Jess Fishlock Wales Euro 2025 GFXGetty/GOAL

Jess Fishlock : 19 ans d'attente, la dernière danse d'une légende maudite

L'histoire du football est pavée de noms illustres qui, malgré des exploits individuels remarquables et un palmarès en club bien rempli, ont traversé toute leur carrière sans jamais disputer de tournoi international majeur. Pendant longtemps, Jess Fishlock, l'une des meilleures milieux de terrain de l'histoire de la NWSL (le championnat américain de première division), semblait destinée à ajouter son nom à cette liste maudite.

En dix-neuf ans de carrière internationale, celle qui est aujourd'hui considérée comme la plus grande footballeuse galloise de tous les temps a connu neuf tentatives infructueuses de qualifier les "Dragons" pour un Euro ou une Coupe du Monde. On lui pardonnerait d'avoir cru, par moments, que ce jour n'arriverait jamais. Et puis, c'est arrivé.

Le Pays de Galles n'a certainement pas choisi la facilité. Il a fallu des prolongations pour battre la Slovaquie, puis pour s'imposer à Dublin face à l'Irlande. Mais le Pays de Galles a enfin franchi l'obstacle, offrant à Fishlock, aujourd'hui âgée de 38 ans, ce qu'elle a décrit comme « le plus grand moment de fierté » de sa riche carrière. Aujourd'hui, alors que l'Euro 2025 commence, l'opportunité qu'elle et tout un pays attendaient est enfin là. Avec, en prime, une occasion en or de jeter un pavé dans la mare des Anglaises, championnes en titre.

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    Le chemin de croix

    Le chemin qui a mené le Pays de Galles jusqu'à cet Euro a été un véritable calvaire, pavé de désillusions toutes plus cruelles les unes que les autres. En 2020, la qualification pour les barrages de l'Euro 2022 s'est jouée à rien. À égalité de points avec l'Irlande du Nord et avec un goal-average bien meilleur, les Galloises pensaient avoir fait le plus dur. Mais c'était sans compter sur la cruauté du règlement : à la différence de buts particulière, ce sont les Nord-Irlandaises, grâce à deux buts inscrits lors d'un match nul à Newport, qui ont décroché le billet. L'Irlande du Nord allait disputer son premier grand tournoi. Le Pays de Galles, lui, restait à quai.

    Le crève-cœur le plus terrible était encore à venir. Deux ans plus tard, lors des qualifications pour le Mondial 2023, le scénario a viré au cauchemar. Dans un match couperet, sur une seule rencontre, à Zurich contre la Suisse, tout semblait pourtant parfait lorsque Rhiannon Roberts a ouvert le score à la 19e minute. Le rêve était à portée de main. Mais il s'est brisé dans les ultimes secondes de la prolongation. Le but de Fabienne Humm à la 121e minute a envoyé la Suisse au Mondial et les Galloises en enfer. Une défaite si brutale qu'elle aurait pu mettre un terme à n'importe quelle carrière.

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  • Jess Fishlock Wales Women 2022Getty Images

    "Je n'en peux plus"

    Après tant de désillusions, Jess Fishlock a plusieurs fois songé à tout arrêter. La défaite en Suisse, lors des qualifications pour le Mondial, fut le coup de grâce, le moment où elle a touché le fond. « C'était dur. Vraiment très dur », confiait-elle à la BBC l'année dernière. « Je suis rentrée à la maison et je me suis effondrée en larmes devant ma mère. J'avais tenu bon au stade, mais une fois arrivée, j'ai tout lâché. Je lui ai dit : 'Je n'en peux plus. Je ne peux plus revivre ça. C'est impossible'. »

    Face à ce désarroi, la réaction de sa mère fut d'une simplicité et d'une puissance désarmantes. « Je m'attendais à ce qu'elle me dise : 'Non, tu ne peux pas abandonner maintenant, ne baisse pas les bras !'. Mais elle a fait tout le contraire. Elle m'a juste pris dans ses bras et m'a dit : 'Et c'est normal'. C'était exactement ce dont j'avais besoin. Je suis allée me coucher ce soir-là, et le lendemain matin, j'étais prête à repartir au combat. » Parfois, un simple câlin peut changer le cours d'une carrière.

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    Le sacrifice pour les autres

    Si Jess Fishlock est revenue, ce n'est pas pour elle. Ce n'est pas pour cocher une dernière case sur sa liste personnelle ou pour ajouter une ligne à son palmarès déjà bien rempli. Non, si elle a décidé de continuer, c'est pour les autres. C'est parce que, selon ses propres mots, ce serait une « injustice » que le Pays de Galles, « avec les joueuses que nous avons », ne parvienne pas enfin à briser ce plafond de verre. « Il ne s'agit pas tant de moi que de tout ce que nous représentons, sur et en dehors du terrain », explique-t-elle. « Tout ce que ces filles ont accompli au fil des ans... elles le méritent. »

    Cette déclaration en dit long sur ce que Fishlock apporte à l'équipe en dehors du rectangle vert. Sur le terrain, c'est une milieu de terrain élégante, qui dicte le tempo, apporte une énergie folle et sait aussi bien créer que marquer. Mais elle est surtout ce leader calme et expérimenté vers qui les plus jeunes peuvent se tourner dans les moments de doute. Après tout, Fishlock a tout connu, ou presque. Ses deux Ligues des Champions et ses trois titres en NWSL ne sont que la partie visible de son immense carrière. Comme le résume sa sélectionneuse, Rhiannon Wilkinson : « C'est l'incarnation même de la joueuse d'équipe ».

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    L'effet Wilkinson

    Un éloge que Jess Fishlock ne manque pas de retourner, soulignant le rôle capital de sa sélectionneuse, Rhiannon Wilkinson, dans cet exploit historique. Pendant des années, le Pays de Galles a eu le talent nécessaire pour se qualifier, et le soutien de sa fédération n'a cessé de croître. Mais il a fallu attendre la nomination de Wilkinson l'année dernière pour que l'équipe franchisse enfin ce cap.

    « Rhian nous a transformées », confiait Fishlock au Guardian la semaine dernière. « Je pense que par le passé, nous n'avons jamais vraiment eu un entraîneur qui croyait autant en nous. Mais la foi de Rhian est inébranlable. Elle a placé la barre plus haut. Dès la première minute, elle a instauré des standards non négociables, elle a été ferme et a fixé de toutes nouvelles exigences. Cela a tiré le meilleur de nous toutes. Ça a toujours été un honneur et un privilège de représenter ce pays, mais elle nous a mises dans une position où nous sommes désormais capables de rivaliser avec les meilleures équipes. »

    Cette transformation est avant tout mentale. « Avant, je suppose qu'on se résignait, qu'on se disait qu'on ne pouvait pas faire ceci ou cela. Mais Rhian n'accepte tout simplement pas ça. Je crois qu'elle croit vraiment, sincèrement, en nous. Elle communique très clairement et nous a insufflé une confiance énorme. Nous savions que nous avions le niveau, mais nous avions peut-être un blocage. Maintenant, on voit bien qu'on progresse. Nous avons élevé notre niveau de jeu. C'est tout simplement passionnant. »

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    Prêtes à créer la surprise

    Cette progression était indispensable pour se qualifier, elle le sera encore plus durant la compétition. Car pour leur baptême du feu, les Galloises n'ont pas été gâtées. Elles ont hérité du "groupe de la mort", aux côtés de la France, des Pays-Bas et de l'Angleterre. Si beaucoup s'attendent à ce que les débutantes fassent de la figuration, elles, au contraire, sont persuadées de pouvoir créer la surprise.

    « Nous avons utilisé l'image de la montagne comme fil rouge tout au long de notre campagne de qualification », explique la coach, Rhiannon Wilkinson. « Nous savions que la bataille serait rude, avec des petits contretemps. Maintenant que nous sommes à l'Euro, nous parlons du sommet, de l'Everest. Nous nous disons que quelque chose est impossible, jusqu'à ce qu'on le réalise. En dehors du Pays de Galles, les gens peuvent penser ce qu'ils veulent. Notre objectif est d'être présentes et de donner le meilleur de nous-mêmes. »

    Un sentiment partagé par la capitaine, Angharad James. « Je crois sincèrement que nous pouvons arriver dans ce tournoi et bousculer quelques équipes », a-t-elle ajouté. « Tant que nous sommes performantes, je crois vraiment en nous. Je crois vraiment, sincèrement, que nous allons faire un bon parcours. » L'outsider n'a peur de personne.

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    La force d'un groupe

    Quand on entend les joueuses parler de l'unité qui règne au sein de leur groupe, on comprend mieux d'où vient cette confiance. Il y a toujours des surprises dans les grands tournois. Et souvent, ce sont ces équipes soudées, ces collectifs où chacune est prête à se sacrifier pour l'autre, qui créent l'exploit. C'est exactement le portrait du Pays de Galles.

    « Quand vous voulez accomplir quelque chose et que vous y parvenez avec certaines de vos amies les plus proches, il n'y a vraiment aucune comparaison possible avec ce que l'on ressent », expliquait récemment Jess Fishlock. « Avec toutes les joueuses qui sont là depuis si longtemps, qui ont tout vécu ensemble, on a parfois juste l'impression de jouer avec ses potes. »

    C'est cette alchimie si particulière qui leur a permis d'arracher deux matchs nuls impressionnants contre la Suède cette année, et de remporter les victoires décisives pour la qualification. Aujourd'hui, les "Dragons" espèrent que cette force collective posera de sérieux problèmes à la France, aux Pays-Bas et à l'Angleterre. Ces trois nations auraient tort de sous-estimer la menace que représentent Jess Fishlock et sa bande pour leurs propres ambitions de titre européen.