Au PSG, la Seine-Saint-Denis est bien représentée. Bondy à Kylian Mbappé et Montreuil, Nordi Mukiele. A cette courte liste, on peut ajouter Romainville. Coincée entre les Lilas, Bagnolet et Noisy-le-Sec, cette ville, que le métro ne reliera à Paris qu’au cours de la nouvelle année, reste assez méconnue des Franciliens. Elle a pourtant quelques arguments à faire valoir.
Le Trianon, son cinéma, a accueilli l’émission « La Dernière Séance », présentée par Eddy Mitchell dans les années 1990. Et quelques sportifs de renom comme Marie-Claire Restoux (championne olympique de Judo à Atlanta), Stéphane Diagana (champion du monde du 400m haies) et Basile Boli y ont vécu.
À ce palmarès, il faut désormais cocher le nom de Warren Zaïre-Emery. Le jeune milieu de terrain (16 ans) a signé son premier contrat professionnel en 2022 et fait désormais partie de l’équipe première. Il a touché ses premiers ballons ici, dans ce quartier pavillonnaire à proximité du lycée professionnel, situé entre la place du marché et la cité Youri Gagarine.
Warren, ses trois frères, dont les prénoms commencent aussi par un W (Wesley, William et Wayne) et ses parents vivent au troisième étage d’une petite résidence modeste des années 1970. Entre les deux bâtiments, les enfants ont pris leurs habitudes et se servent de la cour comme d’un terrain de foot. Les arbres, les buissons font office de cage, le sol alterne entre le béton et l’herbe mal coupée, le ballon résonne, les frappes claquent. Surtout celle du jeune parisien.
A trois ans, il accompagne son père sur le banc du FCM Aubervilliers
Sous les yeux de son papa adossé à la fenêtre, il passe une grande partie de ses loisirs sur ce terrain de football presque imaginaire, où un but a même été dessiné à la bombe sur l’un des murs. Ce virus nommé football, le cadet l’attrape dès le plus jeune âge au point de contaminer plus tard l’aîné et le benjamin de la fratrie. « On ne sait pas vraiment comment c’est arrivé mais dès ses un an il était tout le temps avec un ballon », se remémore Gessie sa maman.
L’explication est peut-être à regarder dans ses antécédents familiaux : son arrière-grand-père paternel a joué au FCM Aubervilliers et a refusé de rejoindre Sochaux, quand son papa a fait partie du groupe pro du Red Star, de 1996 à 1998. C’est avec ce dernier qu’il entretient la flamme.
À l’aube de sa troisième année, Franck Emery, coach des jeunes féminines du Red Star, l’emmène déjà à l’entraînement et l’invite sur le banc durant les matchs. Sur le bord du terrain, au pied de la tribune, Warren échange ses premiers ballons avec les filles et les jeunes garçons entraînés par le paternel.

À quatre ans et demi, il foule le carré vert pour ses premiers entraînements sans pour autant avoir de licence. « Quand j’ai voulu l’inscrire au football, on m’a dit : ’’à partir du moment où il sait faire ses lacets tout seul, il n’y a pas de problème’’ ». Les mois passent, les aptitudes se voient et alors qu’il dispute ses premiers matchs, le gamin ne passe pas inapercu : tout le monde remarque Warren !
« A l’école, les maîtresses répétaient qu’elles ne voulaient que des Warren »
« Au début, c’était sa grand-mère qui venait voir les matchs à Aubervilliers car je ne pouvais y aller à cause du travail, se souvient Franck qui travaille toujours à La Poste. À un moment donné, on n’arrêtait pas de me répéter qu’il était bon, donc je me suis arrangé pour aller le voir le samedi. »
D’Aubervilliers à Romainville, l’impression se confirme. Un après-midi alors que Warren n’a que 8 ans, il part jouer sur le City stade de la cité Marcel Cachin, les plus grands terminent la partie et rentrent chez eux. Pas le futur joueur du PSG. Lui se rend au stade municipal pour jouer avec d’autres, plus âgés. Et alors que son père, inquiet, fait le tour de la ville pour le retrouver, il l’aperçoit balle au pied sur le terrain.
« Quand j’arrive, je suis fâché, énervé mais je suis aussi rassuré. Et quand je m’approche, je le vois jouer avec des plus grands que lui, et tout le monde disait qu’il était bon, qu’il se débrouillait bien pour son âge, raconte son père. Au lieu d’aller le récupérer et de lui demander ce qu’il faisait là, je l’ai laissé faire et j'ai pris du plaisir à le regarder. En rentrant, je n’ai pas vraiment réussi à l’engueuler, même si j’ai dit le contraire à sa mère. »

Malgré cette incartade, le garçon n’est pas un turbulent et même plutôt réservé. De ses professeurs, en passant par ses éducateurs ou entraîneurs, tous sont unanimes. « Enfant, il était très calme, travailleur et serviable. A l’école, les maîtresses répétaient qu’elles ne voulaient que des Warren. Et d’ailleurs maintenant, il est toujours pareil », confie Gessie sa maman qui se rappelle d’un adolescent qui n’a pas subi le choc du départ de la maison lorsqu’il a rejoint la préformation du PSG. « Il n’a pas eu de mal, il était serein. Il n’a jamais eu de plaintes ou de moments difficiles ». « Très tôt, il savait déjà ce qu'il voulait faire. Le foot, foot et rien que le foot », ajoute Ghislain sa grand-mère.
Logistique, lever de rideau et bouchons
Avec Paris, tout a commencé dès l’âge de 7 ans, lorsque l’écho de son potentiel remonte jusqu’à un recruteur parisien qui connaît bien le paternel pour avoir évolué avec lui du côté d’Aubervilliers. Dès octobre 2013, le gamin passe ses mercredis au camp des Loges pour une série d’essais qui dure. En avril 2014, il choisit de prendre sa licence dans le club de la capitale pour rejoindre l’association PSG et participer pendant trois années consécutives au lever de rideau de la finale de la Coupe de la Ligue contre Lyon, Lille et Bastia.
Cette nouvelle orientation implique d’abord quelques avantages. Warren Zaïre-Emery profite des invitations de son nouveau club pour briller dans des tournois plus prestigieux et mieux organisés. De l’Alsace à la Corse en passant par l’Italie et l’Espagne. Mais aussi quelques inconvénients.

La trentaine de kilomètres qui sépare Romainville de Saint-Germain-en-Laye nécessite une organisation parfois lourde et quelques sacrifices, de temps et d’argent, pour l’emmener à l’entraînement. Le lundi, c’est d’abord le papa qui s’y colle, quand Ghislaine, la grand-mère maternelle, qui ne rate aucun match depuis sa tendre enfance, s’en charge les deux autres jours de la semaine.
« J'allais le chercher à l’école ou je le récupérais sur le parking du Leroy-Merlin à côté du stade de France et je l’emmenais à l’entraînement, se souvient cette ancienne employée de la caisse d’assurance nationale vieillesse. Ça pouvait durer jusqu’à 20h et avec les bouchons on revenait parfois après 22 heures. »
« L’un des seuls pour lequel je me suis dit très vite qu’il avait tout pour y arriver »
Dans la voiture, le garçon fait ses devoirs, n’initie que très peu la conversation. « ll fallait lui poser des questions car il est plutôt calme et réservé», se remémore celle qui a glané autour des terrains parisiens les surnoms de « Mamie Warren » ou « Mamie Gigie ». En plus des entraînements, elle et son fils Franck sont de tous les déplacements pour voir le milieu de terrain, qui a aussi pu évoluer en attaque et en défense centrale. « Avec Franck, on est allé plusieurs fois en Corse mais aussi en Espagne ou en Italie pour le voir sur différents tournois. »
Pas un retard aux séances, pas un tournoi manqué, de nombreux trophées glanés et souvent des titres de meilleurs joueurs. « Warren avait ce truc en plus et une belle intelligence de jeu. J’ai vu passer quelques jeunes qui ont découvert le niveau professionnel mais il est l’un des seuls pour lequel je me suis dit très vite qu’il avait tout pour y arriver», rappelle l’un de ses coachs de l’association qui précise que Warren Zaïre-Emery a toujours été surclassé à Paris. A tel point que le club de la capitale le fera entrer avec un an d’avance au sein de sa préformation (à 12 ans) puis de sa formation (à 14).

La fin d’un casse-tête logistique pour ses parents qui poursuivront les allers-retours essentiellement pour voir les matchs du week-end ou d’autres compétitions. Au centre, il bénéficie avec Senny Mayulu (lui aussi entré à la formation en avance) de cours presque particuliers et effectue une scolarité sérieuse qui l’amènera à passer son bac STMG en 2024.
Côté terrain, sa dynamique de surclassement suit son cours, il a quinze ans quand il surfe déjà sur les matchs de Youth League, où les adversaires de trois ou quatre ans plus vieux le regardent avec stupéfaction. À 16 ans, 6 mois et 29 jours, Zaïre-Emery, apparu à 6 reprises avec le pros cette saison (dont une fois en Ligue des champions contre le Maccabi Haïfa*), sera pour la première fois titulaire avec le PSG en Coupe de France face à Châteauroux. Cela valait bien le coup de faire tous ces kilomètres.
* A 16 ans et 7 mois, il est devenu le plus jeune joueur de l’histoire du club parisien à faire son apparition en C1.


