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ENTRETIEN - Lars Lagerback : "Un parcours au Mondial se joue sur très peu de choses"

Coach de la sélection norvégienne depuis l'année dernière, Lars Lagerback n'est pas directement concerné par la Coupe du Monde qui va démarrer dans une dizaine de jours en Russie. Mais le technicien suédois de 69 ans attend ce prestigieux tournoi avec une grande impatience. D'abord, parce que c'est celui qui lui a procuré ses plus grandes émotions depuis qu'il exerce au plus haut niveau. Et aussi parce que plusieurs de ses anciennes équipes (Suède, Islande et Nigeria) vont être de la partie.

Avant la sortie amicale contre l'Islande que sa nouvelle sélection nordique a remporté avec brio le week-end dernier (3-2), Lagerback a accordé une très longue interview à Goal. Un entretien durant lequel il s'est attardé sur de nombreux sujets, ouvrant notamment la précieuse boite à souvenirs. Avec beaucoup de sincérité, il s'est lâché et a montré également quel est l'homme qui se cachait derrière cet entraineur compétent et qui est une vraie légende en Scandinavie.


"Avec les sélections nordiques, je peux travailler comme je sais le faire"


Comment allez-vous aujourd'hui ? Comment ça se passe avec la sélection nationale norvégienne ?

Lars Lagerback : Tout va bien merci. Ça fait un petit moment que j'ai été nommé sélectionneur de la Norvège. Pour le moment, le bilan est plutôt bon car on a fait du bon travail lors de la plupart des matches amicaux qu'on a joués. C'est plutôt positif.

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Quels sont vos objectifs et vos ambitions avec la sélection norvégienne ?

L'étape qui se profile ce sont les matches amicaux qu'on va jouer. Le but est de poursuivre notre travail et ensuite de se concentrer sur la Ligue des Nations qui va commencer.

La Suède, l'Islande et maintenant la Norvège. On a l'impression que vous prenez beaucoup de plaisir à diriger les sélections nordiques. Ou est-ce simplement une question d'opportunités ? 

Oui, je dois dire que cela me correspond bien. Parce que la chose la plus importante pour moi c'est de travailler comme je veux. Il y a aussi beaucoup de coopération entre les pays nordiques et cela aide. Les gens en Norvège ont également facilité les choses et je voulais être sûr de pouvoir travailler comme je sais le faire. Donc, oui, j'apprécie de travailler en Norvège et dans les pays nordiques en général.

Dans un mois, il y a la Coupe du Monde. Est-ce une Coupe du Monde que vous allez suivre avec attention ? Ou pas spécialement ?

Je fais partie des privilégiés. J'ai été concerné par toutes les phases finales depuis le début des années 90, sauf une. Cette fois, je vais essayer de suivre autant de matches possibles comme spectateur. À la télévision, vous pouvez voir toutes les rencontres, et ce n'est pas le cas lorsque vous êtes impliqué directement ou si vous voyagez là-bas. Donc, je vais suivre ça de près, oui.

Pour le compétiteur que vous êtes, n'est-ce pas difficile de n'être qu'un simple spectateur, et non un acteur ?

Difficile, non. Mais bien sûr que vous voulez y participer. Comme je suis en charge de la Norvège aujourd'hui, alors ça va être comme ça cette fois. Mais je suis quand même impatient afin de voir autant de matches que possible. Quand vous participez, vous ne pouvez pas en voir beaucoup. Ce sera différent cette fois et j'ai hâte.

Vous avez dirigé la Suède, l'Islande et le Nigéria, toutes ces sélections participent cette année. Y en-a-t-il une vers laquelle votre cœur penchera plus que d'autres ?

Non, vers les trois. Car c'était très spécial de travailler dans chacun de ces pays. J'espère que ça se passera bien pour tous les trois. Le Nigeria et l'Islande font partie du même groupe. Donc, en étant réaliste, il leur sera difficile pour tous les deux de se qualifier pour le second tour. Mais je vais soutenir ces trois sélections et j'espère qu'elles vont bien se comporter.

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"L'un de mes plus beaux souvenirs du Mondial c'est quand on a joué à Berlin devant 50 000 Suédois"


Parlons de vos deux Coupes du Monde disputées avec la Suède, qu'est ce vous en gardez comme souvenirs ? Que retenez-vous de ces deux épopées ?

Spontanément, comme ça, je me souviens surtout que nous avions fait de belles choses à chaque fois, mais aussi que nous avons perdu sur un but en or en 2002 contre le Sénégal. Et en 2006, c'est avec les honneurs que nous nous sommes inclinés contre le pays hôte (Allemagne). L'édition qui me reste le plus en tête c'est surtout celle de 2002 où nous avons vraiment fait un bon tournoi. Et nous avons eu une bonne chance d'aller encore plus loin, avec cette défaite étriquée concédée contre le Sénégal. Mais, bon, ce qui importe le plus c'est qu'on ait montré un bon visage. Je me rappelle aussi de notre match contre le Paraguay, en 2006 à Berlin. Il y avait pas moins de 50 000 supporters suédois présents dans les tribunes, et je m'en souviens comme si c'était hier. Dans ce match, nous avons en plus marqué un but victorieux en toute fin de partie. C'est peut-être même l'un des meilleurs souvenirs. Enfin, s'extirper et finir premier du groupe de la mort en 2002 au Japon, avec nos deux matches nuls contre les deux favoris et une victoire contre le Nigeria, c'était aussi énorme et ça reste gravé dans ma mémoire.

Justement, être sorti premier du groupe de la mort en 2002, c'était exceptionnel. C'était aussi une surprise pour vous, ou vous étiez sûrs de vos forces ?

On ne peut jamais savoir lorsqu'on se présente à un tournoi aussi relevé que celui-là. Vous jouez trois matches en phase de groupes et la marge est toujours très réduite. Mais ma philosophie est que lorsque vous jouez contre les grands pays, vous avez toujours une chance réelle de gagner. Donc, je ne peux pas dire que j'ai été surpris. Cela dit, j'ai vraiment apprécié le groupe que j'avais à cette période-là.

En général, n'y-a-t-il pas de regrets par rapport au fait de ne pas être allé plus loin à chaque fois ? Vous vous arrêtez en huitièmes de finale, mais pensez-vous qu'il y avait possibilité de faire mieux ?

Oui bien sûr. Comme je l'ai dit, nous avions de bonnes chances de tuer le match lorsque nous avons joué contre le Sénégal. Et nous n'avons pas réussi à le faire. Mais comme je l'ai dit aussi, c'est toujours très serré dans une compétition comme celle-ci. Les joueurs ont quand même fait du très bon travail. C'est comme ça dans le football : quand vous ne marquez pas et que l'autre équipe marque un but de plus, vous êtes éliminés. Mais je n'ai aucun regret. Avec cette équipe de Suède, nous avons eu de très bons résultats en 2002 et 2006.

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"Être sélectionneur en Afrique c'est l'expérience d'une vie"


En 2010, vous êtes à la tête du Nigeria. Ça se passe moins bien. Ne regrettez-vous pas ce choix ?

Non, absolument pas. C'est l'expérience d'une vie de venir travailler en Afrique, dans un autre pays et un autre continent. J'ai d'ailleurs encore pas mal de bons amis là-bas. Ce fut une expérience agréable. Mon point de vue personnel est que vous apprenez toujours quand vous vous rendez dans un pays différent, avec une culture différente. Je pense que si on fait abstraction des résultats, ce fut vraiment une aventure agréable.

Est-ce qu'entrainer le Nigeria à la Coupe du Monde procure une pression supplémentaire ? Par rapport aux autres sélections que vous avez dirigées, avez-vous senti un surplus de poids sur vos épaules avec une équipe africaine ?

Non, je pense que ce qui est si spécial avec le Nigeria, c'est que nous avons joué tous nos matches dans une période rapprochée. Ce qui est intéressant aussi, c'est que beaucoup de personnes sont impliquées lorsque vous venez travailler dans un pays comme le Nigeria. Mais, pour ce qui est de la pression, on la ressent toujours partout et je ne pense pas que j'ai eu plus de pression là-bas. Peut-être parce que nous n'avons joué aucun match au Nigéria lors de notre préparation.

On dit souvent que tôt ou tard, une sélection africaine remportera la Coupe du Monde. A votre avis, qu'est-ce qui manque aux Africains pour justement gagner le Mondial ? Ou même aller en demi-finale.

Je pense qu'il leur manque de la réussite. Si ça n'arrive pas maintenant, je pense que cela se produira dans un futur proche. Parce qu'il y a beaucoup de qualités individuelles issues de ce continent comme vous pouvez le voir dans les grands championnats européens. Ce qui leur manque un peu ce sont peut-être les formateurs, et avoir éventuellement une meilleure organisation. Mais, comme vous, je pense également que nous allons bientôt voir une équipe africaine réaliser un très grand parcours en Coupe du Monde.

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Après le Nigeria, il y a eu l'Islande. Vos résultats avec cette sélection sont incroyables. N'est-ce finalement pas la plus grande fierté de votre carrière de coach ?

Je ne sais pas si je peux dire que c'est ma plus grande fierté. Mais bien sûr, mon passage là-bas était très spécial. Etre entraineur d'une équipe qui se qualifie pour la phase finale d'un grand tournoi pour la première fois de l'histoire, c'est bien sûr très spécial. Il y a aussi eu un lien particulier avec ce pays. J'y ai gardé beaucoup d'amis. C'est un pays fantastique et une île fantastique. J'ai énormément de respect pour eux. Donc, oui, c'était une aventure très spéciale. Mais je ne peux pas dire que j'ai plus de fierté pour ce que j'ai fait là-bas que pour ce que j'ai fait en Suède ou au Nigeria, même si les résultats n'étaient pas aussi positifs. 

Vous devez être content du travail que continue à faire Heimir Hallgrimson, votre précédant assistant. Il a poursuivi sur le même chemin…

Oui, je suis très content pour lui et pour l'équipe aussi. Quand on regarde la sélection qui s'est qualifiée pour la Coupe du Monde, presque tous les joueurs étaient présents contre la France lors de notre dernier match de l'Euro 2016. Alors, bien sûr, je suis très content pour lui. Il a fait un excellent travail en qualifiant ce petit pays pour la première fois pour la phase finale d'un grand tournoi en 2016 et il a réédité ça en qualifiant la sélection pour la Coupe du Monde. Que ça soit le staff ou les joueurs, tous ont fait un superbe boulot.

Parlons de la Suède qui va jouer un grand tournoi sans Zlatan Ibrahimovic pour la première fois depuis 2000. Est-ce une bonne chose qu'il ne soit plus là, pour l'harmonie du groupe ? Ou un joueur comme lui ne peut qu'être un plus pour la sélection ?

C'est une bonne question. J'ai vu récemment quelques-uns de ses matches aux États-Unis. Après sa très grave blessure au genou, je ne sais pas comment il va. C'est l'inquiétude qu'on peut avoir en le regardant. Mais il a dit "non", et je suis d'accord avec l'entraîneur suédois, Janne Andersson, quand il dit qu'à partir du moment où Ibrahimovic a dit qu'il ne voulait plus jouer avec la sélection, il n'est plus nécessaire de trop en discuter. La Suède doit se concentrer sur les joueurs disponibles.

Le premier match de la Suède lors de cette Coupe du monde ça sera contre la Corée du Sud. Comment pressentez-vous ce match ? Ça sera une opposition de styles, non ?

Oui, je suis d'accord avec vous. Je n'ai pas trop vu la Corée du Sud ces dernières années. Mais je connais certains de leurs joueurs. Ils ont un style plutôt divertissant et ça sera un match intéressant d'un point de vue tactique. La première rencontre du Mondial est toujours importante, car il faut bien commencer. Ce sera intéressant à regarder en tous cas.

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"La France a de très bons joueurs et elle a une chance de remporter le Mondial"


Que pensez-vous de l'Equipe de France ? Est-elle armée pour remporter la Coupe du Monde ?

Oui tout à fait. Il est très difficile de prédire qui va gagner ce tournoi. Parce qu'il y a beaucoup d'équipes nationales avec un potentiel et des talents équivalents sur le papier. Et je pense que la France en fait partie. Car elle a vraiment de très bons joueurs. Donc, oui, ils ont très certainement une chance de remporter cette Coupe du Monde.

En fin d'année dernière, vous avez battu l'Australie 4-1. Et l'Australie sera le premier adversaire de la France au Mondial. En France, nous serions bien contents de connaître la recette. Comment avez-vous fait ?

Je ne pense pas que mon collègue en France, Monsieur Didier Deschamps, devrait trop se fier à cette rencontre-là. Parce que les Australiens ont un nouvel entraîneur, et ce match-là était son tout premier. Ils ont fait beaucoup mieux lors du deuxième qui a suivi. Je sais que quand vous êtes entraîneur, il est toujours difficile lors du premier match de mettre en place les choses comme vous souhaitez le faire. Je pense que l'Australie montrera un bien meilleur visage contre la France. Il est parfois important de perdre lors des matches amicaux pour pouvoir apprendre des erreurs.

Pour finir, un mot sur Martin Ödegaard, votre jeune et prometteur joueur. Il sort d'une belle saison aux Pays-Bas, avec son club de Heerenveen. Comment jugez-vous sa progression ? Et est-ce que vous lui conseillez de rester avec une équipe où il peut jouer régulièrement, au lieu de retourner au Real ?

Je le trouve de mieux en mieux. Il a un grand potentiel et il est l'un des joueurs les plus techniques que je n'ai jamais vus. Avec plus d'expérience, je pense qu'il peut être vraiment un joueur de classe mondiale. Pour ce qui est du club où il devrait jouer, il m'est toujours difficile de me positionner lorsque les joueurs viennent me demander leur avis. D'un côté, il est très important pour les joueurs, et surtout les plus jeunes, d'avoir autant de temps que possible pour jouer. Mais, d'un autre côté, si un grand club tel que le Real Madrid te reprend, c'est bien aussi d'y aller s'il y a la possibilité d'y jouer. Voilà le dilemme, une décision difficile. À la fin, c'est le joueur lui-même qui doit prendre cette décision. Je conseille toujours aux joueurs qui me demandent de rejoindre un club réaliste où ils peuvent jouer. Mais c'est un choix qu'il doit faire lui-même. Il est encore jeune, et peut-être qu'aujourd'hui, être dans le onze de départ dans une équipe telle que le Real Madrid c'est compliqué surtout qu'il n'a que 20 ans. Il a encore beaucoup de temps devant lui. Mais, comme je l'ai dit, la décision lui revient.

Propos recueillis par Naïm Beneddra

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