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ENTRETIEN - Brian Laudrup : "Sur un match, le Danemark peut très bien produire un jeu fantastique"

Pour le compte du Groupe C de la Coupe du Monde, celui dans lequel figure l'Equipe de France, le Danemark démarre son parcours ce dimanche. La sélection scandinave débute dans la compétition par une opposition face au Pérou. Où en est cette équipe aujourd'hui, quelles sont ses forces et ses faiblesses et quelles ambitions peut-elle nourrir pour ce tournoi qui marque son retour au plus haut niveau après six ans de traversée du désert ? Des questions que l'on a posées à Brian Laudrup, l'une des légendes du football danois.

Dans les années 90, Brian Laudrup était, en compagnie de son frère Michael, l'un des fers de lance de cette sélection. Il est aussi l'un des Danois qui a le plus réussi à l'étranger, fréquentant des équipes comme le Bayern Munich, l'AC Milan et Chelsea. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il nous parle donc de la bande à Age Hareide, mais il revient aussi sur son propre parcours et en particulier sur la Coupe du Monde 1998 en France, qui l'avait vu, lui et ses coéquipiers, marquer les esprits en réalisant notamment un match exceptionnel contre le Brésil (2-3). Le tout avec un oeil d'expert puisqu'il officie depuis plusieurs années comme analyste pour le groupe Eurosport de son pays.


"Embrasser une carrière de coach, c'était trop pour moi et pour ma famille "


Dites-nous quel est votre quotidien aujourd'hui ?

Je travaille aujourd'hui pour une chaine de TV danoise. Nous couvrons les matches de la sélection nationale danoise, les matches européens, les éliminatoires de la Coupe du Monde et la Premier League. J'assiste aux matchs de notre équipe nationale, mais je suis surtout au studio pour analyser les rencontres de PL. Donc, je reste impliqué dans le football et les médias.

Vous avez arrêté le football depuis 18 ans, mais vous semblé avoir gardé votre ligne. Vous continuez à jouer des parties entre amis ? Nous avons vu aussi que vous êtes entraineur des jeunes parfois, n'est-ce pas ?

Oui, au cours des 18 dernières années, j'ai observé et dirigé beaucoup d'enfants et de jeunes joueurs pendant les tournois de football de rue. Mais, au cours des deux dernières années, nous ne l'avons plus vraiment fait car travailler à la télévision est très exigeant. Presque chaque week-end, nous sommes concernés. En plus, maintenant, j'ai presque cinquante ans. Donc, mon corps est un peu fatigué (rires). Je ne peux, de fait, plus vraiment m'occuper ça. Mais, bien sûr, j'ai aimé participer à l'éducation des enfants. J'ai beaucoup apprécié cette expérience et c'est quelque chose dont on reste fier toute la vie.

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Contrairement à votre frère Michael, vous n'avez jamais été entraineur. Ce métier ne vous a jamais attiré ?

Non, pas vraiment. Je pense que la plupart des footballeurs, lorsqu'ils achèvent leur carrière à 32 ou 33 ans, s'éloignent du football pour une année ou deux. Ils font une sorte de break. Ensuite, une bonne partie d'entre eux envisage d'embrasser la carrière du coach. Mais, parfois, vous devez être honnête envers vous-mêmes, et vous dire que ce n'est pas le style de vie que vous souhaitez pour les 10, 15 ou 20 prochaines années. Et pour moi personnellement, j'en suis arrivé à la décision de ne pas aller dans cette direction-là. Car c'est très exigeant comme métier. Il y a beaucoup de pression, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Vous pensez constamment football et vous êtes obsédé par le football. C'était trop pour moi et ma famille. Et j'ai décidé que faire de la télévision est ma façon de rester impliqué dans le football.

La Coupe du Monde vient de commencer. Une compétition dont vous, personnellement, gardez certainement de très bons souvenirs. N'est-ce pas ? 

Oui. Je pense que la Coupe du Monde en 1998 a certainement été l'un des moments forts de ma carrière. Évidemment, avoir été sacré champion d'Europe en 1992 avec mon pays était quelque chose d'incroyable. Mais, je pense que jouer la Coupe du Monde, pour tout footballeur, c'est un rêve qui devient réalité. Quand vous êtes un petit garçon de 8,9 ans, vous rêvez de la Coupe du Monde. Mes premiers souvenirs de cette compétition étaient quand je regardais la Coupe du Monde 1978 à la TV, lorsque l'Argentine l'a organisée et l'a remportée. Et puis, évidemment, il y a eu celle de 1986, où Diego Maradona a été exceptionnel. Donc, oui, participer moi-même à la Coupe du Monde c'était comme un rêve qui devenait réalité.


"En 1998, face au Brésil, on a été exceptionnels"


Dans les années 90, le Danemark jouait sans complexe. Même inférieur théoriquement à ses adversaires, il arrivait à surprendre. C'était quoi la recette ?

Je pense que nous avions une bonne équipe. Avant la Coupe du Monde 98, nous n'avons pas eu de bons résultats lors des matchs amicaux. Je pense d'ailleurs que nous les avons tous perdus. Donc, les gens n'avaient pas d'attentes nous concernant. Mais si vous regardez l'équipe que nous avions, avec Peter Schmeichel, mon frère Michael notamment et d'autres joueurs de qualité, il y avait quand même de vrais talents dans l'équipe. Mais vous devez aussi avoir un peu de chance. Nous n'avons pas très bien commencé le tournoi. Nous avons battu l'Arabie Saoudite que 1-0 lors du premier match et nous avons vraiment souffert lors de cette partie. Mais le Danemark a toujours été une équipe dont personne n'attend rien mais qui réussit à grandir au fil d'une compétition comme celle-ci. Après, nous avons fait match nul contre l'Afrique du Sud, et nous avons été battus par la France. On a donc été un peu chanceux en se qualifiant au prochain tour. Mais, par la suite, nous avons vraiment joué l'un des meilleurs footballs que cette sélection a pratiqué depuis de longues années. Il fallait remonter à 1986 pour trouver une équipe danoise pratiquant un football aussi fantastique. Avec les Lerby, Elkjaer-Larsen et mon frère aussi, ils ont battu l'Uruguay 6-1. En 1998, nous avons presque atteint ce niveau-là dans notre jeu. Nous avons battu largement le Nigéria et ensuite nous avons perdu de justesse (2-3) contre le Brésil. Dans ce match, nous étions proches comme jamais de battre les Brésiliens. Parce qu'on a été vraiment exceptionnels. Et je pense que c'est ce dont les gens se souviennent. Nous n'avons pas gagné certes, mais c'est resté mémorable car c'était l'un des plus beaux matches de cette Coupe du Monde 98.

Nous avons d'ailleurs l'impression que le match face au Brésil en 1998, malgré la défaite, est le plus abouti, le plus réussi de votre génération. Etes-vous d'accord ?

Oui. Je pense que pour n'importe quel footballeur, et surtout ceux issus de notre partie du monde, jouer contre le Brésil c'est toujours quelque chose d'unique. Ce n'est pas là où le football a été inventé, mais si vous demandez à tous les footballeurs, qui souhaiteraient-ils affronter en Coupe du Monde, ils vous répondront le Brésil. Parce que le Brésil est connu pour son histoire du football, pour son style de jeu et aussi quelques-uns de ses anciens joueurs. Et, jouer un quart de finale de la Coupe du Monde contre le Brésil c'est très particulier. Cela vous met beaucoup de pression jusqu'au coup de sifflet final du match, mais c'est aussi une source de motivation et d'excitation. En tous cas, ce jour-là c'était absolument fantastique. Beaucoup de gens ont dit avant le match que le Danemark perdrait facilement. Mais, en fin de compte, nous avons vraiment bien joué. Parfois, dans notre partie du monde, les gens nous ont décrit, en raison de notre style plutôt offensif, comme les Brésiliens de Scandinavie. Je ne sais pas si c'est vrai, mais jouer contre le vrai Brésil était absolument incroyable. Et c'est l'un des matches les plus mémorables que j'ai joué au plus haut niveau. Sans le moindre doute possible.

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Et nous ne pouvons pas parler de ce match sans parler de votre célébration. Elle est restée dans toutes les mémoires. Qu'est-ce qui vous a inspiré cette posture ? Etait-ce quelque chose de préparé, ou totalement instinctif ?

(Rires) Non, ce n'était pas vraiment préparé. Mais, avant le match, mon fils m'a dit : "Papa, tu es si ennuyeux quand tu célèbres tes buts, sors-nous quelque chose". Et j'étais un peu inspiré par Roberto Di Matteo. Je me suis souvenu en regardant les matchs de Chelsea qu'il a marqué un but et il s'est couché plus ou moins de la même manière. Je pense qu'il a dû résister, parce que tous les autres joueurs sont venus et ont voulu célébrer avec lui. Alors je me suis dit "Ok, si je marque contre le Brésil, je ferai quelque chose de similaire". Mais je ne l'ai dit à personne. Je l'ai gardé pour moi. Et finalement, j'ai marqué et c'était en plus un très beau but. Et c'est pour cette raison que j'ai fait une chose aussi étrange (rires). Les gens en parlent encore et s'en souviennent.

A votre avis, pourquoi depuis cette Coupe du Monde, le Danemark n'a jamais atteint un niveau aussi élevé ?

C'est vrai. Je pense que pour un si petit pays comme le Danemark, même si nous avons gagné l'Euro en 1992, atteindre les quarts de finale en 1998 c'était déjà comme si on avait remporté le titre. Aujourd'hui, je pense que c'est très difficile parce qu'il y a tant de bonnes équipes dans le monde. Mais je pense que nous pouvons être fiers parce que nous avons assez bien joué depuis pour justifier et se montrer digne de cette page de notre histoire. Et nous restons fiers puisque les gens se souviennent encore des matches comme le 4-1 contre le Nigeria et évidemment celui contre le Brésil. Pour nous, c'était énorme que de pouvoir sortir et livrer des prestations comme celles-là. Et nous sommes aussi très fiers qu'un si petit pays avec seulement 5 millions d'habitants ait pu réellement s'illustrer à un tel niveau. Ça reste quelque chose d'incroyable.

Et la sélection danoise actuelle, comment l'évaluez-vous ?

Je pense que nous sommes entrés récemment dans une nouvelle ère. Parce que nous avons eu le même sélectionneur pendant 16 ans, en l'occurrence Morten Olsen. C'était un grand joueur et aussi un entraîneur fantastique pour le Danemark. Mais au cours des deux dernières années de son mandat, nous avons vraiment peiné. Nous jouions avec beaucoup de possession, mais nous avions du mal et je pense que les supporters n'aimaient plus trop l'équipe et c'est pourquoi le contrat de Morten Olsen n'a pas été renouvelé. Et aujourd'hui, avec Age Hareide, nous avons un nouvel entraîneur, avec des idées différentes. Il y a une façon plus directe de jouer, avec beaucoup de pression sur le ballon. Nous nous sommes qualifiés dans un groupe difficile, et battu l'Irlande sur deux matches et en laissant une très belle impression. Actuellement, je suis relativement confiant en ce qui concerne la Coupe du Monde. Je pense que si nous exploitons nos forces et que nous évitons les blessures, nous pourrons nous qualifier pour le tour suivant. Mais par la suite, et tout le monde le sait, cela dépend de la chance et comment on sera le Jour J. Je pense que la France, qui est favorite, sortira première de la poule, et on espère que le Danemark prendra la deuxième place. Ça serait déjà une belle réussite pour cette sélection.

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"Aujourd'hui, l'équipe danoise dépend trop d'une ou deux individualités"


Est-ce que sur un match, le Danemark peut quand même poser des problèmes à la France ?

Oui, le Danemark peut très bien jouer un jeu fantastique et mener la vie dure à l'Equipe de France. Mais nous devons être honnêtes et admettre que ce ne sera pas facile. Espérons que lorsque nous jouerons contre la France, nous serons déjà tous les deux qualifiés pour le prochain tour. Ce serait l'idéal. Pour l'équipe danoise, obtenir quelque chose de ce match-là ça sera compliqué. Quand on regarde la sélection française, ils ont tellement de joueurs talentueux. Nous avons aussi un groupe talentueux, mais nous dépendons trop d'un ou deux joueurs et nous en avons besoin pour bien performer. A l'instar de Christian Eriksen, qui est notre joueur vedette. S'il ne joue pas au mieux de ses capacités, nous aurons du mal offensivement contre la France. Espérons qu'avec deux victoires contre l'Australie et le Pérou, le Danemark sera au prochain tour lorsqu'il se présentera à ce match. Ce ne sera pas facile, mais je pense que c'est possible.

Que pensez-vous justement de l'Equipe de France ? La classez-vous parmi les favoris pour le titre mondial ?

Si nous regardons les noms et tous les talents qu'ils ont, nous pouvons les considérer parmi les favoris. D'ailleurs, durant les 25 dernières années, ils ont toujours été parmi les favoris. Aujourd'hui, les Français ont un coach très expérimenté. Je les ai observés lors du dernier Euro, quand ils ont atteint la finale et c'était une surprise de ne pas les voir triompher. Aujourd'hui, ce groupe est devenu encore plus expérimenté et toujours avec le même coach. Si on regarde les talents comme Griezmann, Lemar, Mbappé ou Pogba et Kanté au milieu du terrain, ils viennent tous des plus grands clubs européens. Des joueurs qui évoluent à Barcelone, au Real Madrid, à Manchester United... C'est donc un groupe de qualité. Il serait vraiment intéressant de voir s'ils vont répondre aux attentes ou pas. Mais, c'est sûr que si l'on juge en terme de talents, ils sont certainement parmi les favoris.

En 1992, avec le Danemark, vous avez réalisé un miracle. Pensez-vous qu'un tel miracle peut encore se produire ?

Non, je ne pense pas que ce soit possible (rires). Nous devons être honnêtes, en 1992, nous n'avions que deux groupes de quatre équipes. Evidemment, c'étaient deux groupes très relevés avec des sélections comme les Pays-Bas, l'Allemagne et la France. Mais, de nos jours, il y a beaucoup plus d'équipes et la Coupe du Monde est très différente. Vous avez tellement d'équipes de différentes régions du monde et plein de styles de jeu différents. Donc non, je n'imagine pas un miracle comme celui-là se reproduire. Pas vraiment. Il y aura 3 ou 4 équipes qui vont concourir pour le titre je pense, et il sera encore une fois intéressant de voir qui va répondre ou pas aux attentes. Parfois, les sélections sud-américaines sont à la peine en Europe et inversement. Je suis curieux de voir si cela va arriver de nouveau. Mais, je dirais que pour le vainqueur du tournoi, il faudra chercher parmi les 4,5 équipes comme l'Espagne, l'Allemagne, évidemment le Brésil, l'Argentine, voire même la France.

Propos recueillis par Naïm Beneddra

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