Le 8 juillet 1990, l’Allemagne montait sur le toit du monde pour la troisième fois de son histoire. Un sacre réussi en Italie et au bout d’un remarquable parcours sous la houlette de l'illustre Franz Beckenbauer. Parmi les héros de cette épopée il y avait Jurgen Klinsmann. Auteur de trois réalisations durant la compétition, il a été un acteur majeur du triomphe. Trente ans après, il a accepté de revenir pour Goal sur cette consécration de la Mannschaft. Avec tout le recul nécessaire mais aussi l’expérience très précieuse d’entraîneur qu’il est ensuite devenu. Un Klinsmann très intéressant, et surtout très reconnaissant envers tous ceux qui lui ont permis de réaliser son rêve.
« C’est toujours un plaisir de se faire rappeler ce qu’on a accompli en 1990 »
30 ans après, qu’est-ce la Coupe du Monde représente et signifie pour vous ?
Jurgen Klinsmann : Je pense que pour chaque joueur de football, jouer une Coupe du monde est la plus grande chose qui puisse vous arriver. Et si vous avez la chance d’en gagner une, cela restera avec vous pour le reste de votre vie. Sur le coup, quand vous la remportez, vous ne réalisez pas ce qui s'est réellement passé, vous pensez juste à ce moment de gloire et aux célébrations. Mais plus tard, une fois votre carrière terminée, vous parcourez le monde, vous vous rendez sur des différents continents à travers la planète et vous rencontrez des gens qui vous parlent et vous rappellent ce succès en Coupe du Monde. C’est là que vous vous rendez compte que c'était en fait quelque chose de grandiose. C'est un plaisir de se souvenir de ce qu’on accompli à ce moment-là. Avec son équipe, son pays. Et de partager ce moment avec tant de gens qui l'ont regardé à la télévision ou qui ont peut-être eu la chance d'être dans le stade à l’époque. Quoi qu’il en soit, le titre de champion du monde restera toujours avec vous pour la vie.

La RFA restait sur deux finales perdues de Coupe du Monde en 1982 et 1986. Y avait-il un sentiment de revanche chez vous à l’heure d’aborder ce Mondial 1990 ?
Non, pour nous, il n’y en avait pas. Franz Beckenbauer avait en quelque sorte remodelé toute l'équipe pour la Coupe du monde 1990. C’était donc une sélection nouvelle d'une certaine manière. Vous savez, chaque Coupe du Monde a sa propre histoire, elle a son propre caractère. Après, c’est sûr, que Beckenbauer a beaucoup tiré profit de ce qu’il a vécu à la Coupe du Monde 1986. Un tournoi qu’on avait perdu en finale (ndlr, contre l’Argentine). Je suis sûr qu’il a appris beaucoup de choses de cette édition-là pour ensuite agir probablement différemment en 1990. Pour nous, en tant qu'équipe, c'était surtout très spécial dans la mesure où c’était la première Coupe du monde que nous jouions comme une Allemagne réunifiée. Le mur du Berlin est tombé en 1989 et il y a eu réunification dans la foulée et nous avons donc estimé que c'était la Coupe du monde pour toute l'Allemagne, pas seulement pour l'Allemagne de l'Ouest. Même si officiellement on était appelé RFA parce que les représentants de l’ex-RDA n'étaient pas encore autorisés à concourir pour nous lors de cette Coupe du monde 1990. Il y avait donc cette impression qu’on défendait les couleurs de l’Allemagne toute entière. Et c’était bien sûr un sentiment très spécial de pouvoir le faire.
« Le magnifique but de Matthaus contre la Yougoslavie, un message envoyé à tous nos adversaires »
Lors du premier match, vous battez largement la Yougoslavie (4-1). Est-ce que ce probant succès vous conforte dans l’idée que vous allez être champions du monde. Ou y-a-t-il eu un déclic plus tard dans la compétition ?
Non. En fait, je pense qu’en tant qu'équipe, nous nous sentions très confiants avant le tournoi. Nous nous sentions très forts. Mais je pense que ce match d'ouverture contre la Yougoslavie a été un peu un point d'exclamation que nous mettions vis-à-vis des autres équipes surtout. Nous avons envoyé un message. Et le message le plus fort et le plus symbolique de ce match a été le but de Lothar Matthaus quand il a parcouru 50-60 mètres pour ensuite mettre le ballon au fond. On a tapé fort et c’est donc un message envoyé à toute la concurrence : nous sommes prêts, nous voulons aller au bout ! Et cela nous a portés tout au long du tournoi, ce type de confiance, ce sentiment que nous pouvons faire quelque chose de spécial. De plus, on avait certainement un avantage de pouvoir jouer au stade San Siro de Milan, là où trois d’entre nous évoluaient tout au long de l’année : Lothar Matthaus, Andreas Brehme et moi-même jouions à l’Inter. Et il y avait beaucoup supporters allemands dans les tribunes. Donc oui, c’est sûr que ce match contre la Yougoslavie a été le point de départ de tout et cela nous a offert énormément de confiance.

« Le match contre les Pays-Bas, un choc qui s’est joué trop tôt dans le tournoi »
Parlez-nous un peu du match contre les Pays-Bas en huitièmes. À l’époque, il y avait une grosse rivalité entre les deux sélections et les deux pays. C’était très tendu. Seriez-vous d’accord si je vous dis que c’est le match le plus crispant, et le plus électrique que vous avez eu à jouer durant votre carrière en sélection ?
C'était certainement un match très particulier et très spécial, c’est vrai. La rivalité avec les Pays-Bas remonte à loin. Je pense qu'elle a probablement commencé avec la finale de la Coupe du monde 1974, où la Hollande a estimé qu'elle était la meilleure équipe mais elle a perdu 2-1 contre ce qui était évidemment une grande génération du football allemand avec les Beckenbauer, Vogts, Breitner, Gerd Muller, Overath… et tous ces joueurs incroyables que nous avions dans les années 70. Mais ils avaient l'impression d'être la meilleure équipe avec Johan Cruyff, Arie Haan, Johan Neeskens, une équipe néerlandaise très spéciale. Et pour ce match de 1990, il y avait aussi une rivalité plus fraiche en raison de la demie de l’Euro 88. On avait perdu à domicile contre une fantastique sélection néerlandaise lors de ce tournoi continental. Il y avait en face les Ronald Koeman, Ruud Gullit, Marco Van Basten, Frank Riijkard. Malheureusement, en 1990, les Pays-Bas n’ont fini que troisièmes de leur poule. Donc ils se sont retrouvés contre nous beaucoup trop tôt. Nous savions que c'était une sorte de finale avant la lettre car cela aurait pu être la finale du Mondial. C'était aussi le cas en demi-finale lorsque nous avons rencontré l'Angleterre. C’était assez similaire. De toute évidence, nous avons eu la chance de notre côté ce jour-là. Les Pays-Bas auraient pu marquer très tôt dans le match avec 2,3 occasions nettes non converties. Puis, il y a eu un carton rouge distribué de chaque côté (Rijkaard et Voller) ce qui a changé la dynamique du match. Deux joueurs de moins sur le terrain, je me suis alors retrouvé tout seul en attaque et beaucoup de gens en Allemagne disent que c'était mon meilleur match en sélection parce que j'avais tellement d'espaces pour courir et j'adorais courir à l'époque (rires). J'ai beaucoup aimé ça, cette liberté. Au coup de sifflet final, nous étions du bon côté. Nous l'avons emporté 2-1 et nous sommes passés en quart de finale. Mais, je persiste à croire que vu ce que ce match a donné et l’affiche qu’il représentait, c’était une rencontre qui est arrivée trop tôt dans la compétition.
Vous avez joué vos cinq premiers matches à Milan, dans le fief de San Siro. Est-ce que le fait de ne pas trop voyager a été un facteur important de votre triomphe durant ce tournoi ?
Je pense que oui, c’était incontestablement un avantage pour nous. C'est un stade de 85 000 places, nous avions probablement 60 à 70 000 fans allemands à tous les matchs ou presque. Sauf peut-être contre les Pays-Bas, où c’était du 50-50. Cela nous a assurément aidés pour franchir sans trop de peines les cinq premiers matches. Et puis la distance entre l'Allemagne et l'Italie est un très court trajet en voiture et que j'ai parcouru plusieurs fois à travers la Suisse. En quelques heures seulement vous êtes là-bas à Milan. Donc, beaucoup de fans ont combiné avec leurs vacances dans le nord de l'Italie. Nous avons été submergés par cet immense soutien, nous avions l'impression de jouer presque à la maison, un peu comme l'Italie. Donc oui, c'était définitivement un avantage.

« Beckenbauer a été incroyable et c’était la clé de notre succès »
Quel a été le rôle de Franz Beckenbauer dans ce triomphe ? À quel point était-il important ?
Franz Beckenbauer était et est toujours la plus grande légende que nous ayons jamais eue dans notre histoire, en Allemagne. Et j’irai même plus loin en disant que dans le monde entier, il n’y a qu’avec Pelé qu’il partage ce titre. Pelé et Beckenbauer sont les deux joueurs les plus incroyables de l'histoire du foot. Evidemment, nous pouvons évoquer Ronaldo et Messi, ou encore Maradona et de Cruyff. Mais, je pense qu'en tant que personnalités fortes, en tant qu'ambassadeurs, en tant que leaders et joueurs ayant eu une grande influence, Beckenbauer et Pelé se partagent cette étiquette très spéciale dans notre monde du football. Non seulement il a pu gagner le Mondial en tant que joueur (ndlr, en 1974), mais il nous a guidés aussi pour la gagner en tant qu'entraîneur. Plus tard, il a aussi aidé pour l’obtention de la Coupe du monde 2006 et être notre ambassadeur de club (Bayern) jusqu'à aujourd'hui. C’est vraiment une personnalité incroyable. Il avait l'avantage, comme je l'ai déjà dit, d'être au Mexique en 1986 avec l'équipe. Malheureusement pour l'Allemagne, nous avons perdu cette finale face à l'Argentine contre un très grand Maradona et qui était alors à son apogée. Il (Beckenbauer) avait ce souci du détail. Il regardait toujours les moindres petites choses du jeu, les moindres futilités. De plus, il savait tout sur nos adversaires. Il faisait une préparation minutieuse et nous donnait toutes les informations dont on avait besoin sur l’autre équipe : les individualités, l'approche tactique... Il pensait à tout. Il avait également deux entraîneurs adjoints, avec Holger Osieck et Berti Vogts, qui étaient également axés sur les détails. Nous savions donc que peu importe qui nous jouions, nous allions être bien préparés, nous ne devions pas regarder trop de vidéos sur l'adversaire, nous n'avions pas besoin d'en savoir trop à l'avance car ils (le staff) nous bombardaient de données durant les 2-3 jours qui précédaient les matches. Donc, je pense que son expérience du Mondial 1986 lui a été très bénéfique pour la Coupe du monde 1990. Jusqu'à aujourd'hui, ce qu'il a fait était absolument incroyable et admirable. Et de par sa personnalité, il a su presque détourner la pression de l’équipe. Parce que tout le monde avait les yeux rivés sur Franz Beckenbauer tout le temps. La couverture médiatique était tellement sur lui que nous étions en quelque sorte en arrière-plan et donc complètement détendus. Nous avons toujours dit que s'il y avait trop de caméras ou de journalistes, alors Franz est dans les parages. Le Kaiser, c'est ainsi qu'on l’appelait. Ce fut une expérience merveilleuse de l'avoir comme sélectionneur.
En 2006, vous êtes à votre tour sélectionneur de l’Allemagne. Avez-vous justement tenté de reproduire certaines des recettes gagnantes de 1990 ? Peut-être des habitudes d’entrainement, des approches tactiques, la façon de gérer un groupe de 23 joueurs pendant deux mois... Des détails que vous avez peut-être considérés comme « intemporels » et qui pourraient vous aider à triompher aussi 16 ans après ?
Absolument, j'ai beaucoup appris de Franz Beckenabeur et ensuite de Berti Vogts, en tant que sélectionneur de l'équipe d’Allemagne. Tout au long de chaque tournoi, vous observez votre entraîneur, le staff, les différents départements qui travaillent avec l’équipe, que ce soit le service médical, le service des médias ou le marketing. Vous voyez toutes ces choses et vous observez les coaches comment ils gèrent cela et comment ils s’occupent d’un si gros projet tout au long d'un tournoi. J'ai eu la chance de jouer six grands tournois internationaux: 3 Coupes du Monde et 3 Championnats d'Europe, puis plus tard, quand j'ai pu devenir entraîneur, toutes ces expériences sont revenues dans mon esprit et j'en ai certainement beaucoup tiré profit. Tout au long de ma carrière d'entraîneur, j'ai également demandé à des entraîneurs plus expérimentés ce qu'ils pensaient. Par exemple, quand j'ai entraîné les États-Unis, j'avais toujours eu Berti Vogts à mes côtés. Même en 2006 en tant que sélectionneur de l’Allemagne, j'ai toujours parlé à mes anciens coaches. J'ai même eu à un moment donné Cesar Luis Menotti, qui est venu me rendre visite à Munich pendant la Coupe du monde 2006 et nous avons eu une discussion de deux heures sur la tactique. Et il a tout noté sur un morceau de papier. Il était presque un fan de l'Allemagne, parce que nous avons joué un football très attrayant et offensif. Vous savez, vous êtes toujours un étudiant du jeu et vous essayez toujours d'apprendre. Même aujourd'hui, vous regardez tous les matches de la Ligue des Champions, vous voyez toujours ce qu'un Guardiola, un Ancelotti ou un Mourinho fait... Ce que tous ces entraîneurs font différemment, qu'est-ce qu'ils changent, quels sont leurs problèmes. J'ai beaucoup appris de mes anciens entraîneurs et j'en ai eu des fantastiques tout au long de ma carrière: Giovanni Trapattoni, Osvaldo Ardiles, Menotti, Beckenbauer, Aarie Hahn. Arsène Wenger aussi, avec qui j'ai eu beaucoup de chances de travailler à Monaco. Sans oublier Otto Rehhagel aussi. J'ai donc été très chanceux. Et quand j'ai eu la chance de coacher l'Allemagne en 2006, toutes ces expériences se sont en quelque sorte entremêlées et j'ai essayé du mieux que je pouvais. Nous n’avons pas gagné la Coupe du monde mais nous avons quand même fini troisièmes et en gagnant le coeur de beaucoup de fans au pays. On a été proches du sacre.
Propos recueillis par Naïm Beneddra
