L'Algérie et le Sénégal s'affrontent vendredi au Caire à l'occasion de la finale de la 32e édition de la CAN. Un rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte. Pour patienter d'ici au grand jour, la rédaction de Goal vous invite à découvrir (ou redécouvrir) quelques-unes des précédentes épopées victorieuses et ce à travers le témoignage d'anciens champions du continent. Ce mercredi, le deuxième épisode est consacré à la Côte d'Ivoire de 1992, victorieuse à l'époque de son premier sacre africain. C'est Joël Tiehi, l'un des meilleurs joueurs de l'histoire de ce pays et ex-icône du Havre AC, qui nous livre le récit de la superbe aventure sénégalaise des Eléphants.
"En 1992, on s'était dit que c'était l'occasion ou jamais"
Vous souvenez-vous du contexte dans lequel vous avez abordé la CAN 1992 ?
Il y avait beaucoup d’attentes de la part des supporters et de nos pays. Car cela faisait plusieurs tentatives qu’on n’arrivait pas à remporter cette CAN. Donc au moment où on se rendait au Sénégal, tout le monde comptait sur nous. Mais on avait confiance. Parce que parmi nous c’était la dernière Coupe d’Afrique pour certains. On avait une bonne génération. On avait fait la préparation au Portugal. Et nous nous sommes dits que c’était l’occasion ou jamais, même si on savait qu’il y avait de bons prétendants comme la Zambie, le Sénégal ou l’Algérie. On partait dans le néant, mais confiants quand même.
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Le premier match c’était contre l’Algérie, le tenant du titre. Vous gagnez 3-0. Un succès de telle ampleur face à l’un des favoris, ça a dû booster votre moral, n’est-ce pas ?
Bien sûr. Parce que dans cette équipe d’Algérie, il y avait de grands noms comme Rabah Madjer ou Moussa Saib, avec qui j’ai joué en France. Il restait même des joueurs qui avaient disputé deux Coupes du Monde. Il y avait une petite crainte par rapport à cette équipe. Et quand on les avait battus, on s’est dit que si on est arrivés à dominer cette nation, qui était parmi les plus grandes du continent, alors on avait nos chances pour aller jusqu’au bout. Et cette victoire nous a vraiment boostés.
Vous vous qualifiez aisément pour les quarts, mais après les scores de vos matches sont souvent étriqués (victoire contre la Zambie en prolongations, et aux tirs au but contre le Cameroun et le Ghana). Y avait-il une crainte d’échouer ? Ou de la tension ?
La Coupe d’Afrique est de toute façon une compétition où il y a beaucoup de tension et de nervosité. Tout le monde veut gagner. Contre la Zambie, c’était un match qu’on redoutait. On ne les connaissait pas trop, et ce qui fait c’est qu’il y avait une crainte d’échouer. On n’a pas eu beaucoup d’occasions. Mais bon, en football, il y a aussi le facteur chance et en prolongation on a eu une seule occasion et on l’a saisie.

"Avant cette CAN, contre le Cameroun et le Ghana on ne gagnait jamais"
En demi-finale contre le Cameroun, c’était aussi compliqué. Une autre grande nation du continent…
Oui, c’était la grande équipe de Cameroun en face. Et ce pays nous avait toujours battus à la CAN. Que ça soit à la maison chez nous ou sur terrain neutre. En 1984, lorsqu’on a organisé le tournoi, ce sont d’ailleurs eux qui nous ont sortis. Et donc à l’approche de ce match, on avait une grosse pression sur les épaules, et un peu la peur au ventre. Mais pendant le match, on a senti qu’on avait nos chances. Parce que le Cameroun, nous a dominé, et a eu beaucoup d’occasions mais ne les a pas converties. Donc en prolongation, et même aux tirs au but, on s’est dit que la réussite est de notre côté. Et on a eu un très bon gardien, Alain Gouamené, qui a dû arrêter deux tirs au but. Et il en avait aussi arrêté un dans le match. Ses arrêts nous ont donné de la confiance pour dominer ce qui était un peu notre bête noire.
Puis arrive la finale contre le Ghana…
Oui, une autre équipe qu’on n’a jamais battue. Dans toutes les compétitions, on perdait contre eux. Mais pour ce match, il n’y a pas eu autant de pression. Au contraire, on était libérés et très motivés. On s’est dit qu’il fallait gagner. Il y avait une grande confiance dans le fait qu’on allait remporter le tournoi. On est encore allés aux tirs au but, et Dieu était de notre côté encore une fois.
Racontez-nous cette séance interminable de tirs au but. Peut-être la plus longue de l’histoire des compétitions internationales. Personnellement, vous manquez d’ailleurs votre essai, mais c’est sans conséquence…
Quand j’ai raté mon essai, je ne me suis pas trop posé de question. Dès que j’ai raté, je suis allé vers Gouamené et je lui ai demandé de nous sauver. On était proches, car on dormait dans la même chambre. Il m’avait dit « il n’y a pas de souci ».Tu peux compter sur moi. Mon essai remettait les deux équipes à égalité, et ensuite il n’y a plus eu de ratés jusqu’à ce que Baffoe ait raté le sien. Même si j’ai manqué mon tir au but, j’étais confiant que cette CAN allait être la nôtre. Et j’étais sûr que même si on tirait les penalties jusqu’au lendemain, on allait triompher. C’était notre année et on devait gagner cette Coupe.
"Le retour au pays après ce sacre c'était quelque chose !"
Racontez-nous le sentiment qui vous parcourt lorsque vous soulevez la Coupe. Il y a certainement beaucoup de fierté.
Oui, beaucoup de fierté. Parce que notre génération a ramené le trophée qui manquait tant à la Cote d’Ivoire. De plus, il y avait deux, trois joueurs parmi nous qui allaient stopper leur carrière. Il y avait beaucoup de fierté chez nous, et chez tous les Ivoiriens. Le président Félix Houphouët-Boigny était aussi content de nous. Quand on est revenu au pays c’était quelque chose. On n’avait jamais vu ça dans le football ivoirien.
Vous, vous avez joué en sélection jusqu’en 1999 et disputé trois CAN supplémentaires. Mais avez-vous revécu de telles émotions ?
Oui, d’autres générations sont venues. Moi, je suis resté et je suis passé notamment capitaine. C’était mon devoir d’encadrer les jeunes qui venaient, leur donner des conseils, pour qu’ils puissent s’intégrer aussi dans cette équipe. Mais c’est vrai que les CAN que j’ai faites après, on n’a pas ressenti la même émotion. On a failli refaire le coup en 1994, mais on s’est fait éliminer par le Nigeria. Après, il fallait juste dérouler. Et quand j’ai arrêté en 2000, on était à la fin d’une ère et puis après sont venus les Drogba, Yaya Touré et cie. Mais c’est sûr que ce qu’on a vécu en 1992 c’était unique.
Propos recueillis par Naïm Beneddra




