Dans une interview exclusive accordée à Goal, Pierre Ferracci, président du Paris FC, évoque les conséquences de l'arrêt des championnats pour l'ensemble du football français et son club, en particulier. À propos des classements finaux, le dirigeant souhaite que les barrages et les playoffs d'accession entre Ligue 1 et Ligue 2 puissent se jouer cet été, afin que les 3e, 4e et 5e de L2 ne se sentent pas lésés.
Ferracci : "Il faut remettre de l'ordre à la Ligue"Il milite pour qu'il n'y ait pas de relégation en Ligue 2 et que la saison redémarre avec 22 équipes, quitte à ce qu'il y ait quatre descentes en National l'an prochain. Un scénario que le patron de l'actuel 17e de Ligue 2 entend bien défendre au CA de la LFP.
Quelles conséquences va avoir l'arrêt du championnat pour le Paris FC ? Pouvez-vous rassurer les salariés sur l'état des finances ?
Pierre Ferracci : Chez nous, comme dans beaucoup de clubs, on a d'abord utilisé les mesures prévues par l'Etat, à savoir le schéma d'activité partielle et le crédit de trésorerie, qui permettent de passer ce cap difficile. Maintenant, on sait très bien que la construction des budgets dans les années futures va être très compliquée pour les clubs. Le modèle économique du football va subir un traumatisme gigantesque. Il y aura peut-être moins de partenaires, certains baisseront leurs investissements. Il faudra en trouver d'autres. Les transferts vont sans doute baisser drastiquement. Le patron de Mediapro a lui-même dit que derrière la crise du coronavirus il y aurait une pression à la baisse sur les droits de télévision. On va rentrer dans une ère de rigueur et le club s'y prépare. Moi, je pense que tous les clubs seront obligés de renforcer leurs fonds propres. Non seulement parce que c'est la crise, mais qu'il faut préparer la suite. Les temps vont être difficiles pour tout le monde. Il faudra éviter les dérapages intempestifs et apporter les solutions financières qui s'imposent pour continuer à faire grandir le club. Mais le problème pour moi n'est pas tant à court terme, il est surtout sur les années à venir. À mon avis, il y aura une remise en cause assez radicale de l'économie du football, qui peut avoir des répercussions importantes pour le foot professionnel et amateur. Il faut être extrêmement vigilant et faire marcher la boîte à idées, sans foncer tête baissée en pensant qu'après la crise on va repartir comme avant.
Vous sentez une vague d'inquiétude chez certains collègues du monde professionnel et amateur ?
Ah bah bien sûr ! Il y a quand même beaucoup de dirigeants lucides dans le monde professionnel et amateur. Ils savent bien qu'on rentre dans une ère qui ne va pas être facile... On a beau être le sport le plus populaire du monde, il y a des réalités économiques qui vont être remises en cause. D'abord, parce que toutes les entreprises qui accompagnent le football vont devoir passer la crise avec de grosses difficultés. Et puis, parce que des choses ne vont plus... Les sommes faramineuses qu'on verse à certains joueurs choquent la société. Les transferts faramineux choquent aussi la société. Il va falloir atterrir ! Et en même temps, il y a des inégalités au sein du football qu'il va falloir traiter, parce que si on parle des sommes faramineuses, il y a aussi des joueurs qui vivent moins bien du football et qui ont des carrières courtes.
Vous pensez que tout ça demande un équilibre ?
Oui. Et il sera nécessaire d'articuler un peu les relations entre le football professionnel et amateur. Car il ne faut pas oublier que le foot amateur est le socle qui permet au foot professionnel de se développer correctement ou non. Il y a un problème culturel à traiter. Il ne faut pas que le monde pro l'oublie. On vient tous de là. Je me souviens bien... On a passé quelques années en National, et ça a été très difficile. Il faut penser à ces centaines de millions de jeunes qui s'amusent avec le foot, sans arriver dans le monde pro, mais qui au final lui donnent aussi sa valeur. Ils aiment les stars et les génies, mais il y a peut-être des choses qu'ils aiment moins là-dedans... Il va falloir prendre le temps de traiter tout ça en se penchant sur cette transformation de notre modèle, même si on a déjà des enjeux très sévères à gérer à court terme.
"Les présidents de Ligue 2 tendent vers cette idée"
Le bureau du Conseil d'Administration de la LFP a été convoqué jeudi. Qu'en attendez-vous ?
Qu'ils prennnent enfin la mesure de l'arrêt des compétitions, qui aurait pu être mieux préparé. Je pense que l'urgence sur le plan économique est de veiller à ce que tous les moyens soient mobilisés pour permettre aux clubs de passer ce cap difficile. Je sais que certaines difficultés dans les clubs ne datent pas de la crise du coronavirus. Il ne faudra pas tout mélanger, mais essayer d'éviter des catastrophes. Et sur le plan sportif, on devra adopter des solutions qui évitent les injustices et les recours. Je plaiderai pour qu'on tienne compte de tout ça dans les scénarios de montées et de descentes qui seront choisis pour la Ligue 1, la Ligue 2 et le National, puisqu'il est connecté à la Ligue 2. J'espère - et ça me parait tout à fait envisageable - qu'on pourra jouer les barrages et les playoffs d'accession L1-L2.
De quelle manière ?
Autant je trouve délirant qu'on puisse terminer la saison en juillet, comme certains commencent à le dire. J'ai vu Gérard Lopez, et même Jean-Michel Aulas. Autant je pense qu'on peut jouer les barrages et les playoffs fin juillet ou début août, à condition que la crise épidémique ne court pas jusque là. C'est le virus qui commande. Mais si on peut redémarrer, même à huis clos, il faut jouer ces barrages et ces playoffs. Ce serait équitable, d'autant que le 3e (Ajaccio), le 4e (Troyes) et le 5e (Clermont) de Ligue 2 sont tous très près du 1er (Lorient). Ils sont détachés du 6e (Le Havre). Et pour avoir joué les barrages l'an dernier, je sais que j'aurais été très frustré si on me les avait enlevés au dernier moment. Je défendrai aussi l'idée qu'il puisse y avoir 22 clubs en Ligue 2 la saison prochaine, afin d'éviter les descentes automatiques. C'est quelque chose à laquelle la Fédération est très opposée, parce que ce n'est pas le schéma qu'elle a retenu dans le monde amateur, mais ce serait justifié d'autant que le matelas dont disposent les deux clubs de L1 qui vont descendre est bien plus impressionnant que les moyens qu'on donne aux deux clubs de L2 pour se retrouver en National. On peut le faire cette année, quitte à ce qu'il y ait quatre descentes automatiques à la fin de la saison. J'ai l'impression que les présidents de L2 tendent vers cette idée qui consisterait à caser les 5 ou 6 matches cet été, de la même façon que Noël Le Graët prévoit de reprendre avec la Coupe de France. Ça me paraît jouable et je pense qu'on peut s'entendre sur ce consensus.
On pensait que l'idée d'un championnat à 22 équipes était écartée, mais vous assurez que non. C'est donc encore possible ?
Oui, c'est possible. Je crois que la situation de la Ligue 1 et de la Ligue 2 est très différente. La descente pour les deux derniers de Ligue 1 (Amiens et Toulouse) est sans commune mesure avec la situation des deux derniers de Ligue 2 (Le Mans et Orléans). Autant je ne vois pas la L1 repartir à 22 - et d'ailleurs je crois qu'il n'y a pas de consensus là-dessus - autant je crois que la L2 est prête à faire cet effort pour une année. Le tout est d'essayer de convaincre Noël Le Graët et l'Assemblée Générale de la Ligue, qui est majoritairement contrôlée par la Ligue 1. Tant pis si la L1 n'adopte pas la même chose, mais elle ne doit pas empêcher la L2 de proposer un compromis de ce type. Après, il faudra convaincre la FFF, ce ne sera pas facile... Mais à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Si ça dure une année, ça peut être valable. Tout le monde saura qu'il y a quatre descentes. La compétition sera acharnée, mais elle se déroulera de façon transparente.
"Tant pis si la L1 n'adopte pas la même chose"
Le Paris FC est 17e, et donc maintenu in-extremis à priori. Y'a-t-il un scénario qui pourrait vous faire descendre ?
Non, il n'y a aucun scénario qui puisse nous menacer aujourd'hui. Les règles sont claires. On est ni barragiste, ni relégable. Mais je sais d'où l'on vient. Il me semble qu'à la 70e minute du match contre Troyes, on était 19e. Ça s'est joué à très peu de choses. Le Mans s'est fait rejoindre à Chambly et Niort était l'autre concerné... On a gagné deux places dans le dernier quart d'heure. Merci à Vincent Demarconnay qui a arrêté un penalty d'ailleurs ! On n'est plus menacé, et ça me permet de m'exprimer librement, même si je le fais depuis un moment pour l'intérêt général, et pas uniquement pour l'intérêt de mon club.
Que va-t-il se passer pour les joueurs avec cette trêve longue et inédite ? Comment comptez-vous gérer cela ?
C'est évident qu'avec un arrêt aussi long, les 5 ou 6 semaines de préparation foncière vont se transformer en 7 ou 8 semaines. On va sûrement devoir commencer à peu près au même moment, à la fin juin, tout en poursuivant un petit peu plus longtemps que d'habitude. Car je crois que l'on ne démarrera pas le championnat avant la mi-août ou la fin août. Je fais confiance à mon staff technique et aux préparateurs athlétiques pour organiser cela au mieux, tout en espérant qu'une date de reprise de la compétition sera fixée assez vite. Peu importe si c'est le 23 août, le 25 août ou le 1er septembre. On doit y voir clair ! Car comme toute l'économie française et mondiale aujourd'hui, on navigue à vue. Il y aura des innovations, surtout avec ce confinement. Les joueurs ont eu une pression psychologique énorme, comme mes salariés et consultants. On a beau maintenir le lien et échanger, il faut voir comment ils vont sortir de cela. Il faudra les déconfiner sur ce plan-là. On s'y prépare et ce sera forcément un peu plus coûteux que d'habitude.
Quid des contrats ? Allez-vous prendre les devants à ce sujet ?
Maintenant qu'on sait qu'on ne continuera pas la compétition en juin et juillet, tout est plus clair. D'ailleurs, j'avais soulevé la question des fins de contrat au 30 juin, en cas de rerise du championnat. Et même si on pouvait faire des avenants, je pense que ça n'aurait pas été simple car les joueurs auraient eu le droit de refuser. Dans leur tête, certains sont déjà dans d'autres clubs, et je ne suis pas sûr qu'on aurait pu les mobiliser facilement. Maintenant, on va clarifier la situation des uns et des autres. Ceux qu'on garde, ceux qui veulent partir. On va faire en sorte qu'ils gèrent du mieux possible la suite de leur carrière. Je pense qu'ils le méritent avec cette période de confinement, qui a pu être angoissante. Mais vous noterez qu'on n'a pas perdu de temps pendant cette période parce qu'il faut déjà préparer la saison prochaine. On a prolongé notre capitaine Cyril Mandouki pour quatre ans. On a avancé avec Axel Bamba. Et on annoncera quelques signatures assez rapidement quand ça se décantera...
Propos recueillis par Benjamin Quarez


