Mohamed Salah Matteo Darmian Liverpool Manchester UnitedGetty Images

Liverpool-Manchester United : zoom sur la rivalité qui secoue le foot anglais

Il y a quelques années, Wayne Rooney avait clamé son désir farouche de battre Liverpool. Peut-être plus que Manchester City. Peut-être plus qu’Arsenal, aussi. La sortie de l’attaquant anglais n’avait étonné personne parce que c’est un enfant d’Everton. L'enfant de Croxteth, un quartier Est de Liverpool, a rejoint son cocon natal, mais il a longtemps incarné Manchester United. Son discours contre les Reds avait tout pour charmer le peuple d’Old Trafford. C’était un appel à l’histoire. Et les aversions nourrissent l’histoire.

Une fois de plus, ces deux institutions voisines se retrouvent pour en découdre après l'heure du thé. Il y aura des tacles, des chants, des intimidations et quelques buts, peut-être. Anfield est prêt à s'embraser. 

Un canal et les Beatles, jalousies réciproques

L’appellation de ce classique, le Derby of England, se suffit à elle-même pour mesurer sa portée dans le paysage du football anglais. Au contraire d’un Clasico espagnol, la notion de derby n’a rien d’une usurpation pour deux villes distancées de 55 kilomètres, et qui ont écrit les plus belles pages du pays sur les scènes nationales et européennes.

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Dans les clubs qui comptent en Angleterre, deux oppositions isolent Liverpool et United du reste : le contraste géographique de ces cités du nord-ouest avec l’éclat de Londres, au sud (Arsenal, Chelsea, Tottenham et une bonne dizaine de clubs professionnels), et le poids du passé contre les nouveaux-riches du pays (Chelsea, encore, et surtout Manchester City).

Les deux entités se ressemblent sur de nombreux points, mais ces similitudes ne les rassemblent pas. C’est une autre curiosité. Car avant de s’affronter sportivement, Manchester - dont United a longtemps été l’étendard - et Liverpool baignent surtout dans le même bassin industriel, et cette atmosphère se répercute dans leurs passions communes. Le football n’en est qu’une parmi d’autres, comme la musique. Liverpool a ses Beatles. Manchester a les Bee Gees, ou Oasis. Si l’on dit de l’Angleterre qu’elle est le berceau de la culture populaire, Liverpool et Manchester y ont une place particulière. Pour les deux anciennes agglomérations du Lancashire, il est aussi question de suprématie sur ce terrain qui dicte le quotidien des Britanniques.

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Avant cette lutte contemporaine, Manchester avait attisé les braises en se détachant économiquement de son voisin avec l’ouverture d’un canal, le Manchester Ship Canal, pour le transport de ses marchandises (le coton, notamment). Nous sommes au 19ème siècle, en 1894, et c’est ici que se situe le point de rupture entre les habitants des deux villes. Pour se libérer des taxes portuaires, Manchester avait marqué son indépendance en évitant le fameux port de Liverpool. L’épisode a traversé les générations…

Ferguson, Liverpool et son "putain de perchoir"

Comme le foot se marie à la société de l’autre côté de la Manche, cette jalousie de proximité s’est déplacée sur le terrain du sport roi, au gré de leurs exploits. Man United a rattrapé (et doublé) son ennemi en Premier League pour mener la danse (depuis peu), avec 20 titres contre 18 pour les Reds, mais le club de la Mersey a empilé 5 Champions League dans sa vitrine, contre 3 pour les Red Devils. Bref, ces deux-là ont souvent nagé dans les mêmes eaux, et aujourd’hui encore, ils se rejoignent dans leur désir de retrouver les sommets du football anglais.

Il faut concéder, aussi, que la comparaison aurait un peu moins de sens si l’ère Ferguson n’avait pas permis à United de combler son retard. L’Ecossais a posé ses valises à Manchester en 1986. Avant ses faits d’arme, il avait une gouaille qui le fit entrer dans les cœurs. Un soir d’automne, il avait ainsi lâché, avec aplomb, une de ces phrases qui font son personnage. "Nous allons faire descendre Liverpool de son putain de perchoir !" . Les Reds comptaient alors neuf titres de plus que leur rival, et Ferguson n’était pas encore Sir Alex...

Des anecdotes à l’irrévérence

Comme tous les derbies, les United-Liverpool ont cette saveur épicée qui les rend appétissants, mais la frontière entre l’anecdote piquante et la pensée nauséabonde est parfois ténue. Eric Cantona, par exemple, avait ce petit quelque chose dans l’attitude pour émoustiller la foule d’Old Trafford. Il est devenu le King au terme de la saison 1992-1993, lorsque United est remonté sur le toit de l’Angleterre après 26 ans de disette. Cantona était comme ça. Dans les grands combats qui l’opposaient à Liverpool, le Frenchie a toujours gardé son allure chevaleresque. Une image reste dans toutes les mémoires, comme une photographie, un instantané de ce que dégageait le King. De retour de ses 8 mois de suspension (pour son kung fu sur un supporter de Palace), le 1er octobre 1995 et contre Liverpool, il inscrit un but sur pénalty et délivre une passe décisive pour Nicky Butt. Score final 2-2, une Marseillaise retentissante dans les travées et des quolibets vite remballés par les fans de Liverpool.

Eric Cantona Manchester UnitedGetty

Mais ces affrontements ne se sont pas toujours déroulés dans les règles de l’art, et la bassesse se substitue parfois à la noblesse d’une joute féroce. Le talentueux Luis Suarez, par exemple, avait écopé de 8 matches de suspension pour avoir proféré des mots racistes à l’encontre de Patrice Evra, avant que le Français et quelques autres Mancuniens ne refusent de serrer la main au goleador uruguayen lors du match retour.

À cela s’ajoutent les épisodes dramatiques traversés par les deux rivaux, et bafoués, aujourd’hui, sur l’autel de l’animosité. Le club mancunien avait été victime d’un crash aérien qui engendra 23 morts en 1958, et l’écurie des Scousers a été frappée par les tragédies du Heysel (39 morts), en Belgique, et de Hillsborough (96 morts). La détestation a pu prendre des proportions inquiétantes lorsque les supporters des deux camps ont froissé ces tristes pages de l’histoire en clamant des chants pour faire référence à ces tragédies, et déstabiliser l’autre camp…

Tout cela résume la singularité de ce derby. Ce samedi, Liverpool et Manchester United se présenteront avec l’appétence de deux clubs conquérants et revanchards, portés par le vent de la révolte pour reconquérir l’Angleterre. Deux clubs obnubilés par leur rivalité, toujours. Deux clubs qui se maudissent pour s’étalonner, et grandir. Deux clubs qui ont besoin l’un de l’autre, finalement, comme l’a parfois rappelé Sir Alex Ferguson. Avant de prendre sa retraite, l’Ecossais l’avait marmonné : "ça ne changera jamais"

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