aussi pour nous de rappeler ce qu’est la loi et qu’elle doit être appliquée, y compris dans les stades."

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Vers une relation normalisée ?


Cette ouverture est aussi l’occasion de mieux comprendre les codes de la Culture supporter, parfois dénigrée, comme nous l’expose Pierre Barthélémy : "Au delà de l’amalgame Hooligans-Ultras, il y a un certain mépris de classe du football et de ses supporters. Dans l’esprit des politiques, prendre une mesure d’interdiction de déplacement, ce n’est rien du tout, parce qu’aller à un match de foot, c’est un petit divertissement."  Même son de cloche du côté de l’U.S.S de Jean-Guy Riou : "Ça va être compliqué de modifier la perception qu’ont les préfets des déplacements de supporters. On leur dresse un tableau qui est noir, très noir même, alors pourquoi ne le croiraient-ils pas ?"  Dans cette logique d’ouverture, une plaquette explicative a été produite et diffusée par l’INS le 16 novembre dernier .

Ces interactions récentes ont déjà commencé à porter leurs fruits. La mise en place des "référents supporters" , rendue obligatoire par la même loi de mai 2016 et dont la fonction relève du club, est un premier pas. Le lien entre les groupes de supporters, les clubs et les autorités est garanti grâce au dialogue qui s’est instauré progressivement. Dans le même sens, les associations de supporters aimeraient voir la naissance de "référents policiers", un concept pas encore totalement envisagé par la DNLH afin d’éviter notamment de démultiplier le nombre d’interlocuteurs. Des réunions de sécurité en amont des rencontres sont également organisées : "C’est une action commune qu’on mène au titre de la DNLH avec l’ensemble des acteurs publics et aussi avec les clubs pour essayer d’améliorer les choses et faire en sorte que ces discussions soient constructives et qu’elles portent sur des choses très concrètes" , ajoute Antoine Mordacq.

Si des points de divergence persistent, le débat est désormais possible entre tous les acteurs impliqués dans la question du supportérisme en France. À la Division Nationale de la Lutte contre le Hooliganisme, on rappelle que cette saison constitue un véritable test : "Pour que ce soit crédible et efficace, il faut que tout le monde soit représenté dans le dialogue qui se met en place, y compris, les groupes Ultras qui ne nous ont pas encore rejoint, admet Mordacq. C’est une vraie saison charnière dans le dialogue avec les supporters. Si on parvient à le mettre en place et qu’il a des conséquences directes qui permettent de responsabiliser chacun et de faire en sorte qu’il y ait des impacts positifs, on sera dans un cercle vertueux. La balle est dans le camp des supporters."

Pierre Barthélémy rappelle, lui aussi, à quel point cette année est importante pour poser toutes les bases : "On a un an pour construire et après il faudra voir si ça marche. Je suis optimiste parce que je sais d’où l’on vient. Toutes les personnes actuellement en place sont idéales et ont toutes la même motivation, donc tous les obstacles sont levés. Il restera des désaccords sur certains sujets puisque chacun défend ses intérêts, mais on est partis de tellement loin…"  Malgré quelques doutes, Jean-Guy Riou a fini par trouver l’utilité de l’INS : "Je me demandais si elle était utile au départ. Si je n’avais pas espoir que cela avance, j’aurais démissionné de l’Instance Nationale du Supportérisme."  Toutes les planètes de la galaxie foot semblent être alignées pour que les relations entre les autorités et les supporters s'apaisent durablement.


*Contactée, la LFP n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.
**Il existe deux types d'arrêtés. L'arrêté préfectoral interdit le stade et ses abords aux supporters visiteurs. L'arrêté ministériel interdit le déplacement dans le département ou la commune où se déroule la rencontre. La première saison (2011-2012), 3 arrêtés ont été publiés. En 2014-2015, on a compté 39 arrêtés. En 2015-2016, entre le risque d'attentats et l'Euro 2016, on a dépassé les 210 arrêtés dès avril 2016. En 2016-2017, 20 arrêtés d'interdiction de déplacement et 96 arrêtés de restriction ont été publiés sur plus de 1000 matches organisés en Ligue 1, Ligue 2, Coupes d'Europe et matches amateurs). Chiffres de l'ANS et du Ministère de l'Intérieur.
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