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Rétro finales de CAN (4/4) - Cherif El-Ouazzani : "Voir le drapeau algérien flotter sur le toit de l'Afrique, il n'y a rien de plus beau"

C'est le jour J. L'Algérie et le Sénégal s'affrontent ce soir au Caire à l'occasion de la finale de la 32e édition de la CAN. Un rendez-vous à ne rater sous aucun prétexte. Pour surfer sur cet évènement et faire monter la température, la rédaction de Goal vous a fait découvrir (ou redécouvrir) quelques-unes des précédentes épopées victorieuses et ce à travers le témoignage d'anciens champions du continent. Ce vendredi, le quatrième et dernier épisode est consacré à l'Algérie de 1990, celle qui a offert au pays son seul et unique Graal continental (jusqu'à ce soir ?). Pour nous livrer le récit de cette aventure, nous avons pu compter sur le témoignage de Tahar Cherif El-Ouazzani. Cet ancien capitaine des Verts avait illuminé le tournoi par sa classe et il s'en souvient comme si c'était hier, avec à la fois beaucoup de nostalgie et aussi de bonheur.


"Jouer un tournoi à domicile ce n'est pas aussi facile que les gens le pensent"


Dans quelles conditions avez-vous abordé la CAN victorieuse de 1990 ?

Tahar Cherif El Ouazzani : Ce n’était pas facile. On restait sur cet échec en éliminatoires du Mondial 1990. Et c’était une vraie catastrophe pour nous. C’était trop difficile au Caire (ndlr, en barrage contre l'Egypte deux mois avant la CAN). Il y avait une énorme pression, sûr et en dehors du terrain, et on n’a pas su faire abstraction. Les deux, trois mois qui ont suivi ont été compliqués. De plus, il y a eu l’absence de Lakhdar Belloumi, notre grand joueur de l’époque. Le sélectionneur de l’époque Kermali et tout son staff ont fait en sorte de bâtir un groupe nouveau, afin d’effacer le désastre du Caire. Ce n’était pas facile, mais je leur tire mon chapeau pour avoir su remobiliser tout le monde en un temps record. Le contexte était compliqué donc, mais d’un autre côté, on a aussi pu compter sur notre public et ça c’était un vrai plus. Jouer devant 100 000 spectateurs te poussait à répondre présent et à se donner à fond. Il y avait aussi de la crainte, car ce n’est jamais facile de jouer à domicile quoi qu’on en dise. Mais grâce à Dieu, on a réussi à remplir notre objectif. L’apport des anciens comme Madjer, Megharia, Osmani et Menad a aussi été précieux. On a donné de la joie à tout le monde et c’est ce qui compte au final.

Les circonstances étaient aussi particulières dues à la période instable que traversait le pays. C’était le début de la décennie noire. Est-ce que ce facteur-là ajoutait encore plus de pression sur vos épaules, ou était-ce une source de motivation supplémentaire ?

Je dirais les deux. C’était notre quotidien. Cette situation politique, on la vivait et subissait tous les jours. Et vous savez, en Algérie, il n’y a que deux choses qui comptent : le football et la politique. Il y avait beaucoup de problèmes extra-sportifs et c’est sûr que cela a eu une influence sur nous. Mais il fallait aussi qu’on soit à la hauteur, et qu’on obtienne le meilleur résultat pour donner du baume au cœur aux gens. Il y avait une double mission : il fallait tout faire pour notre football et notre drapeau, et aussi montrer que malgré nos soucis, on sait rester unis et dégager une bonne image aux yeux du monde. Donc oui, c’était difficile, mais grâce à Dieu, on a obtenu ce trophée. On a fait beaucoup d’efforts pour l’avoir. Et c’était un immense honneur d’avoir hissé haut les couleurs du pays durant cette compétition. On avait de vrais hommes au sein de cette équipe. Et même si on parle plus de ceux qui ont joué les Coupes du Monde 1982 et 1986, cette équipe-là était très performante et avec un excellent état d’esprit. C’était une génération courageuse et avec de grands footballeurs. On a démontré ce qu’on valait et au moment où il le fallait. On a obtenu cette étoile, et on espère que la sélection actuelle en cueille une deuxième.

Sur le plan personnel, vous étiez déjà un élément important de la sélection vu que vos débuts en sélection dataient de 1984. Mais, il s’agissait de votre premier tournoi international, car vous n’étiez pas présent lors des CAN 1986 et 1988, ni lors du Mondial 86. Pourquoi ce paradoxe ?

Oui, ma première sélection datait de décembre 1984 lors d’un tournoi amical disputé à Abidjan en Côte d’Ivoire. C’était avec monsieur Rabah Saadane. C’est vrai que je n’avais pas été retenu pour les tournois qui ont suivi. En 1986, il y avait notamment une grande concurrence et il fallait l’accepter. C’était les choix du coach, et moi j’étais encore jeune à l’époque. En 1984, je n’avais que 18 ans. Mais j’étais régulièrement convoqué. En 1988, pour la CAN au Maroc, j’aurais pu y être. Mais Guennadi Rogov a décidé au dernier moment de ne pas m’y emmener. C’est une question de chance aussi. Dans le football, on ne maitrise pas tout. Il peut y avoir aussi d’autres raisons à ma non-convocation, mais je préfère ne pas en parler et dire simplement que c’est le destin. Finalement, j’ai été retenu pour la CAN 1990 et c’est le tournoi qui compte car c’est celui qu’on a gagné. Et puis, je tiens aussi à rappeler que dans les années 80, j’étais régulièrement désigné parmi les meilleurs joueurs du championnat national. Ce qui est sûr c’est que je n’ai jamais baissé les bras, et je me suis toujours battu pour gagner ma place en sélection. Le regretté Kermali et son staff m’ont fait confiance et je leur serai à jamais reconnaissant. Je pense notamment à Noureddine Saadi, qui m’a eu en juniors. Et puis, vous savez, quand l’entraineur te manifeste sa confiance et croit en toi, ça t’amène à te surpasser et donner le meilleur de toi-même. La confiance joue un rôle.

Et en 1990, même si c’était votre premier tournoi, il y avait ce sentiment que vous étiez déjà un cadre et un élément important au sein de l’équipe. Vous étiez un vrai taulier…

Pour être honnête avec vous, en 1990, j’étais animé par la volonté de prouver à tous ceux qui ne m’avaient pas convoqué auparavant, que j’avais ma place au sein de la sélection nationale. Surtout par rapport à la CAN 1988, où ma non-convocation m’a vraiment touché. Je voulais prouver à tous ces gens qu’ils ont tort. Car même si j’étais jeune, j’avais ma place. Moi, j’ai toujours continué à travailler. Le football, c’était ma vie, mon métier et ma passion. Et jouer en sélection a toujours été mon objectif. Même lorsque j’étais un jeune joueur au MC Oran. Et donc en 1990, j’ai essayé de donner le meilleur de moi-même et grâce à Dieu j’ai fait un très bon tournoi. J’ai été élu deuxième meilleur joueur du tournoi et aussi deuxième au classement du Ballon d’or africain 1990 derrière Roger Milla. J’ai marqué un but et j’ai participé à la conquête de la seule Coupe d’Afrique de l’Algérie jusqu'à cette année.

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Classement du Ballon d'Africain 1990 avec Cherif El-Ouazzani à la 2e place (Crédit photo : France Football)

"Les 90 minutes de la finale, on dirait qu'elles ont duré 90 jours"


Racontez-nous le match de poule contre l’Egypte, vous aviez à cœur de prendre votre revanche après ce qui s’était passé en éliminatoires du Mondial trois mois auparavant ?

Bien sûr. Vu ce qui s’est produit au Caire, on était gonflé à bloc. Même si le staff a fait reposer quelques cadres, tout le monde était concentré et déterminé pour remporter ce match. Certes, eux, n’avaient pas non plus joué avec leur meilleure équipe, mais il fallait absolument l’emporter. C’était une question d’honneur. On avait notre fierté et on voulait prouver qu’on restait les meilleurs. Et c’est ce qu’on a réussi à faire.

Vous vous êtes qualifiés plutôt aisément pour les demies, mais à partir du dernier carré les matches sont devenus plus serrés. Et on sentait aussi plus de nervosité et la crainte de mal faire chez vous. N’est-ce pas ?

Exactement. Surtout le match contre le Sénégal (2-1). Il y avait une énorme pression sur nous. On n’avait pas le droit d’échouer. Le Sénégal avait une très bonne équipe à l’époque, avec notamment Jules Bocandé dans ses rangs. C’étaient tous des professionnels, évoluant en Europe. Et ils avaient un bon collectif. Nos jeunes joueurs étaient donc un peu inhibés. La pression était énorme, je le répète. Et, durant le match, c’était plus compliqué sur le plan mental que footballistique. Et j’ai senti chez nous, à travers notamment les propos d’avant-match de certains joueurs, qu’il y avait une crainte. Et pas que chez les jeunes, même chez les anciens. Un jeune pouvait être insouciant, mais un élément plus expérimenté, il savait que cette chance-là ne se représenterait plus. Il y avait une énorme responsabilité par rapport au peuple et aux supporters. Il y en a qui n’ont pas dormi lors des jours précédant le match. On était dans un hôtel, pas loin du 5 juillet et on ressentait toute cette attente. Heureusement, finalement, on est parvenus à l’emporter. C’était compliqué, ils auraient pu nous battre, mais la chance était de notre côté. Une chance qu’on a provoquée en montrant notre valeur.

Et le dernier match contre le Nigeria ? Cette seule finale victorieuse de l’Algérie…

C’était totalement différent du match de poule où on les avait affrontés (5-0). Pour cette entrée en matière, il y avait de l’enthousiasme, c’était plus festif et on était transcendés par cette atmosphère. C’était aussi le premier match post-élimination du Mondial et donc on était revanchards. Mais la finale, c’était autre chose. Il y avait du trac et les jambes aussi étaient lourdes. Et même le Nigeria, a joué de manière plus défensive et en musclant son jeu. Ils étaient costauds et très combatifs. Ils ne nous ont pas laissé beaucoup d’espaces. Il y avait très peu d’occasions nettes. Le match était très tactique et haché. Heureusement qu’on a eu Oudjani pour nous sauver la mise, lui qui était très discret lors des matches précédents. Il marque à la suite d’un bon contrôle orienté et une superbe frappe. Personne ne s’attendait à cet enchainement de sa part. Il nous a libérés. Et nous, derrière et au milieu de terrain, on a fait le boulot pour préserver ce score. Ça a été difficile, et ces 90 minutes, on dirait qu’elles ont duré 90 jours. C’était trop, mais grâce à Dieu, on a fini par gagner et on a donné de la joie aux supporters. Grâce à cette CAN, on s’est aussi fait un nom, chacun de nous. Et moi je remercie tous les membres de cette équipe. Ils ont beaucoup donné, mentalement, physiquement et se sont beaucoup sacrifiés. Et même si notre presse et nos médias ne parlent pas beaucoup de 1990, ce n’est pas grave. On a marqué l’histoire, avec cette étoile. Et on a montré notre personnalité. L’essentiel est que l’Algérie a triomphé. On a œuvré pour ça et je suis fier d’avoir participé à ça, et d’avoir hissé haut le drapeau national.

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Crédit photo : La Gazette du Fennec

"Voir les fans jubiler et oublier tous leurs malheurs ça m'a donné la chair de poule"


Justement, racontez-nous les sentiments qui vous parcourent au moment où vous levez la Coupe devant 100 000 spectateurs…

Cette joie, elle est inoubliable et indescriptible. Moi, jusqu’à aujourd’hui, je vis avec. Je ne suis pas nostalgique et je ne me souviens pas de beaucoup de choses, mais ce bonheur, il est indélébile. De plus, lors de cette finale, je me suis blessé. J’ai été touché à l’arcade et j’ai dû sortir. Et on m’a transporté à l’hôpital. Et sur la route menant à l’hôpital, on se retrouve au milieu de tous ces gens qui fêtent le titre. Généralement, ce chemin entre le stade et les urgences, on a besoin de 5 minutes maximum pour le faire. Et nous, on est restés une demi-heure. Et moi j’étais témoin de tout ça, à travers les vitres de l’ambulance et j’entendais tout ce monde scander sa joie. Ça m’a donné la chair de poule. On a senti qu’on a réalisé quelque chose de grand pour notre pays. Et c’était mérité. C’était un aboutissement après tout ce que la sélection avait accompli par le passé. Que ça soit dans les années 80 ou avant. Ce groupe-là était vraiment solidaire et avec de très grands joueurs. Et je le répète, le staff technique mérite aussi beaucoup de louanges. Il a su construire un groupe et l’emmener vers la gloire, que ça soit le regretté Kermali, Saadi, Abdelouahab ou Fergani. Même les médecins, les kinés et j’en passe, je ne les oublie pas. Aussi l’ancien président de la fédération Kezzal, paix à son âme. Il aimait les joueurs, et moi il m’a beaucoup aidé. Tout le monde a fait son boulot et on avait des hommes.

Et sur le plan personnel, est-ce que cette CAN vous a aidé ? A-t-elle lancé encore plus votre carrière, avec notamment cet exil en Europe qui a suivi, et vous a donné confiance en vos capacités ?

Gagner la CAN avec l’Algérie, c’était mon objectif ultime. Moi, à 18 ans, j’étais prêt pour la jouer lorsqu’elle s’est déroulée en Côte d’Ivoire. A 20 ans, aussi. Je n’ai pas été chanceux, et c’est pourquoi il me tenait à cœur de tout faire pour gagner celle-là. J’ai très bien joué, et j’ai livré un excellent rendement. Si Milla ne s’était pas distingué à la Coupe du Monde en Italie, j’aurais été Ballon d’Or. Donc, pour résumer cette CAN, elle m’a aidé oui, mais moi aussi j’ai tout fait pour la conquérir. J’ai tout donné et c’était le but que j’étais fixé dès mon plus jeune âge. J’ai raté la Coupe du Monde, je n’ai pas pu y participer en 1986 et on ne s’est pas qualifiés pour celles qui ont suivi. Et ça restera comme le seul manque dans ma carrière. J’avoue que quand j’entends d’autres anciens footballeurs dire qu’ils ont participé au Mondial, ça me fait mal. Même si j’ai gagné la CAN et que j’étais parmi les grands acteurs de cette conquête. Mais c’est ça le football. Et il y a d’autres grands joueurs qui n’ont jamais eu ce privilège.

Et les CAN 1992 et 1996, vous en gardez de bons souvenirs ?

1992, ça a été compliqué. Le pays était quasiment en guerre, et on n’avait pas vraiment l’esprit au football. On y est allés avec le moral au plus bas et pas du tout concentrés. On était mal préparés aussi. Il y avait trop de problèmes. Par ailleurs, pour cette CAN, il aurait dû y avoir des changements au sein de la sélection. Des jeunes méritaient leur place et n’ont pas beaucoup joué comme Tasfaout, Lounici, Belatoui, Rahem…Ceux de 1990 auraient dû laisser leur place, au moins la moitié d’entre eux. Mais monsieur Kermali a privilégié, l’expérience à la jeunesse. Mais bon, je le dis encore une fois, c’est surtout la situation politique du pays qui nous a pénalisés. On était là-bas, mais on ne pensait qu’au pays. Il y a eu ensuite la CAN 1994 en Tunisie, qu’on loupe en raison d’une erreur administrative (ndlr, un joueur suspendu aligné en qualifications). Cette équipe-là, entrainée par Meziane Ighil, pouvait faire de très belles choses. On était capables de remporter ce tournoi. On avait une grande équipe et on a fait un bon parcours qualificatif, dominant quelques grandes nations du continent. Comme le Ghana, en éliminatoires du Mondial. Et pour ce qui est de 1996, en Afrique du Sud, on est allés en quarts de finale et en faisant de bons matches. On tombe sur le pays organisateur, c’était un manque de chance, car c’est difficile de s’imposer face à l’équipe hôte. On avait égalisé et ils nous ont plantés un deuxième juste après. C’était un parcours honorable. Juste après, on échoue contre le Kenya en éliminatoires du Mondial. Et c’est là que j’ai décidé de stopper ma carrière internationale. Car jouer une Coupe du Monde c’était mon objectif, et vu qu’il fallait attendre six autres années pour éventuellement en disputer une, je n’avais plus le cœur à me battre, même si je n’avais que 30 ans. J’ai préféré laissé la place aux jeunes.

Et aujourd’hui, quand vous vous retournez, et que vous voyez votre parcours en équipe nationale, quels sont les sentiments qui prédominent ?

La fierté d’avoir porté dignement ce maillot. J’en rêvais alors que je n’avais que 5, 6 ans et lorsque je les ai vus briller au Mondial espagnol en 1982, je me suis juré d’y être. Je n’avais alors que 16 ans. Et deux ans après, j’y étais. Donc c’est une fierté et un honneur. La sélection, j’y ai connu beaucoup de hauts et de bas, j’y ai souffert mais c’était un immense honneur. Et merci à ceux qui m’ont aidé. On avait des hommes en sélection et en club et il faut leur rendre le crédit. Grâce à Dieu, j’ai marqué mon passage en sélection et j’ai laissé mon empreinte sur le foot algérien.

Propos recueillis par Naim Beneddra

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