Son prêt raté à Nice n'était que la partie visible de l'iceberg : enquête sur la chute de Moukoko

L'entrée en scène de Youssoufa Moukoko à Dortmund est un événement historique. Le 21 novembre 2020, en remplaçant un certain Erling Haaland pour les cinq dernières minutes d'une victoire 5-2 contre le Hertha Berlin, le jeune attaquant devient, sous les ordres de Lucien Favre, le plus jeune joueur de l'histoire du club en Bundesliga. « J'adorerais jouer à ses côtés », déclare Haaland après le coup de sifflet final. « Je pense que c'est le plus grand talent du monde à l'heure actuelle. Il a 16 ans et un jour, c'est incroyable. Il a une grande carrière devant lui. On a de la chance de l'avoir. » Il faut dire que Moukoko semble tout posséder : une vitesse fulgurante, un contrôle de balle exceptionnel, un sang-froid déconcertant et un sens du but inné.

Le vœu d'Haaland sera rapidement exaucé. Avant la fin de l'année, l'attaquant né au Cameroun, qui choisira finalement de représenter l'Allemagne sur la scène internationale, pulvérise deux autres records. D'abord celui du plus jeune joueur de l'histoire de la Ligue des Champions, puis celui du plus jeune buteur de la Bundesliga. Il ouvre d'ailleurs son compteur avec la manière, faisant presque éclater les filets pour égaliser contre l'Union Berlin d'une frappe imparable en première intention, parfaitement servi par Raphaël Guerreiro.

En décembre, Edin Terzić remplace Favre sur le banc et continue de donner sa chance à Moukoko, même si c'est principalement en tant que remplaçant. Début avril, l'adolescent compte déjà 15 apparitions chez les professionnels. C'est alors qu'il est victime d'une grave blessure au pied avec les espoirs allemands, un coup dur qui met un terme prématuré à sa saison d'éclosion.

Cette blessure s'est avérée être la première d'une longue série pour Moukoko. Elle l'a surtout empêché de marquer les esprits auprès de Marco Rose, nommé nouvel entraîneur de Dortmund à la fin de l'intérim d'Edin Terzić en juin 2021. Moukoko a bien retrouvé sa pleine forme à temps pour la nouvelle saison, mais Rose avait déjà fait son choix : Donyell Malen serait la doublure d'Haaland en attaque. Le jeune prodige ne jouera que 484 minutes au cours de la saison 2021-2022, avec une seule titularisation en Bundesliga, en partie à cause de pépins musculaires récurrents.

Le seul éclair de sa saison intervient lors de la dernière journée, quand Moukoko inscrit le but de la victoire contre le Hertha Berlin. Sa superbe frappe croisée fait exulter le public, mais laisse aussi les supporters perplexes, se demandant pourquoi il n'avait pas joué plus souvent.

Après le match, Rose tente d'apaiser les fidèles du club devant la presse : « Je pense que Mouki n'est pas satisfait de sa saison, ni de son temps de jeu. J'ai toujours dit que je voyais en lui un immense talent. Mais il doit encore progresser dans certains domaines. S'il reste en bonne santé l'année prochaine et que nous continuons ensemble, je suis convaincu qu'il franchira ces étapes. Il a déjà prouvé ce dont il était capable, et il l'a encore montré aujourd'hui en sortant du banc. »

Moukoko franchira bien ces étapes, mais pas sous la direction de Rose, qui est licencié six jours plus tard après avoir terminé à huit points du Bayern Munich, champion.

Après le licenciement de Rose, Edin Terzić est nommé entraîneur permanent de Dortmund, tandis qu'Erling Haaland s'envole pour Manchester City dans une opération à 60 millions d'euros. Pour combler le vide laissé par le Norvégien, le club recrute Sébastien Haller de l'Ajax. Mais durant la pré-saison, un drame frappe l'international ivoirien : on lui diagnostique un cancer des testicules, laissant Terzić sans véritable avant-centre. Pour ne rien arranger, le jeune attaquant de 20 ans Karim Adeyemi, autre recrue estivale, se blesse à l'orteil dès le début de la saison 2022-2023. Ce concours de circonstances ouvre une brèche pour Moukoko, qui se retrouve en soutien de Donyell Malen en attaque. Une opportunité que la pépite du centre de formation va saisir à pleines mains.

Moukoko est impliqué sur 10 buts lors des 12 premiers matchs de Bundesliga, avec notamment une superbe réalisation lors du match nul 2-2 contre le Bayern Munich. Son but déclenche une remontée mémorable et fait de lui, à seulement 17 ans et 322 jours, le plus jeune buteur de l'histoire du Klassiker. Il signe également un doublé lors d'une victoire 3-0 à domicile contre Bochum, devenant au passage le plus jeune joueur à atteindre la barre des 10 buts en Bundesliga. Terzić salue alors le « pas de géant » franchi par son protégé. Le sélectionneur allemand de l'époque, Hansi Flick, est du même avis et l'intègre à sa liste pour la Coupe du Monde au Qatar, organisée en pleine saison.

Le tournoi se révèle désastreux pour l'Allemagne, éliminée dès la phase de groupes après une défaite choc contre le Japon. Flick est critiqué pour n'avoir fait entrer Moukoko qu'à la 90ème minute de cette rencontre, mais le moment reste historique pour l'attaquant, qui bat le record du plus jeune joueur allemand à participer à une Coupe du Monde.

Malheureusement, ce « pas de géant » en club comme en sélection sera suivi d'un brutal retour en arrière. À son retour à Dortmund, les buts se font rares. Fin janvier, il perd sa place de titulaire dans le onze d'Edin Terzić. Comble de malchance, il se déchire les ligaments de la cheville lors d'une victoire 2-0 à Brême et passe les six semaines suivantes à l'infirmerie. Il revient début avril, mais entre-temps, Sébastien Haller a fait un retour presque miraculeux. Moukoko doit donc se contenter d'un rôle de remplaçant pour le reste de la saison.

Hormis un but décisif pour la victoire contre l'Union Berlin, c'est une nouvelle période de frustration pour le jeune attaquant. La médaille de champion de Bundesliga ne viendra pas non plus consoler sa peine, Dortmund offrant le titre au Bayern sur un plateau après un effondrement spectaculaire contre Mayence lors de la dernière journée.

Le cauchemar se poursuit lorsqu'il rejoint les espoirs allemands pour l'Euro 2023. Il est la cible d'odieuses insultes racistes après avoir manqué un penalty dans les dernières minutes du match nul 1-1 contre Israël. Par la suite, une blessure musculaire le contraint à l'abandon alors que l'Allemagne termine dernière de son groupe après des défaites contre la République Tchèque et l'Angleterre.

Avant la Coupe du Monde, des clubs comme le FC Barcelone, le Real Madrid, Manchester United et Chelsea s'intéressaient à Moukoko. Dortmund s'était donc assuré de lui faire signer une prolongation de contrat de deux ans en janvier. Mais dès le début de la saison 2023-2024, le géant allemand aurait déjà décidé qu'il n'était plus un joueur intransférable. Cette décision était en partie due à sa méforme, mais aussi à l'arrivée estivale de Niclas Füllkrug, le buteur du Werder Brême. Dortmund a bien conservé Moukoko, mais il a été relégué au rang de troisième choix en attaque, derrière Füllkrug et Malen, tandis que les blessures persistantes au genou maintenaient Haller presque entièrement à l'écart.

Sur la saison, Moukoko a inscrit en moyenne un but toutes les 126 minutes en 27 apparitions, mais il n'a été titulaire qu'à six reprises. Pour une raison ou une autre, il avait perdu la confiance de Terzić, et ce, même si Dortmund glissait à la cinquième place en Bundesliga. De sérieuses questions sur son avenir ont alors émergé.

Patrick Williams, son agent, n'a pas aidé à arranger la situation. « Youssoufa a un potentiel énorme, qu'il n'a malheureusement pas pu montrer la saison dernière. On lui a promis beaucoup de choses avant qu'il ne signe, mais ça ne s'est pas concrétisé », a déclaré Williams dans une interview malavisée avec le gourou des transferts Fabrizio Romano. « Il n'a toujours été intéressé que par le jeu et son développement. Il n'est pas secret qu'il y a assez de clubs qui croient en ses qualités. Nous sondons maintenant l'intérêt en Angleterre, en Espagne et en France. »

Naturellement, Dortmund a été furieux de ces commentaires publics. Le club n'a pas hésité à exaucer le souhait de l'agent. À cet instant, Moukoko a brûlé tous les ponts avec son club formateur, qui l'a envoyé en prêt à Nice pour toute la saison 2024-2025.

L'accord avec Nice incluait une option d'achat de 18 millions d'euros, mais Moukoko n'a marqué que deux fois en 22 apparitions pour le club de Ligue 1. Sans surprise, les Aiglons ont décidé de ne pas lever la clause. Le joueur prêté par Dortmund a même passé les 14 derniers matchs de championnat sur le banc, et son entraîneur, Franck Haise, a admis en mars qu'il n'en faisait tout simplement pas assez pour mériter sa place. « Il s'entraîne bien, mais ce n'est pas facile. Nous avons six, sept, huit joueurs devant », expliquait Haise à la presse. « S'ils n'arrivent pas à s'exprimer, à marquer et à faire des passes décisives... Je dois faire des choix et je ne peux pas continuer à relancer les mêmes joueurs. » La triste réalité, c'est que Moukoko avait perdu cette insouciance qui le rendait si fascinant à ses débuts à Dortmund.

Il est revenu au Signal Iduna Park en juin, mais uniquement pour que les dirigeants du BVB puissent organiser son départ définitif. Le problème, c'est que sa cote était au plus bas. Une autre chance dans l'un des cinq grands championnats européens semblait improbable. Dortmund a donc sauté sur l'occasion quand Copenhague a formulé son offre au rabais.

Il y avait une pointe de tristesse dans l'air lorsque l'international allemand a été officiellement présenté par le champion du Danemark. Moukoko lui-même était partagé, comme il l'a admis dans son interview d'adieu sur le site du club : « Deux cœurs battent dans ma poitrine. Ce n'est pas facile de dire au revoir à un club comme le BVB. Mais d'un autre côté, après une année difficile en France, il est temps de prendre un nouveau départ, avec optimisme et une énorme ambition. Le FC Copenhague m'offre cette opportunité. »

À seulement 20 ans, il est possible que Moukoko rebondisse. Il a été complètement vidé de sa confiance ces deux dernières années, et Copenhague pourrait être l'endroit idéal pour se ressourcer. Mais il y a aussi une forte possibilité que nous ne voyions jamais Moukoko atteindre son plein potentiel, ce qui serait un immense gâchis, non seulement pour l'Allemagne, mais pour le football dans son ensemble.