Laurent Bonadei Arabie SaouditeFARHOOD

ENTRETIEN - Laurent Bonadei : "Quand Hervé Renard m'a contacté, je n'ai pas hésité"

Laurent Bonadei vit une aventure qu'il n'est pas prêt d'oublier. Arrivé l'été dernier en Arabie Saoudite pour épauler Hervé Renard à la tête de la sélection, l'ancien Parisien découvre un nouveau football, une nouvelle culture, et une nouvelle approche de son métier. Une expérience riche qu'il a longuement évoquée pour Goal . L'occasion aussi de dire quelques mots sur les nombreux joueurs qu'il a coachés au PSG, et notamment Presnel Kimpembe.

Vous avez décidé de quitter Nice l'été dernier pour suivre Hervé Renard comme adjoint en Arabie Saoudite. Pourquoi ?

Laurent Bonadei : J'étais parti pour rempiler avec la réserve à Nice. Il me restait deux ans de contrat, mais j'avais aussi envie d'évoluer après avoir passé mon BEPF. Mi-juillet, après la CAN, Hervé m'a contacté. Il m'a demandé si ça m'intéressait, et je n'ai pas hésité. J'avais fait 16 ans à la formation et pour moi c'était le bon moment pour vivre une nouvelle aventure, et m'enrichir de l'expérience d'Hervé sur une sélection nationale. Je me rapproche du très haut-niveau avec un challenge intéressant à la tête d'une équipe qui a participé à la dernière Coupe du monde en Russie, et qui souhaite être à la prochaine au Qatar. Je connais très bien Hervé, on s'est rencontrés en 91 quand on jouait ensemble. C'est un ami, je travaille avec des gens bien. Tout était réuni pour vivre une belle aventure avec des copains.

Comment avez-vous rencontré Hervé Renard ? Le courant est-il passé tout de suite ?

Quand j'ai quitté Grenoble, j'ai signé à Vallauris. Hervé était déjà là. C'était le capitaine. Il m'a accueilli et on a tout de suite eu un bon feeling. Je suis le parrain de sa fille. On a toujours partagé des discussions sur les entraînements et les matches qu'on pouvait voir. Lorsqu'Hervé était en recherche de poste, j'avais trouvé intéressant qu'il vienne à Nice pour animer une de mes séances et apporter ses compétences à mon groupe. En 2010, il m'a fait intégrer son staff en Angola. C'était une courte expérience parce qu'on n'avait pas les moyens pour travailler. On a décidé de partir, mais je savais qu'il avait envie qu'on retravaille ensemble. Quand il signe à Lille, en 2015, il voulait déjà me rattacher à son staff, mais il n'en a pas eu la possibilité et j'avais des contacts avec l'OGC Nice. J'ai décidé de quitter le PSG pour passer le BEPF et retrouver un club que je connaissais. Mais là c'était le bon moment.

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Êtes-vous agréablement surpris par le foot en Arabie Saoudite et quelles sont les spécificités du joueur saoudien ?

Ici, les gens aiment le football. On le découvre depuis début août et on a pu le voir dans la région de Dammam, là où on a fait notre stage en septembre. Le soir, dans la rue, il y a des jeunes qui tapent dans le ballon. Le joueur saoudien n'a pas connu une formation comme en Europe. Il se fait par lui-même et arrive très vite avec l'effectif pro sans avoir les bases de formation. Je pense que la Fédé va travailler sur ça. C'est un joueur technique, plutôt endurant, qui a besoin de se faire mal. Il aime beaucoup le jeu. Ici, tous les joueurs, à 99%, évoluent dans le championnat saoudien. Ça nous permet de les suivre et de voir comment ils évoluent. Il y a un vrai potentiel.

"En Algérie, on connaît Mahrez ou Atal par exemple. Là, il a fallu visionner tous les matches"

Comment se passe la vie là-bas ?

On habite tous à Riyad. Hervé a toujours fait le choix de vivre dans le pays où il entraîne. C'est important d'être au contact de la population. On peut travailler plus facilement. On se dispatche les matches et on va voir les rencontres. Depuis un peu plus d'un mois, j'ai commencé à apprendre l'arabe. Je suis des cours tous les jours de manière intensive et j'espère être bilingue au mois de juin. Avec le staff, Hervé et David Ducci notamment, on a une vraie relation amicale. On peut se dire les choses sans être vexé. Chacun apporte sa pierre à l'édifice. Pour moi et ma famille, c'était un choix courageux. J'ai trois filles, ma femme est encore en France. Il a fallu se décider vite, mais je pense que pour nous c'est une belle expérience. Il y a l'école française et américaine. C'est bon pour l'ouverture d'esprit, dans un pays qui est en pleine évolution. J'apprends à le découvrir et il a beaucoup de charme. C'est aussi la première fois qu'un staff français officie auprès de l'équipe nationale. C'est un enjeu important pour nous, même s'il y a déjà eu des coaches français dans les clubs, comme Jean Fernandez.

Pour l'instant, vous êtes à 2 nuls et 1 victoire dans les éliminatoires pour la Coupe du monde. Est-ce un bilan positif ou mitigé ?

C'est "mitigé-positif", je dirais, parce qu'on est arrivé dans l'urgence avec un stage début septembre et peu de temps pour se préparer. Il a fallu vite s'adapter, voir les potentiels, en sachant que lorsqu'on arrive en Arabie Saoudite, ce n'est pas comme en Algérie ou au Maroc. En Algérie, on connaît Mahrez ou Atal par exemple. Là, il a fallu visionner tous les matches. On a constitué un premier groupe, qu'on a modifié lors du deuxième camp et qu'on va améliorer encore sur le troisième. Aujourd'hui, on est invaincu, mais contre le Yemen on peut quand même parler de contre-peformance. On devait les battre et on a fait match nul. On traîne un peu ça comme des boulets même si sur les deux derniers matches on n'a pas encaissé de but. C'est positif. On a remis de la rigueur défensive. Mais notre ambition est de finir premier, on a que 5 points et on en voudrait plus. Il faudra faire un bon résultat en Ouzbékistan, qui est 1 point devant nous. Après, on reçoit trois fois sur la fin. Le calendrier sera positif et il faudra bonifier tout ça.

Vous avez plutôt le profil du formateur, qu'est-ce que ça change d'être adjoint en équipe nationale ?

Il y a moins de temps. On a trois entraînements pour préparer un match. Et derrière, on a 4 ou 5 entraînements pour préparer le second. À la formation, on a un objectif à long terme. On peut avoir plus de patience. Un joueur peut prendre 6 mois ou 1 an pour passer  un cap. Mais là, il faut être performant tout de suite. Ça me plait. Je fais quand même profiter à Hervé de mon expérience de formateur car il aime bien incorporer des jeunes. Dans l'approche de la conception des séances, je lui apporte quelque chose de nouveau, je travaille aussi à la fin des séances pour progresser devant le but. Il faut les faire travailler.

Bonadei RenardGetty

À Paris vous avez entraîné les U17 nationaux puis les U19 nationaux, quels souvenirs gardez-vous de ces années ?

Quand je suis arrivé au PSG, j'ai eu très vite des joueurs formatés pour le très haut niveau. Dès mon premier tournoi à  Doha, j'avais des Adrien Rabiot, Mike Maignan, Moussa Dembélé, Kingsley Coman, Presnel Kimpembe. On était avec des U16 mais l'objectif c'était de gagner. Un mois après, Rabiot intégrait les pros avec Carlo Ancelotti. J'ai beaucoup aimé cette période. Il y avait une vraie passerelle et beaucoup d'échanges entre les pros et la formation. Bertrand Reuzeau ne nous mettait pas la pression pour finir premier. Le résultat était la conséquence du travail effectué et de la qualité des joueurs. Sur chaque match, j'avais 7-8 première année. Il y avait une belle rivalité avec Lille, Lens ou Le Havre. On gagnait 3-2, 4-2, c'était accroché. Dans les rapports humains, dans l'échange, c'était passionnant parce qu'il y avait du répondant. Mes joueurs étaient amoureux du PSG à 100%. Et même si certains ont fait le choix de quitter le club, certains l'ont fait à contrecœur car ce sont des joueurs qui aiment vraiment le club.

À qui pensez-vous ?

Je pense à Moussa Dembélé, à Kingsley Coman aussi. Ils ont fait des choix professionnels pour des raisons qui leur sont propres. Moussa, par exemple, est arrivé à 6 ans, il a été fidèle au PSG jusqu'à l'âge de 15 ans. Quand il part à Fulham, il y a une partie de son cœur qui se déchire. Kingsley part un peu plus tard, mais il aurait pu partir plus tôt aussi.

Que ressentez-vous quand vous voyez leurs parcours maintenant ?

Je suis fier de les avoir accompagnés, d'avoir été un petit maillon de leur évolution et de leur progression. Ça fait plaisir de les voir là. Ce qui me frustre un petit peu, c'est que très vite, après un an au club, j'ai vu une génération impressionnante. J'avais les U17 et je voyais des Areola, Sabaly, Ikoko et d'autres en U19. Il y avait des joueurs de qualités. Je me disais qu'ils pouvaient gagner la Ligue des champions avec une grande majorité de Parisiens et quelques stars. D'ailleurs, sans les comparer, je reste persuadé que le PSG pourrait avoir une identité similaire à celle de l'Athletic Bilbao, avec un effectif composé de nombreux Parisiens comme peut le faire l'Athletic Bilbao dans le Pays basque. C'est pour ça que le retour de Mbappé est une bonne chose, car c'est un Titi. Ça aurait été bien que Ben Arfa réussisse aussi. J'aurais bien vu Martial, avant qu'il signe à Lyon... La région parisienne est un super vivier et Tuchel a montré que les jeunes avaient leur place. Il a quand même lancé beaucoup de jeunes, mais c'est sûr que pour les résultats attendus du PSG, ne jouer qu'avec des jeunes, ce n'est pas simple.

"Je reste persuadé que le PSG pourrait avoir une identité similaire à celle de l'Athletic Bilbao"

Presnel Kimpembe est l'un des rares que vous avez connus à être encore là. Pourquoi lui et pas les autres ?

Avoir un mental, ça fait partie du talent. Et pour moi, Kimpembe a un mental. Il a aussi eu le talent d'acquérir la sympathie des autres pros dès son arrivée, comme Thiago Silva par exemple. Il a su rester humble et travailleur. Il s'est accroché, et un petit peu à l'inverse des autres il a toujours joué dans sa catégorie d'âge. Quand j'avais les U17, les autres étaient surclassés, et il faisait partie des cinq deuxième année que j'avais. Il est resté à l'écoute, en U19 il a basculé de latéral gauche à axial gauche. Il a acquis une force supplémentaire. Du coup, avant un début de saison, j'ai dit à Jean Louis de venir voir l'entraînement d'un jeune qui valait vraiment le coup. C'était lui. Il devait reprendre avec l'équipe réserve, et finalement il a repris avec les pros, comme Augustin qui plaisait bien à Laurent Blanc. Ils sont partis en Chine puis ils n'ont plus quitté le groupe. Presnel mérite ce qu'il a aujourd'hui. Il est fier d'être au Paris Saint-Germain, il est fidèle à ce club, il a envie de faire toute sa carrière à Paris et de gagner des titres ici. C'est un amoureux du PSG.

Continuez-vous à suivre ce club et la progression de ses jeunes ? Que pensez-vous de la politique du PSG ?

Ils ont compris qu'il fallait faire certains efforts pour conserver des jeunes. On ne peut pas tous les intégrer à l'équipe première, mais on peut aussi les former pour les revendre comme ils l'ont fait avec Nkunku et Diaby qui sont partis pour près de 15 millions d'euros chacun. Ça parait peu pour le PSG, mais ce n'est pas rien. Il y a des sommes d'argent qui rentrent dans les caisses, et ça peut les aider pour le fair-play financier. Je pense que c'est mieux de les former, de les signer et de les revendre, même 15 millions, que de les perdre pour des frais de formation dérisoires au regard de la qualité du joueur. Il y a de gros potentiels au PSG, il y en aura toujours, et on ne peut pas les laisser de côté. On peut les prêter comme ça a été fait avec Rabiot à Toulouse ou Ikoné à Montpellier par le passé. Le PSG doit accepter d'avoir de très bons jeunes au sein de son académie et les considérer.

Et vous, comment imaginez-vous la suite ? Être n°1 un jour, c'est l'idée ?

Je vis l'instant présent, je profite de ce qui m'est donné aujourd'hui. Je suis un privilégié, et si un jour j'ai l'opportunité d'être n°1, je la saisirai. On me l'a déjà proposé, mais ce n'était pas des challenges pour moi. Demain, après-demain, ou après après demain, peut-être qu'un projet se présentera, avec un challenge pro et une aventure humaine. Alors, je réfléchirai. Je voulais faire les choses dans l'ordre en passant tous mes diplômes. Je suis prêt, mais je suis aussi très content d'être aux côtés d'Hervé, de lui apporter tout ce que je peux apporter. Je profite de son expérience, car le métier de sélectionneur n'est pas le même que celui d'entraîneur. Je suis heureux dans ce rôle, et confiant pour l'avenir. J'ai bon espoir que quand je serai en fin de carrière, à 70 ans, j'aurais eu la chance d'être n°1 un jour, en ayant eu les moyens de mettre en place mes idées avec des hommes sur lesquels je pourrais compter. D'ailleurs, pour moi, s'il y avait une trajectoire intéressante à suivre, ce serait celle d'un Jean-Louis Gasset. Je trouve que c'est un très bel exemple.

Propos recueillis par Benjamin Quarez

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