France Euro 2025 chaos GFXGetty/GOAL

Crise interne, malédiction des quarts : les Bleues peuvent-elles enfin régner sur l'Europe ?

C'est le plus grand paradoxe du football féminin français. Alors que l'Olympique Lyonnais règne sur l'Europe depuis plus d'une décennie, fournissant un réservoir de talent quasi inépuisable, l'équipe de France, elle, reste désespérément à quai. Malgré des joueuses qui composent l'épine dorsale des plus grands clubs, le succès en sélection nationale se fait toujours attendre.

Nos Bleues sont devenues les championnes du "presque". Depuis une prometteuse quatrième place au Mondial 2011, le fameux plafond de verre des quarts de finale est devenu une prison. Une malédiction qui s'est répétée inlassablement, que ce soit en Coupe du Monde, à l'Euro ou aux Jeux Olympiques. Et ce, même à domicile, lors du Mondial 2019 ou des JO de 2024, où l'histoire semblait pourtant écrite pour elles.

Alors que l'Euro 2025 débute, des signes de changement apparaissent. Sous la houlette du nouveau sélectionneur Laurent Bonadei, les Bleues affichent une forme étincelante, avec huit victoires en autant de rencontres cette année. Elles font, logiquement, partie des sérieuses prétendantes au titre. Mais alors qu'elles s'apprêtent à affronter le "groupe de la mort" avec l'Angleterre, les Pays-Bas et le Pays de Galles, des fantômes bien connus refont surface, laissant craindre une nouvelle campagne marquée par le chaos.

  • Equipe de France Wendie Renard Corinne DiacreGetty Images

    L'éternel feuilleton des coulisses

    C'est une habitude dont on se passerait bien. À l'approche de chaque grande compétition, l'équipe de France semble incapable d'échapper aux polémiques et aux psychodrames. Pendant longtemps, ces turbulences ont eu un nom : Corinne Diacre. Son passage à la tête des Bleues a été marqué par des décisions aussi clivantes que ses relations avec certaines cadres du vestiaire. On se souvient tous de la non-sélection de Marie-Antoinette Katoto pour le Mondial 2019 à domicile, alors qu'elle venait de terminer meilleure buteuse du championnat. Ou de celle d'Amandine Henry pour l'Euro 2022, quelques jours à peine après avoir été élue femme du match en finale de la Ligue des Champions.

    Bien sûr, un sélectionneur a le droit de faire ses propres choix. Mais lorsque l'équipe échoue systématiquement à franchir ce fameux cap, malgré un talent indéniable, ces décisions sont inévitablement remises en question. Le problème avec Diacre ne se limitait pas à ses listes. Son management, jugé rigide et cassant, a souvent été critiqué. L'épisode du brassard retiré à Wendie Renard en 2017, au motif qu'elle n'avait pas encore « atteint le niveau international » selon la coach, reste l'un des symboles de cette ère de tensions. Un climat délétère qui a laissé des traces profondes.

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  • Delphine Cascarino Sakina Karchaoui Estelle Cascarino France Women 2024Getty Images

    La malédiction, encore et toujours

    Le point de rupture a été atteint lorsque Wendie Renard a annoncé sa mise en retrait de la sélection avant le Mondial 2023. Son communiqué, où elle dénonçait un « système loin des exigences du plus haut niveau », a fait l'effet d'une bombe. Suivie par Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani, elle a provoqué un séisme qui a contraint la Fédération à agir. Corinne Diacre a été démise de ses fonctions, à seulement quatre mois de la Coupe du Monde. Dans l'urgence, c'est Hervé Renard, connu pour ses succès en Afrique et son coup d'éclat avec l'Arabie Saoudite, qui a été nommé. Un choix audacieux, pour un entraîneur qui découvrait le football féminin.

    Malgré un vent d'optimisme, la fin fut la même. Une défaite en quart de finale, cette fois contre l'Australie. La sixième élimination à ce stade sur les sept derniers grands tournois. Un an plus tard, aux Jeux Olympiques de Paris, le scénario s'est répété pour une septième fois. Face au Brésil, nos Bleues ont dominé, se sont créé une multitude d'occasions, mais ont fini par s'incliner. Une défaite d'autant plus amère qu'elle est survenue dans un contexte trouble, marqué par les rumeurs insistantes envoyant Hervé Renard en Égypte ou au Nigeria. Il quittera d'ailleurs son poste juste après, laissant derrière lui une nouvelle page d'espoirs déçus et l'impression d'un éternel recommencement.

  • Laurent Bonadei France 2024Getty Images

    L'espoir d'une nouvelle ère

    Avec l'arrivée de Laurent Bonadei, l'ancien adjoint d'Hervé Renard, un vent de fraîcheur semble enfin souffler sur Clairefontaine. Nommé sans tambour ni trompette, il a rapidement imposé sa méthode, faite de sérénité et de résultats. Après une fin d'année 2024 consacrée à l'expérimentation et à une large revue d'effectif, il a enchaîné une impressionnante série de huit victoires en 2025. Un parcours sans faute en Ligue des Nations, qui a qualifié les Bleues pour le Final Four, et qui a redonné de la confiance à un groupe qui en manquait cruellement.

    Au-delà des résultats, c'est l'approche qui change. Conscient des blocages passés, Bonadei a intégré un préparateur mental à son staff pour travailler sur ce « blocage collectif ou individuel » qui semble paralyser l'équipe dans les grands rendez-vous. Il s'efforce également de conserver la proximité qu'il avait avec les joueuses lorsqu'il n'était qu'adjoint. « Je suis plus proche d'elles maintenant, car mon management est basé sur l'authenticité », expliquait-il récemment. « Je leur ai dit : 'Si vous m'appeliez Laurent et que vous me tutoyiez quand j'étais adjoint, surtout, ne commencez pas à me vouvoyer et à m'appeler coach, car je reste le même. Le plus important, c'est le respect. Si je vous demande quelque chose, vous le faites. Si vous me demandez quelque chose, j'essaie de répondre à vos attentes'. » Une méthode plus douce, plus humaine, qui semble porter ses fruits. Reste à savoir si elle suffira à briser la glace lors d'un grand tournoi.

  • Wendie Renard France Women 2024Getty Images

    Le retour du chaos

    Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes... jusqu'à ce que la bombe éclate en avril. Laurent Bonadei annonce une liste pour l'Euro 2025 sans Wendie Renard, Eugénie Le Sommer ni Kenza Dali. La stupeur est totale. Trois cadres emblématiques, dont la capitaine et la vice-capitaine, sont écartées. Si l'absence de Le Sommer (36 ans) peut à la rigueur se comprendre, son statut à Lyon n'étant plus le même, et celle de Dali relever d'un choix purement sportif dans un milieu de terrain ultra-concurrentiel, la mise à l'écart de Wendie Renard est, elle, sidérante. À 34 ans, elle reste l'une des toutes meilleures défenseures centrales du monde.

    Cette décision est d'autant plus scrutée que Griedge Mbock, sa partenaire habituelle en charnière, est incertaine pour le début du tournoi. Pour couronner le tout, la justification de Bonadei, citant Albert Einstein, a ajouté une touche surréaliste à la situation. « Ce sont des choix difficiles », a-t-il concédé. « Difficiles à faire et à annoncer. C'est une décision difficile à entendre et presque impossible à accepter pour elles, car ce sont des joueuses de légende. Mais ce n'est pas une décision prise sur un coup de tête. Comme disait Einstein : 'La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent'. Je veux des résultats différents, donc j'ai fait des choix différents. » Une explication qui, loin de calmer les esprits, a ravivé le spectre des crises passées.

  • Melvine Malard France Women 2025Getty Images

    Alors, cette fois, c'est la bonne ?

    La situation a un goût amer de déjà-vu. Lorsque Corinne Diacre avait écarté Katoto en 2019 ou Henry en 2022, elle était persuadée que l'équipe pouvait réussir sans elles. On connaît la suite. Les décisions audacieuses de Laurent Bonadei viendront-elles s'ajouter à cette liste maudite ? Ou se révéleront-elles être, au contraire, un coup de génie ?

    Car oui, malgré tout, nos Bleues peuvent remporter cet Euro. L'effectif regorge de talent, et les résultats récents prouvent qu'elles ont le niveau pour, enfin, aller au bout. « Nous avons une grande équipe, avec des jeunes et des joueuses plus expérimentées », confiait Grace Geyoro, la patronne du milieu parisien, au Guardian la semaine dernière. « Nous marquons des buts, nous gagnons des matchs importants. Nous avons des joueuses qui ont remporté des titres cette saison. Avant, on comptait sur le talent individuel, sur l'exploit d'une seule joueuse. Aujourd'hui, on s'appuie sur le collectif. Nous avons besoin de tout un groupe, et celles qui ne commencent pas la compétition seront peut-être celles qui la finiront. »

    Ce discours fédérateur sera-t-il suffisant ? Ou est-ce que le chaos des derniers mois, et surtout l'absence de cadres aussi talentueuses qu'expérimentées, finiront par rattraper l'équipe de France ? La réponse, comme toujours, viendra du terrain. Et comme à chaque fois, on se prend à espérer, tout en retenant notre souffle.

  • Laurent Bonadei France 2025Getty Images

    Un feuilleton sans fin

    Le parcours de nos Bleues débute ce samedi face à l'Angleterre, championne d'Europe en titre. C'est le coup d'envoi d'une phase de poules extrêmement relevée, qui les verra ensuite affronter des Galloises pleines d'enthousiasme pour leur première participation, avant de conclure contre les Pays-Bas, sacrées en 2017. Françaises, Anglaises et Néerlandaises nourrissent toutes l'ambition de soulever le trophée, mais au moins l'une de ces trois nations tombera dès le premier tour.

    Si ce sort devait être celui de la France, les décisions de Laurent Bonadei seraient immédiatement disséquées. Si les Bleues passent les poules mais échouent, encore, en quart de finale, le procès sera le même. En réalité, il est difficile d'imaginer autre chose qu'une victoire finale pour faire taire ceux qui estiment que le sélectionneur a commis des erreurs majeures dans sa liste.

    Pourtant, même en cas de triomphe, même si les Bleues soulèvent le trophée à Bâle le 27 juillet, l'histoire ne s'arrêtera pas là. Le feuilleton est déjà programmé. « Je donnerai ma version des faits après l'Euro, pour une seule raison : j'ai trop de respect pour mes coéquipières pour mettre en lumière une décision difficile à accepter, car je pense qu'il y a beaucoup de mensonges », a prévenu Kenza Dali le mois dernier. « J'espère vraiment qu'elles réussiront. J'ai trop de respect pour ce maillot pour raconter ma version maintenant. Je sais que ce sera partout, et elles préparent l'Euro. Je ne veux pas perturber ça. »

    Décidément, avec les Bleues, rien n'est jamais simple.

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