Il y a vingt-quatre ans, aux Etats-Unis, la Suisse avait créé la sensation en atteignant les huitièmes de finale de la Coupe du Monde. À l'époque, la Nati n'était guère habituée aux grandes compétitions internationales. Aux côtés d'Alan Sutter, de Ciriaco Sforza ou de Georges Bregy, il y avait le buteur Stéphane Chapuisat. Goal a retrouvé cet ancien international helvète (103 capes entre 1989 et 2004) pour qu'il nous conte cette aventure en terre américaine.
Aujourd'hui, Chapuisat officie au sein de la cellule de recrutement de Young Boys, le club champion de Suisse. Il reste donc connecté au football, et continue naturellement de suivre la parcours de sa sélection nationale. De fait, il est très bien placé pour analyser le niveau de la bande à Petkovic et les chances que celle-ci a de briller à l'occasion de ce Mondial 2018.
"La Coupe du Monde 1994, c'était très spécial pour la Suisse"
Comment allez-vous ? Parlez-nous de votre travail aujourd'hui au sein du club de Young Boys ?
Stéphane Chapuisat : Ça va bien. Cela fait bientôt dix ans que je suis à Young Boys, au sein de la cellule de recrutement. J'ai trouvé un travail qui me plait très bien suite à ma carrière de joueur. Je m'y sens bien.
Vous n'étiez pas tenté par le métier d'entraineur ?
Non, je n'ai jamais été tenté. C'est pour ça que j'ai choisi cette voie. Bon, j'ai entrainé les joueurs offensifs à Young Boys. Mais coacher une équipe, ça ne m'a jamais intéressé non.

Parlons de Coupe du Monde. Vous, vous en avez joué une, en 1994. Quels souvenirs en gardez-vous ?
De très bons. Parce que quand la Suisse s'était qualifiée, cela faisait 28 ans qu'elle n'avait pas participé à cette compétition. Tout le parcours qualificatif a été vraiment superbe. Riche en émotions. Et la phase finale aussi, c'était quelque chose de nouveau. De très grand. En plus, c'était en Amérique. C'est un peu spécial, car ce n'est pas vraiment un pays de football. Oui, c'était vraiment très intéressant.
En plus, vous personnellement, vous étiez dans l'une des meilleures périodes de votre carrière…
J'étais dans une bonne phase, oui. Mais, c'est surtout qu'on avait une bonne équipe. On a pris du plaisir tous ensemble. C'était dommage qu'on se soit fait éliminés en huitièmes de finale (ndlr, contre l'Espagne). Mais c'était quelque chose de nouveau pour tout le monde. On ne savait pas comment ça allait se dérouler, et ce qui nous attendait. C'est dommage qu'on n'a pas réussi à se re-qualifier par la suite, car on aurait peut-être été plus près la deuxième fois.
Etait-ce la période la plus brillante de la sélection suisse d'après vous ?
Ça a changé. Nous, on a été une génération qui s'est qualifiée pour une grande compétition alors que ça faisait longtemps qu'on n'avait plus joué le moindre tournoi majeur. Notre mérite a surtout été celui-là. Mais aujourd'hui, on voit que la Suisse participe régulièrement à des compétitions internationales depuis 2004.
Vous avez été international à 103 reprises. N'y a-t-il pas un regret de ne pas avoir re-vécu ces sentiments la ?
Bien sûr. En 1998, on avait un peu raté notre début des qualifications. Et c'était dommage de ne pas y aller. En 2002, c'était un peu un groupe qui a changé et on n'avait pas une équipe compétitive pour se qualifier. Il y avait, je dirais, un moment de flottement, avec les joueurs et la qualité qu'on avait.

"Aujourd'hui, les internationaux suisses n'ont pas beaucoup de temps de jeu à l'étranger"
Et comment jugez-vous le niveau de la sélection suisse aujourd'hui ?
On a une bonne équipe si tout le monde est là. On a des joueurs de qualité. Notre problème c'est qu'on a beaucoup de joueurs qui jouent à l'étranger et qui ne sont pas forcément titulaires dans leurs clubs. Pour la sélection, c'est toujours problématique quand des joueurs importants manquent de temps de jeu. Mais bon, c'est le lot des pays comme nous où le championnat national n'est pas très relevé et où les bons joueurs partent ailleurs. Et il y a un risque qu'ils n'y jouent pas ou qu'ils soient au mauvais endroit.
Dans les éliminatoires, la Suisse est toujours très performante et très régulière. Mais dans les phases finales, elle a du mal à franchir le cap du 1er tour à élimination directe. A quoi est-ce dû selon vous ?
Je ne sais pas. Mais je pense qu'il y a quand même des matches où l'équipe suisse aurait quand même pu passer. Il y a eu ce match contre l'Ukraine en 2006 où on perd aux tirs au but. Il y a aussi celui face à la Pologne lors du dernier Euro. Il nous manque peut-être ce grand match dans une rencontre à élimination directe. On a fait de bons matches, mais pas de grand match.
Contre une grande nation ?
Oui. Ou même pas. L'Ukraine et la Pologne, ce n'étaient pas de très grandes sélections. Ce sont de bonnes équipes, mais qui sont à notre portée lorsqu'on est dans un bon jour. On est capables de les battre.
Pensez-vous que cette équipe est mieux armée en termes de talent que celle de 1994 dans laquelle vous jouiez ?
Ça, c'est toujours difficile à comparer. Mais je pense qu'on a aujourd'hui plus de bons joueurs. Le petit avantage qu'on avait peut-être à notre époque c'est qu'une bonne partie des joueurs étaient titulaires à l'étranger, dans leurs clubs respectifs. Il n'y avait pas beaucoup d'expatriés. Peut-être trois ou quatre, mais on jouait régulièrement. Aujourd'hui, les internationaux ne jouent pas tout le temps. Et ça, ça pénalise forcément l'équipe nationale.
Que pensez-vous du travail effectué par Vladimir Petkovic qui est en poste depuis quatre ans ?
Ottmar Hitzfeld avait entamé le travail, et lui l'a poursuivi. Petkovic a intégré beaucoup de jeunes joueurs. Il a trouvé le bon mélange entre les jeunes et quelques anciens. On a fait une très bonne phase de qualification avec lui. Et c'était particulier parce qu'il y avait deux équipes qui ont gagné neuf matches sur dix, nous et le Portugal. On a fini deuxièmes et on a dû passer par les barrages. Maintenant, ça va être une Coupe du Monde intéressante dans un groupe où il y a un grand favori qu'est le Brésil. Mais entre les autres équipes, ça sera serré.
Comment évaluez-vous les chances de la Suisse de passer ? Et est-ce que cette sélection peut poser des problèmes au Brésil sur un match ?
Le Brésil est l'un des favoris du tournoi. Mais la Suisse est toujours difficile à manier, on est bien organisés et on peut embêter de grosses équipes. Mais le Brésil reste sur une Coupe du Monde à la maison qui s'est mal terminée. Ils risquent d'avoir beaucoup de révolte. Mais ça sera un match intéressant et ça sera un bonus pour nous si on réussit un résultat positif. Le match le plus important pour nous, ça sera le deuxième contre les Serbes.

"Arriver en quarts de finale, ça serait magnifique"
Au classement FIFA, la Suisse est 6e. Théoriquement, elle devrait donc atteindre les quarts de finale de la Coupe du Monde. Mais on a l'impression que ça serait déjà un grand accomplissement pour cette sélection…
Oui, parce qu'on n'a tout simplement jamais réussi à passer ces huitièmes. Ça serait déjà magnifique d'arriver jusqu'en quarts de finale. Mais, pour cela, il faudra être solide lors de ces matches à élimination directe. On sait que tout est possible, mais comme je l'ai dit, il faut réussir ce grand match que notre sélection n'a pas encore réussi en huitièmes.
Si on vous dit que la sélection suisse manque d'un attaquant de grande classe, comme vous l'étiez dans votre équipe, vous seriez d'accord ?
Je pense qu'on a eu plusieurs attaquants de grande classe, mais aujourd'hui on n'a pas trop de joueurs offensifs. Cette position est devenue aujourd'hui de plus en plus difficile, avec des clubs qui ne jouent plus qu'avec un seul attaquant. On a des attaquants qui sont pas mal, mais des fois ils sont à l'étranger et n'ont pas trop de temps de jeu. Mais j'espère qu'ils seront quand même en grande forme lors de ce mois de juin. Je me souviens qu'à notre époque, on était trois ou quatre attaquants, et il y avait plus de choix pour le sélectionneur.
Pour finir, il y a une question que l'on se pose en France depuis 1997. Le but de Laslandes lors de l'AJ Auxerre-Dortmund était-il valable ?
Sur le moment, j'étais content qu'il ait été annulé. Mais c'est vrai que pour un attaquant, je trouve ça sévère. C'était vraiment la limite. Mais ce n'est pas nous qui allions nous plaindre de cette décision.
Propos recueillis par Naïm Beneddra
