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ENTRETIEN - Miroslav Blazevic : "Si on n'a pas gagné la Coupe du Monde 1998, c'est entièrement de ma faute"

En 1998, la Croatie réalisait une entrée fracassante en Coupe du Monde en atteignant le stade des demi-finales. Les Boban, Prosinecki, Suker, Jarni et cie avaient déjoué tous les pronostiques, guidés de main de maitre par un certain Miroslav Blazevic. Cet expérimenté entraineur, passé notamment par le FC Nantes, avait largement réussi son pari, à savoir placer sa jeune sélection sur l'échiquier du football mondial et donner de la fierté à toute la population de son pays, alors que celle-ci se remettait à peine d'une traumatisante période de guerre.

Aujourd'hui, celui que l'on surnomme "Ciro", à quatre-vingt trois ans. Cela fait un moment qu'il s'est éloigné des terrains pour profiter de sa retraite bien méritée. Néanmoins, il continue de suivre l'actualité du ballon rond. Et surtout, il est au fait par rapport à tout ce qui concerne le football croate. C'est d'ailleurs avec beaucoup d'excitation, et aussi un petit pincement au coeur, qu'il suit la Coupe du Monde en Russie et les sorties de l'équipe au damier. Contacté par Goal, c'est avec beaucoup de plaisir qu'il a accepté de remonter le temps et évoquer l'épopée d'il y a vingt ans. Il nous a aussi fait part de ses attentes pour la sélection actuelle, qu'il juge aussi bien armée que celle qu'il a eue sous sa coupe.


"Aujourd'hui, celui qui n'a pas d'argent ne peut pas exister dans le football"


Que devenez-vous depuis que vous avez mis fin à votre parcours d'entraineur ?

Miroslav Blazevic : Je me porte bien. Je me trouve dans la situation d'un homme qui a travaillé cinquante-cinq ans et qui aujourd'hui est à la retraite. Mais je continue à suivre les événements de football, et du sport en général.

Vous avez connu une très longue carrière d'entraineur. N'est-ce pas difficile de ne plus faire partie de ce monde ?

Bien sûr que c'est difficile, mais il faut être conscient du fait que j'ai travaillé pendant très longtemps et que mon âge ne me permet plus de rester actif. Mais je reste à jour par rapport à l'actualité du football. Et je continue à donner mon avis aux journalistes qui me sollicitent.

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Vous avez été un témoin de l'évolution du football à travers le temps. Quel regard portez-vous sur le football d'aujourd'hui, et aussi sur le métier d'entraineur ?

Le football a connu une évolution assez logique. Mais l'époque d'avant c'était mieux. Aujourd'hui ça ne va pas. Parce que désormais on soumet aux entraineurs des exigences qui sont souvent difficiles à satisfaire. Mais, ça reste une évolution nécessaire. Et plus que jamais, le football est devenu un sport très exigeant avec un niveau très élevé. Seuls les joueurs les plus talentueux et les plus doués peuvent aujourd'hui percer dans ce milieu.

Beaucoup estiment que le football n'est que business aujourd'hui, que tout est une question d'argent. Est-ce aussi votre avis, et si oui le regrettez-vous ?

Effectivement. Aujourd'hui, un club qui n'a pas d'argent, il ne peut pas vraiment exister. Impossible dans ces conditions d'avoir des ambitions et pouvoir être présent au plus haut niveau. De nos jours, c'est l'argent qui décide si vous êtes champion ou pas. Avec de l'argent, on recrute des footballeurs de grande classe et on a logiquement plus de chances d'obtenir les résultats qu'on convoite.

La Coupe du Monde a démarré la semaine dernière. Pour vous, cette compéition rappelle certainement de bons souvenirs. N'est-ce pas ?

Une Coupe du Monde, c'est vraiment quelque chose de particulier. C'est le plus haut niveau qui peut exister dans le football. Et il est difficile d'exprimer ce qu'on ressent lorsqu'on y participe avec sa sélection, son pays. Et on y retrouve que les meilleurs de chaque nation, ceux qui brillent dans les plus grands clubs européens. Je pense notamment à ma Croatie. Donc oui, c'est vraiment une compétition à part.


"La sélection croate actuelle peut faire aussi bien que nous, si ce n'est mieux "


La Coupe du Monde 1998 en France, que vous avez jouée avec la Croatie, est-ce la meilleure expérience de votre carrière ?

Oui, je suis très fier que la Croatie a réussi à obtenir un aussi grand résultat sous ma direction. On a fini comme la troisième meilleure équipe au monde. C'était un résultat spectaculaire. Mais, je pense que la sélection de la Croatie actuelle et son coach sont capables cette année de réussir un aussi bon résultat, si ce n'est meilleur. 

Et qu'est-ce qui vous rend aussi optimiste pour la sélection actuelle ?

Parce que la concentration de talents dans cette sélection croate est très grande. Il y a de très grands joueurs qui composent cette équipe comme Modric, Rakitic, Lovren, Perisic Mandzukic et j'en oublie. Ce sont des joueurs de très haut niveau. Il y en a aussi deux ou trois qui sont relativement anonymes, mais qui sont capables de s'illustrer et de gagner la confiance de notre sélectionneur. C'est pour cette raison que je suis très optimiste.

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Ne pensez-vous pas que le nouveau sélectionneur, Zlatko Dalic, manque un peu d'expérience ?

Non, je ne pense pas. Il est très talentueux. C'est quelqu'un d'honnête aussi. Et il est aussi autoritaire. Il a toutes les qualités d'un leader, et les joueurs lui obéissent sans problème. 

Revenons à 1998. A l'époque, vous aviez une très belle génération de joueurs en Croatie. Mais on imagine qu'il n'y avait pas que des qualités footballistiques qui ont fait que ce groupe est allé aussi loin…

Non, bien sûr que les qualités footballistiques ne suffisent pas. Pour obtenir de grands résultats, il faut qu'il y ait une ambiance dans le groupe. Qu'il y ait une bonne vie commune. Qu'on se sacrifie pour les autres. Un pour tous et tous pour un. Sans ces vertus-là, vous ne pouvez pas obtenir un aussi un bon résultat, même si vous avez les plus grands joueurs au monde. Et nous, on avait tout ça. Il y a une bonne atmosphère et il y avait de vrais liens d'amitié. Et par-dessus tout, ils avaient tous un grand sens de patriotisme. 

Vous êtes toujours en contact avec les joueurs de 1998. Ils prennent de vos nouvelles ?

Bien sûr. On est restés les plus grands amis du monde. Et il n'y a pas un jour où on ne se raconte pas notre belle épopée. J'ai créé une grande famille, et tous ces liens existent encore. 

Nous nous souvenons de vous aussi pour votre remarquable geste envers le gendarme Daniel Nivel. Vous avez porté un képi en son hommage. Vous êtes resté en contact avec lui, ou sa famille ?

Je vais vous raconter quelque chose qui m'a énormément touché. Ce policier est venu à Zagreb avec sa femme il y a quelques temps. Pour me remercier. Et cela m'a beaucoup touché. Il parlait un peu difficilement, mais heureusement il est en bonne forme aujourd'hui. J'ai porté ce képi pour lui rendre hommage lorsqu'il était dans le coma, et je suis très content que son état se soit amélioré avec le temps. C'est normal, et c'est même avec beaucoup de fierté que j'ai accepté cette tâche quand les policiers français me l'ont demandé. 

Le doublé de Thuram, ça vous arrive d'y penser encore ? Se demander comment il a pu mettre deux buts ce soir-là ? Ou c'est oublié ?

Oui, j'y pense encore. Je connaissais Thuram et j'avais suivi son parcours, mais jamais il n'a sorti un match comme celui qu'il a fait contre nous. Je me demande d'ailleurs encore comment il a fait. Et je peux vous dire que si les Français n'avaient pas Thuram ce soir-là, c'est certainement nous qui nous serions qualifiés pour la finale.

Est-ce qu'il n'y a pas un regret de votre part du fait que vous n'aviez pas réussi à aller au bout ? Un petit gout d'inachevé, en dépit de votre parcours exceptionnel ?

Bien sûr qu'il existe un grand regret. Je vais vous faire une confession, et je me confesse aussi auprès de toute ma nation : c'était entièrement de ma faute si on n'avait pas réussi à atteindre la finale et si on n'a pas fini champions du monde. J'ai commis quelques erreurs qui ont été fatales. C'était moi le coupable.

Quelles étaient ces erreurs ?

La plus grave c'est que quand j'ai décidé de faire sortir Zvonimir Boban en demi-finale contre la France. Il n'était pas blessé, il était simplement déprimé par l'erreur qu'il a commise. S'il était resté dans l'équipe, et même si on était menés au score à ce moment-là, je suis sûr qu'on aurait gagné ce match. J'ai commis cette erreur et jamais je ne me le pardonnerai.

Vous ne vous dites-pas que c'est le destin ?

Oui, peut-être. Et c'est vrai qu'on ne peut rien contre le destin.

En 1998, vous aviez Davor Suker dans votre équipe. Que pensez-vous de son travail à la tête de la fédération ?

En tant que joueur, Suker c'était un phénomène. Il était doué, et il avait surtout une intelligence au-dessus de la moyenne. Il était toujours là où il fallait être. Mais, je pense qu'il n'est pas aussi bon président qu'il n'était joueur. Il n'est pas à la hauteur de sa réputation. Parce que justement sa réputation le devance. Dans le monde entier, on connait presque plus Suker que la Croatie. Il est plus populaire que son pays. Et c'est très difficile de rester une personne normale quand vous êtes aussi important. Mais, il travaille selon ses compétences. 

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"Didier Deschamps est quelqu'un d'honnête et intègre"


Pour la Coupe du Monde, quel sont vos favoris ?

Il y a toujours ces favoris traditionnels. Mais, je suis sûr que cette fois il y aura une surprise.

Une surprise comme la Croatie ?

Non, la Croatie fait partie des favoris à mes yeux. Mais bon, les experts du football n'ont pas le monopole des pronostics. Et moi je ne prétends pas être un expert. C'est toujours difficile de prédire, et il arrive souvent que les journalistes se trompent d'ailleurs. Mais, c'est pour ça aussi que le football est intéressant. On ne peut jamais prétendre détenir la vérité.

Un avis sur la sélection française ? 

J'ai eu le privilège d'être entraineur de Monsieur Deschamps, qui est actuellement sélectionneur de l'Equipe de France. Je le connais très bien. C'est quelqu'un qui a de très bonnes valeurs morales. C'est un passionné de football, et je pense qu'il est un énorme atout pour les Bleus. Et je crois que la France appartient au groupe des favoris pour la conquête du titre mondial.

En France, on dit qu'il a l'esprit de la gagne. Qu'il a toujours été obsédé par la victoire…

(Il coupe) Il a toujours été comme ça. Même comme joueur, c'était un grand gagnant, et un compétiteur.

En France, il y a un débat qui existe concernant Karim Benzema. Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi il ne fait pas appel à un tel joueur…

Moi, je ne doute pas de son intégrité et de son honnêteté. C'est un homme de principes, et qui est toujours juste dans son travail. Et pour ce qui est de ses choix et de son point de vue, il faut simplement lui faire confiance.

Suivez-vous toujours les résultats du FC Nantes, votre ancien club ?

Bien sûr. J'ai de très grands souvenirs du FC Nantes. Et je pense que lorsque je les ai coachés, j'étais un très mauvais entraineur. La première année, j'étais plus ou moins bien car on a fini sixième, mais la deuxième, j'étais très mauvais. Il y a un sentiment amer par rapport à mon aventure au FC Nantes parce que je n'étais pas à la hauteur.

Propos recueillis par Naïm Beneddra

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