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Algérie, autopsie d'une descente aux enfers

L'été prochain, et pour la première fois depuis 2006, la Coupe du Monde va se jouer sans l' Algérie . Alors qu'on lui promettait le meilleur à l'issue d'un parcours exceptionnel au Brésil ayant mis en avant tout le potentiel d'une génération, la sélection maghrébine s'est montrée incapable de prolonger sa progression. Au contraire, elle a basculé sur une pente descendante pour se retrouver aujourd'hui au 13e rang du classement des sélections africaines et privée d'un voyage en Russie. Une longue et affligeante dégringolade qui n'est pas sans explications. Si les Fennecs ne sont plus cette équipe que tout le continent redoutait c'est parce que tout s'est enchainé dans le mauvais sens pour eux.

Des joueurs qui n'avaient plus faim

Le revers de la médaille quand on se hisse à un niveau auquel personne ne s'attend, c'est le relâchement qui suit. Lors des premiers mois sous la direction de Christian Gourcuff , la sélection s'est maintenue à un niveau respectable, accédant notamment aux quarts de finale de la CAN 2015. Mais, par la suite, il est devenu évident à travers les performances livrées que les joueurs n'avaient plus le même degré d'implication. Cela s'est vérifié notamment lors des sorties à l'extérieur, quand les conditions de jeu n'étaient pas idéales (Tanzanie 2015, Zambie 2017).

Madjer : "L'équipe est dans le coma, on veut la réanimer"

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Avec un noyau de joueurs relativement inchangé (huit des onze titulaires en septembre lors de la défaite en Zambie étaient présents au Brésil), la sélection s'est clairement reposée sur ses lauriers. Le manque de régénération a eu un effet néfaste sur l'émulation au sein du groupe, avec des statuts qui parfois ne bougeaient guère en dépit d'une succession de faux-pas. Un constat partagé notamment par Moussa Saïb, ex-international algérien (74 capes entre 1989 et 2001). "Avant le Mondial au Brésil, les joueurs avaient besoin de prouver des choses. Ce n'était pas le cas après. Ils pensaient qu'ils n'avaient plus rien à prouver. Qu'ils avaient tout gagné. Il fallait leur trouver un vrai challenge", a-t-il confié à Goal

Le début des éliminatoires de la Coupe du Monde au Russie comportait pourtant suffisamment d'enjeux pour qu'il y ait une remobilisation générale. Mais, l'usure était alors trop importante et d'autres facteurs sont venus contrarier la bonne marche des Verts.

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Une barre technique des plus instables

C'est assurément la principale raison qui a conduit l'Algérie à emprunter un chemin de croix sans fin. Comment une équipe pourrait-elle réussir en épuisant six sélectionneurs en seulement dix-huit mois ? Un chambardement incroyable. Alors que la stabilité avait été le maitre mot entre 2007 et 2010 puis entre 2011 et 2014, depuis c'est le grand désordre qui règne. Un contraste saisissant et qui ne doit certainement rien au hasard.

Vahid Halilhodzic était parti pour des raisons personnelles. Son successeur, Christian Gourcuff, est resté en poste huit mois avant de céder sous le poids de la pression des médias et à cause d'un manque de soutien de la fédération. Après un intérim du méconnu Nabil Neghiz, Milovan Rajevac est arrivé. Le technicien serbe n'est resté qu'un seul match, faisant les frais d'une communication limitée avec ses joueurs. George Leekens, lui, parlait bien le français mais il n'a pas su faire mieux en terme de rendement. Le technicien belge était monté à bord d'un navire en plein naufrage. Lucas Alcaraz s'est lui totalement raté. L'Espagnol est parti aussi vite qu'il est arrivé, laissant sa place à Rabah Madjer. Ce dernier connaitra, pour sa part, ses débuts ce vendredi. Pas sûr cependant qu'il échappe au sort de ses prédécesseurs si les résultats positifs ne reviennent pas rapidement.

Plus d'union sacrée autour de la sélection

Si l'Algérie est rentrée dans le rang après avoir tant fait rêver ses supporters, c'est aussi parce que l'élan populaire qui avait accompagné la sélection durant ses plus belles conquêtes a disparu. Les fans ne se reconnaissent plus en cette équipe et critiquent l'attitude de certains joueurs dernièrement. Le match contre le Togo, disputé en juin dernier devant des gradins vides de deux tiers en est la preuve. Les internationaux sont étiquetés comme des joueurs gâtés dont l'amour du maillot reste suspect. L'absence de Fawzi Ghoulam au dernier rassemblement à cause d'une blessure diplomatique a conforté ce désamour.

Le clivage entre joueurs locaux, ceux évoluant à l'étranger et même les binationaux est toujours présent. Il nourrit les débats des plateaux TV et divise les opinions. Madjer, lui-même, avait contribué à cette sorte de discrimination en appelant, durant sa période de consultant, à limiter le nombre de joueurs expatriés. Des déclarations qui ne pouvaient que détériorer l'ambiance au sein du groupe. Pour Saib, c'est un problème qui n'a pas lieu d'être : "C'est au sélectionneur de composer son équipe. Une équipe homogène entre les joueurs qu'il a. Il doit choisir les meilleurs simplement. Ils sont tous Algériens, qu'ils jouent dans le championnat local ou à l'étranger".

Enfin, la guerre ouverte que se sont livrés Mohammed Raouraoua et Kheireddine Zetchi, respectivement ancien et actuel président de la fédération a aussi causé les tourments de la sélection. Chacun avait ses clans et ses partisans et la question de celui qui allait occuper ce poste pour rendre à l'Algérie son lustre d'antan a même gangréné le quotidien de l'équipe en plein milieu de la dernière CAN. Même après le départ de Raouraoua, chaque contre-performance des Fennecs a été suivie d'attaques et de critiques envers le nouvel homme fort de la FAF.

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Et maintenant, on creuse ou on rebondit ?

Aujourd'hui, l'équipe algérienne vient de basculer dans une nouvelle ère. Du moins, c'est ce que tout le monde s'efforce de croire. Pourtant, la nomination de Madjer comme sélectionneur n'augure pas forcément des lendemains meilleurs. Ce dernier avait déjà occupé ce poste à deux reprises par le passé et les résultats ne plaident pas du tout en sa faveur (voir ci-dessus). De plus, il reste sur une période de huit ans sans la moindre expérience comme coach avant ce come-back. Sans oublier que ses saillies du temps où il était consultant n'ont pas été oubliées. Elles lui ont été d'ailleurs rappelées dès sa première conférence de presse.

L'ancienne gloire du football algérien ne semble, par ailleurs, pas mesurer l'étendue des dégâts. En indiquant que l'équipe manquait simplement de "confiance" ou que le dernier match contre la Zambie "se gagnerait un million de fois sur un million" s'il venait à être rejoué, il semble déconnecté de la réalité.

Ghoulam, un Vert qui a bien mûri

Pour autant, ceux qui le connaissent veulent croire en lui et en sa capacité à redorer le blason des Verts. C'est le cas notamment de Saib qui l'a connu comme sélectionneur : "Il faut lui laisser le temps, nous confie-t-il. Il a un projet. Pour le moment, on ne sait pas ce qu'il va faire. On attend. Il faudra voir les premiers résultats des éliminatoires de la CAN pour le juger (…) Il est décrié ? Chacun est libre de dire ce qu'il veut. Dans le métier d'entraineur, on ne peut pas plaire à tout le monde. Moi, je trouve que c'est bien d'avoir des convictions".

Le Ballon d'Or africain 1987 aura de lourdes responsabilités sur ses épaules, mais il ne sera pas le seul dans ce cas. Rien n'est insurmontable, car le potentiel existe toujours mais il convient de renouer avec les bases. Et cela tombe bien puisque l'équipe se trouve au plus bas. Saïb, qui a connu tant de périodes de vaches maigres quand il était international, se veut conciliant envers la nouvelle génération et surtout optimiste pour le futur. "À chaque époque, il y a eu une équipe avec ses qualités et ses défauts. Je ne vais pas dire que notre génération était meilleure. L'actuelle est allé loin en Coupe du Monde et nous on avait gagné la Coupe d'Afrique. Chacun a représenté dignement la sélection (…) Dans le football, il faut toujours y croire et travailler. Mais la matière première est toujours là", lâche l'ancien Auxerrois. Tout fan algérien ne demande qu'à croire à ces paroles.

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