Ekitike à Liverpool pour 95 M€ : nouveau fiasco à la Núñez ou coup de génie à la Henry ?

Pour comprendre le pari Ekitike, il faut revenir trois ans en arrière, à l'origine du fiasco Darwin Núñez. À l'époque, la cellule de recrutement des Reds avait identifié trois jeunes attaquants qui sortaient du lot en Europe : Núñez, Alexander Isak et Erling Haaland. Comme l'a récemment révélé Ian Graham, l'ancien directeur de la recherche du club, Haaland était hors de portée financièrement. Le choix s'est donc réduit à un duel : Isak ou Núñez. Jürgen Klopp, alors manager, a personnellement penché pour le second. La suite est connue de tous et s'est révélée être une décision désastreuse.

Pendant qu'Isak s'imposait comme l'un des attaquants les plus redoutés de Premier League après son transfert à Newcastle, Núñez devenait la risée d'Anfield, un attaquant exaspérant, moqué sans pitié pour sa finition catastrophique. La volonté de Liverpool de s'en séparer cet été n'est donc une surprise pour personne. Il a eu d'innombrables occasions de prouver sa valeur à Anfield. Et, comme une cruelle ironie du sort, il n'en a saisi aucune.

Il serait cependant injuste de blâmer uniquement Klopp pour l'échec Núñez. À Benfica, l'attaquant avait vraiment tout d'une future star. Grand, puissant, rapide, il sortait d'une saison à 34 buts en 41 matchs. Surtout, six de ces buts avaient été inscrits en Ligue des Champions, dont un à chaque match du quart de finale contre... Liverpool. Avec son style direct et sa puissance, il avait tourmenté des défenseurs comme Andy Robertson et Ibrahima Konaté. L'excitation initiale de le voir rejoindre les rangs des Reds a vite laissé place à la consternation, quand il est devenu évident que Núñez était incapable de rester hors-jeu, et encore moins de marquer régulièrement.

Aujourd'hui, Liverpool espère limiter la casse financièrement, même si le retrait de Naples dans la course à sa signature est un coup dur. Pour corriger leur erreur passée, les Reds ont bien tenté de recruter Alexander Isak. Mais Newcastle, logiquement, a préféré leur céder Hugo Ekitike plutôt que sa star suédoise. Une déception pour de nombreux supporters, qui salivaient déjà à l'idée de voir Isak évoluer aux côtés de Mohamed Salah et Florian Wirtz. Car Isak, lui, a fait ses preuves en Premier League, avec 44 buts lors de ses 64 derniers matchs. Ekitike, en revanche, reste une énigme pour beaucoup. Mais pas pour la cellule de recrutement de Liverpool.

Liverpool ne s'est pas tourné vers Hugo Ekitike par dépit, après avoir échoué à recruter Isak. Le Français est en réalité une cible de longue date. L'intérêt des Reds était connu bien avant la fin de sa saison explosive en Allemagne. En vérité, presque tous les grands clubs européens suivaient sa progression depuis qu'il a commencé à se faire un nom à Reims, après un prêt très réussi au Danemark, à Vejle, en 2021.

Newcastle avait déjà tenté de le recruter en janvier 2022. Mais cet été-là, il a cédé aux sirènes du Paris Saint-Germain, un choix qu'il qualifiera lui-même d'irrésistible pour un joueur français. Avec le recul, ce fut une erreur. Il y avait très peu de place pour un talent aussi brut au sein d'une ligne d'attaque composée de Lionel Messi, Neymar et Kylian Mbappé.

« J'ai progressé à une vitesse fulgurante à Reims, mais je suis redescendu à la même vitesse », expliquera-t-il plus tard. « Tout le monde n'a pas vécu ça, et je ne le souhaite à personne. Ce n'est pas facile. »

L'Eintracht Francfort lui a offert une porte de sortie à l'été 2023. D'abord réticent, car il voulait s'imposer à Paris, il a fini par accepter de rejoindre la Bundesliga en janvier 2024, après n'avoir disputé que neuf petites minutes de jeu en première partie de saison. Un choix qu'il n'a jamais regretté depuis.

C'est à Francfort qu'Hugo Ekitike a véritablement explosé. Comme il l'a dit lui-même, il est passé du statut de remplaçant à celui de star en à peine un an. Sa complicité avec Omar Marmoush a été un facteur clé, mais c'est surtout sa capacité à endosser le rôle de leader après le départ de l'Égyptien à Manchester City en janvier qui a définitivement attiré l'attention de Liverpool et des autres cadors européens.

Beaucoup craignaient que l'Eintracht ne s'effondre sans Marmoush. C'est tout le contraire qui s'est produit. En tant que seul attaquant de pointe, Ekitike a excellé, étant directement impliqué sur 12 buts (dont sept qu'il a inscrits lui-même). L'équipe de Dino Toppmöller a finalement terminé à la troisième place de la Bundesliga.

À ce moment-là, le directeur sportif Markus Krösche savait qu'il n'avait que peu de chances de conserver « l'un des joueurs les plus intéressants du marché européen ». Son seul objectif était d'en obtenir le meilleur prix. On peut dire qu'il a réussi.

Car il ne faut pas se voiler la face : un transfert qui pourrait atteindre 95 millions d'euros (bonus compris) est une somme extravagante pour un attaquant qui a coûté 16,5 millions d'euros à Francfort il y a 18 mois. Au moins, Darwin Núñez avait brillé en Ligue des Champions. Ekitike, lui, n'a que quatre apparitions et sans but dans la compétition phare, et il n'a pas encore été sélectionné avec l'équipe de France A. Pour autant, cela ne signifie pas que Liverpool a signé un nouveau flop. Loin de là.

Tout d'abord, Hugo Ekitike possède toutes les qualités que Liverpool recherche chez un avant-centre mobile. C'est un joueur élégant et insaisissable, capable de décrocher ou de s'exiler sur les côtés pour utiliser sa vitesse et sa palette technique. Des qualités qui le rendent aussi incroyablement dangereux en contre-attaque. Ses déplacements intelligents créent des espaces pour ses coéquipiers, un peu à la manière de ce que faisait Roberto Firmino pendant tant d'années à Anfield.

Bien sûr, sa finition suscite des inquiétudes légitimes, avec un taux de conversion de tirs très décevant de 14,3 % la saison dernière. Cependant, cela s'explique en partie par le fait qu'il a souvent été encouragé à prendre sa chance de loin ou dans des angles difficiles. Car lorsqu'il s'agit de ce qu'Opta appelle les "grosses occasions", Ekitike se montre bien plus efficace, avec un taux de réussite de 43,2 %.

Il a clairement une marge de progression, mais il est conscient de ses lacunes. Et en France, le sentiment est qu'il pourrait connaître une explosion similaire à celle de Thierry Henry en Angleterre. La comparaison avec la légende d'Arsenal est récurrente, en raison de sa grande taille, de sa silhouette élancée et de sa tendance à partir de l'aile gauche pour rentrer sur son pied droit. Cependant, parmi ses pairs actuels, c'est bien avec Alexander Isak qu'il partage le plus de similitudes, que ce soit en termes de style ou de statistiques. C'est précisément pour cela que Liverpool l'a toujours considéré comme l'alternative idéale au Suédois.

Bien sûr, Hugo Ekitike n'a pas encore le niveau d'Alexander Isak. Mais tout l'enjeu du pari de Liverpool est là : il pourrait l'atteindre très bientôt. Car ce qui séduit autant que sa technique, c'est sa mentalité.L'un de ses amis a un jour confié à GOALque « Hugo a la mentalité de Kobe Bryant ». Une comparaison audacieuse mais révélatrice.

Son ancien entraîneur à Reims, Oscar Garcia, ne dit pas autre chose : « Il y a quelque chose de très spécial chez Hugo. C'est un jeune joueur avec beaucoup de qualités. Il a encore une grande marge de progression, mais il travaille tellement dur à l'entraînement ».

Cette éthique de travail l'a toujours distingué, depuis ses débuts à Cormontreuil. Lors de son départ pour le Danemark, en pleine période de Covid, beaucoup s'inquiétaient de sa capacité d'adaptation. Une source proche du joueur se souvient : « Quand il a compris la situation, il a regardé son agent et lui a dit : 'Ne t'inquiète pas, je vais gérer'. Ce n'était qu'un gamin, mais il a fait preuve d'une grande maturité ».

Même son passage difficile au PSG fut une leçon. Il a peut-être manqué de temps de jeu, mais il a profité de chaque seconde à l'entraînement avec Messi et Mbappé. « Ce sont des joueurs uniques », expliquait-il. « J'aurais été le plus stupide des hommes si je n'avais rien appris. J'ai beaucoup appris en les regardant, sur des petits détails, sur leurs déplacements. Kylian m'a vraiment impressionné. C'est ce niveau que je veux atteindre ».

Liverpool lui offre une occasion magnifique d'y parvenir. Et contrairement à Darwin Núñez, Hugo Ekitike semble posséder à la fois le talent et, surtout, le mental pour la saisir.