Julien Le Cardinal lors de l'entraînement de veille de match face au PSGRC Lens

EXCLU GOAL - Julien Le Cardinal avant PSG-Lens : « Je me rends compte que j’ai basculé dans un autre monde »

Débarqué en novembre à Lens après à peine six mois au Paris FC, Julien Le Cardinal, formé à Guingamp et passé par le Stade Briochin, ne reviendra pas dans la capitale avec les Sangs et Or, ce samedi, pour tenter de donner un peu plus de suspense à la fin de championnat. A distance, il supportera son équipe dans la course au titre, alors qu'il évoluait un an plus tôt à Bastia, loin d'imaginer ce destin commencé en Bretagne par des petits boulots et des horaires aménagés pour poursuivre sa pratique du football à bon niveau. Pour Goal, il revient sur ses débuts, raconte sa découverte d’un nouveau monde dans le Nord et des codes qui vont avec.

A huit journées de la fin, Lens se bat pour décrocher une qualification directe pour la Ligue des champions et peut-être rattraper le PSG dans la course au titre. Quand on vit tout ça, est-ce qu’on repense souvent à sa vie d’avant ?

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Oui, un peu. Tu te dis que le football ça va vite, que tout peut changer sur un choix. Il y a six ans pour moi c’était boulot, foot, dodo. Avant tout ça, j’ai été préparateur de commande en entrepôt, pizzaiolo et vendeur à la gare de Saint-Brieuc. J’ai aussi travaillé dans une usine de crêpes bretonnes et à la fin, j’ai fini cariste. C’est vraiment quand j’ai eu ce boulot-là que j’ai cumulé boulot et football avec des horaires aménagées. Je commençais à 7 heures du matin, je finissais à 11h30 pour aller à l’entraînement à midi. Ensuite, je mangeais mon sandwich sur la route et je reprenais à 14h15 avant de terminer vers 18 heures.

Y a-t-il un souvenir qui vous revient particulièrement en tête ? 

Je n’ai pas de souvenir particulier. Je réalise juste que ma vie aujourd’hui est complètement différente. Il n’y a plus les mêmes exigences au quotidien. Même si le foot est très prenant et que je fais attention à beaucoup de choses, j’avais moins de temps pour moi à cette époque-là. Je peux profiter de ma famille. Avant le matin, je partais à 7 heures, je rentrais il était 18h30, je mangeais et je me couchais parce que je me réveille à 6 heures le lendemain. Aujourd’hui 7 heures du matin c’est un peu tôt…

Quel a été le déclic qui a fait que vous avez orienté votre vie vers le football professionnel ? 

L’aventure avec Bastia que j’ai eu la chance de vivre quand le club a coulé (NDLR : le club corse est rétrogradé en Nationale 3 en août 2017). Mais même quand tu montes de National à Ligue 2, rien n’est acquis donc je ne me suis pas emballé parce qu’une saison de L2, ça ne veut rien dire. Je me suis dit que j’allais mettre tous les ingrédients pour essayer d’aller un peu plus haut après je ne pensais pas que ça irait aussi vite et que je me retrouverais chez l’actuel deuxième de Ligue 1. Je me suis adapté, vu que je suis monté en niveau et en exigence, j’ai tout fait pour essayer d’être le plus performant possible.

"Quand j'ai perdu ma mère, j'étais à deux doigts d'arrêter le football"

Ce déclic ne vient que du fait que vous avez joué avec Bastia qui a enchaîné deux montées en deux saisons ? 

Quand j’étais en National avec Bastia, où j’ai passé trois années inoubliables et importantes pour mon évolution, j’ai perdu ma mère et je me suis dit que je voulais faire ça pour elle aussi. Ça a été un moment dur mais cela m’a aussi forgé et renforcé mentalement. J’étais à deux doigts d’arrêter le football au moment où cela s’est passé. J’ai vraiment tout remis en question et j’ai eu la chance d’avoir eu ma femme qui a été là pour moi, qui m’a poussé pour continuer et essayer de la rendre fière. 

Deux ans à Bastia, six mois au Paris FC et désormais à Lens, c’est un saut rapide entre des mondes complètement différents non ? 

Tout change ! On passe tout notre temps à se concentrer sur le football, les infrastructures ne sont pas les mêmes. Le personnel mis à disposition n’est pas le même non plus. A Lens, il y a des gens bienveillants qui t’aident à tirer le meilleur de toi-même. Tout le monde bosse super bien. A Bastia, on avait un kinésithérapeute, les terrains n’étaient pas d’aussi bonne qualité. Les déplacements aussi, c’était complètement différent. Avec Lens ça dure deux jours alors qu’avant je partais le vendredi à 8 heures et je rentrais le dimanche à 19 heures. Tout est différent, tout est mis en œuvre pour que le joueur soit dans les meilleures dispositions pour le week-end. Je ne veux pas dénigrer mais ce n’est pas du tout la même chose que la Ligue 2. Tout est millimétré, il n’y a pas d’approximations, de hasard. Chaque placement est important, c’est une exigence vraiment supérieure

Vous découvrez aussi les codes du football professionnel en dehors. C’est un milieu où tout est pris en charge ?

En effet, dans le football professionnel tout est pris en charge, tu es accompagné sur tout. Tout est mis en œuvre pour que tu ne penses qu’au football et pour être libéré dans ta tête le samedi. On fait tout pour que tu sois le plus prêt possible.

Il paraît qu’avant d’arriver au RC Lens, vous n’aviez pas vraiment conscience de tout ça et que vous avez réservé vous même votre chambre d’hôtel la veille de la visite médicale et êtes venu avec votre carnet de santé le lendemain…

Oui, c’est vrai (il rigole). Je ne savais pas que je n’en avais pas besoin mais je trouve ça logique. Quand tu viens pour effectuer des tests médicaux, le docteur regarde peut-être tes antécédents ou tes vaccins. J’ai toujours amené mon carnet de santé pour une visite médicale.

Par rapport à tous les accompagnements que l’on peut avoir en tant que footballeur, garder cette forme d’autonomie pour vous c’est important ?

J’aime bien gérer les choses, être maître de la situation. J’aime bien que tout soit fait comme je le veux et je ne préfère pas déléguer la chose. Par exemple pour ma recherche d’appartement, c’est moi qui ait géré (NDLR : lorsqu’ils arrivent dans une nouvelle ville, les clubs de l’élite aident généralement leur recrue et leur famille a trouvé une maison ou un appartement). Je devais trouver vite un appartement pour ma femme et mon fils qui avait cinq jours, j’avais une heure à tuer avant la visite médicale donc je me suis dit je vais aller faire un tour sur « Le Bon Coin » et j’ai trouvé un appartement. Je suis allé le visiter directement après la signature, il me plaisait et vu que j’étais assez pressé, je n’ai pas trouvé utile de demander à la personne qui s’occupe de cela au RC Lens d’en trouver un autre.

"J’ai connu beaucoup de petits boulots et je sais ce que c'est de galérer financièrement chaque mois"

Et sur la question financière, vous faîtes tout aussi attention ou vous faîtes plus plaisir ? 

Je fais toujours attention mais forcément je me fais plus plaisir aussi parce que je me dis que je le mérite aussi et j’ai fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là. Pourquoi ne pas se faire plaisir, tout étant attentif à toute dépense ? Ce ne sera jamais des dépenses inutiles mais  des dépenses qui vont servir au quotidien. Mais pour moi c’est très important de faire attention à ce que l’on fait avec son argent parce que le football n’est pas éternel et on peut vite se faire mal après si on n’a pas fait attention.

Une grosse après-midi de shopping ne peut pas vous arriver ?

Ah non, non, non ! Ça, ça n’existe pas (rires). Non, quand je vais dans une boutique, je regarde toujours le prix. C’est d’ailleurs le premier truc que je regarde. Pour moi les choses ont toujours la même valeur. Quand je vais faire les courses, j’ai une liste et je ne la dépasse pas. J’essaie de prendre la meilleure qualité mais au moins cher. Je ne suis pas une pince ou un radin, et je fais plaisir à ma famille parce que c’est important aussi, mais j'essaie de faire la même chose que quand j’étais au Smic. J’ai connu beaucoup de petits boulots et je sais ce que c'est de ne pas avoir beaucoup d’argent et de galérer financièrement chaque mois, de regarder chaque euro. Quand tu es au Smic et que tu n’as pas grand-chose, tu dois faire attention : tu essaies de prendre un petit appartement pas cher, tu essaies de t’en sortir pour le moins cher quand tu fais les courses, tu mets 20 euros par 20 euros à la station essence. Je sais d’où je viens et je ne changerai pas ma mentalité et mes codes que j’ai toujours connus.

Dans cette vie d’avant, avez-vous connu des moments difficiles sur le plan financier ? 

J’avais une petite compensation de 150 euros par mois avec mon club du Stade Briochin mais c’est vrai que quand tu touches 1100 euros, tu enlèves toutes les factures, il ne te reste pas grand-chose, donc tu ne t’amuses pas à faire deux ou trois restos dans le mois. Ça, ça n’était pas possible.

Et quand il y a eu la soirée de vente aux enchères du club, vous avez fait plus attention ? 

Dans tous les cas, je ne pouvais rien acheter, c’était trop cher pour moi (rires). Le club organisait une vente aux enchères pour son association et tu veux toujours essayer de participer, d’aider à ton échelle mais ça devenait des sommes beaucoup trop hautes pour moi. 

Ça a été très animé sur la vente du maillot de Lionel Messi…

Messi, c’est le meilleur joueur de tous les temps donc c’est vrai dès qu’il y a son maillot signé, on fait un peu de folie. Donc les enchères montent très vite et on arrive à 20 000 euros. Et on dit que l’on partage entre tous les joueurs pour l’anniversaire de Massadio Haïdara. C’est un très beau cadeau et ça fait plaisir de faire un très beau cadeau mais tu regardes tout de même le prix que tu donnes parce que ça fait un peu cher. Ensuite les enchères ont continué pour s’arrêter à 25 000 euros. Quand tu divises le tout, ça fait 800 ou 900 euros chacun. Pour quelqu’un que tu connais depuis une semaine, ça fait un peu mal mais ça fait quand même plaisir. C’était ma première soirée avec le club et je me rends compte vite des sommes qui peuvent être dépensées mais aussi que j’ai basculé dans un autre monde.

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