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Youcef Belaili raconté par ses anciens coaches

Youcef Belaili, la nouvelle recrue du Stade Brestois, suscite un important engouement depuis son arrivée au club lors du dernier jour du mercato hivernal. Véritable star en Algérie et dans le monde arabe, le natif d’Oran a fait exploser le compteur des réseaux sociaux au sein de son nouveau club. Et ce, avant même d’avoir joué son premier match avec la bande à Der Zakarian. Mais qui est ce joueur qui affole la toile et provoque une effervescence sans précédent du coté de Francis-Le Blé ? Goal a sollicité cinq de ses anciens coaches pour qu’ils nous décrivent le joueur et aussi la personne qu’est Belaili.

L’ailier algérien a débuté en pro en 2008 alors qu’il avait à peine 16 ans. Depuis, il a beaucoup bourlingué, passant par sept clubs, cinq pays et trois continents différents. Notre rédaction a pris la peine de réunir des techniciens qui l’ont connu à des époques diverses de sa carrière pour avoir une idée sur sa trajectoire, la progression qu’il a connue mais aussi le profil qu’il présentait à ses débuts ainsi que les promesses qu’il avait engendrées. L’Algérien Tahar Cherif El-Ouazzani, le Tunisien Nabil Maaloul, le Néerlandais Ruud Krol, le Français Hubert Velud et le Suisse Christian Gross se sont tous prêtés au jeu. Et ils l’ont fait avec plaisir, car ayant, sans exception, gardé un excellent souvenir de leur collaboration avec le prodige d’El Bahia.

Dès ses débuts, Belaili sortait du lot

En Algérie, on a commencé à vraiment entendre parler de Youcef Belaili au début des années 2010 quand il évoluait pour son club de cœur, le Mouloudia d’Oran. A l’époque, plusieurs techniciens se sont succédé à la tête de cette formation et Cherif El-Ouazzani est celui qui l’a coaché le plus longtemps. En se souvenant de lui, il se rappelle d’un élément qui était déjà largement au-dessus des autres. « Quand je l’ai eu, il était jeune, mais il faisait déjà la différence sur le terrain. Il avait de la personnalité et était très talentueux, affirme l’ex-capitaine de la sélection algérienne. A l’époque déjà, il avait toutes les qualités pour aller en Europe et progresser. Il aurait pu devenir parmi les meilleurs au monde ».

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Après le MCO, le brillant ailier s’est exilé chez le voisin tunisien. Le grand ES Tunis lui a ouvert ses portes. Il avait alors à peine 20 ans. Maaloul a eu la chance de l’accueillir. «  C’était sa première expérience à l’étranger. Il manquait d’expérience, mais il était bourré de qualités. Il avait un talent fou. Ça se voyait qu’il était très doué. Et le don, il l’avait avant même sa venue chez nous », se remémore ce dernier. Chez les Espérantistes, Belaili a également connu plusieurs entraineurs. Krol fait partie de cette catégorie. Le Néerlandais ne l’a pas eu très longtemps (de janvier à mai 2014) mais assez pour se rappeler qu’il ne l’a pas laissé indifférent. « Techniquement, il était très bien, clame l’ex-gloire des Oranje. En tant qu’ailier gauche, c’était déjà un joueur de grande valeur. Quand j’y étais, il avait un problème contractuel avec l’Espérance. Mais, lorsqu’il était sur le terrain, il était toujours bon. Malheureusement, je n’ai pas pu trop en profiter ».

Bien qu’ayant brillé avec le « Tarraji », Belaili a fait le choix ensuite de rentrer au pays. Il s’est engagé avec l’USM Alger (en 2014). C’est là-bas qu’il a côtoyé Hubert Velud, juste avant sa longue mise à l’écart des terrains pour cause de suspension. Ce dernier abonde dans le même sens que ses confrères en déclarant : « C’était un joueur fantastique. Il a toutes les qualités : la puissance, la technique, l’ingéniosité, le flair, bonne frappe. Physiquement impressionnant aussi. A l’époque, il était jeune, mais j’ai vu déjà d’énormes qualités en lui ».

Une progression freinée… mais spectaculaire

En raison des choix de carrière parfois surprenants et aussi des erreurs qu’il a commises en tant qu’être humain, Belaili a connu un parcours plutôt atypique. Son ascension n’était pas rectiligne, mais cela ne l’a pas empêché de devenir meilleur footballeur au fil des années. Sur ce point-là, tous nos témoins sont d’accord ou presque.

« Pour moi, il a beaucoup progressé tactiquement, juge Cherif El Ouazzani. Dans son placement sur le terrain. Il défend aussi un peu plus. A l’époque, au MC Oran, on jouait en 4-4-2 en losange et il était le deuxième attaquant. Il défendait mais pas à 100%. Maintenant, quand je le vois en sélection, il fait tout sur son côté. Il provoque, fait la différence et travaille pour l’équipe. Il s’est beaucoup développé tactiquement. Il pense plus au collectif. La technique, elle, n’a pas changé. C’est un joueur décisif aussi et un très grand joueur ». Décisif, c’est aussi le terme qui revient en premier à Christian Gross, qui l’a coaché il y a deux ans chez les Saoudiens d’Al Ahli. « C’est un joueur qui est attiré par le but, il aime marquer et il a le sens du but. C’est un joueur plutôt individuel qui peut faire la différence par lui-même. Mais malgré son âge, il a encore une bonne marge de progression », indique le Helvète.

Maaloul, l’ex-sélectionneur tunisien, ne dit pas le contraire non plus, mais il est plus séduit par la précision dans les transmissions dont son ancien protégé fait aujourd’hui preuve sur le terrain : « Les qualités techniques, il les avait à l’époque. Il avait aussi déjà la percussion et une bonne qualité de dribbles. Mais je pense qu’il a progressé dans ses qualités de passes. Dans le domaine technico-tactique, il a évolué. Il a mûri et il est aguerri. »

Krol, le plus ancien de tous (72 ans), ne s’attarde pas sur l’aspect technique. Car il sait que le secret réside dans le vécu emmagasiné, surtout lorsqu’on et très adroit balle au pied à la base. « Il a bien sûr gagné en expérience. Il est devenu un joueur plus équilibré, y compris dans sa vie. Il est devenu plus mature. C’est un footballeur aguerri. L’expérience est très importante pour un joueur comme Youcef. »

Aujourd’hui, à 29 ans, le Fennec est forcément meilleur qu’à ses débuts. Quoi que, Velud n’en est pas aussi certain. Le Français est le seul à émettre un bémol lorsqu’on évoque la progression de Belaili : « Il est devenu très efficace oui, au niveau des buts et des passes. Mais je vais vous surprendre : pour moi, quand il était jeune, il était presque plus fort que maintenant. Il était bien physiquement. Là, son petit problème, c’est qu’il y a des périodes où il est un peu moins bien physiquement. Alors qu’à mon époque, il était toujours au top ».

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Passé à côté d’une carrière encore plus grande

Inévitablement, en écoutant tous les éloges à l’endroit du stratège, on peut légitimement se demander s’il n’a pas raté un parcours encore plus glorieux et dans des clubs de plus grande envergure. Maaloul est celui qui émet le plus de regrets à ce sujet : « Oui, il a raté une carrière beaucoup plus grande. Avec les qualités qu’il possède, il aurait pu jouer dans des clubs beaucoup plus grands. Chez nous, on se disait qu’il avait un avenir très prometteur ». Velud, aussi, ressent une pointe d’amertume. Il jure que Belaili qu’il a eu sous sa coupe avait les armes pour briller chez les plus grands : « Je pensais sincèrement qu’il pouvait aller dans un club comme le PSG, l’OM ou l’OL. Un joueur au grand potentiel. Plus fort que Riyad Mahrez, selon moi ».

Bien sûr, en se retournant pour comprendre là où ça a coincé, il est impossible d’occulter ce bannissement de deux ans (2014-2016) à cause de la consommation de cocaïne. Cherif El Ouazzani, qui sait de quoi il parle puisque son fils footballeur a commis le même faux-pas, essaye d’être tolérant en maudissant surtout les circonstances : « C’est dommage qu’il a eu cette mésaventure qui l’a brisé dans son élan. Car il pouvait aller beaucoup plus loin et évoluer dans de meilleurs championnats que ceux où il est passé. Son entourage à l’époque ne l’a pas aidé non plus. »

Sa force mentale louée par tous

Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre. Après qu’il ait payé sa dette et expié son erreur, Belaili méritait une seconde chance. Il lui a été accordée et il a su s’en saisir opportunément. Pas à Angers, où il a signé après coup et où Stéphane Moulin n’a pas daigné croire en lui, mais à l’ES Tunis. Le club tunisien lui a rouvert ses portes pour l’opération rédemption. C’était le début de la seconde vie de l’Oranais, celle qui ressemble à un conte de fée et à travers laquelle il a fait apprécier ses incroyables ressources mentales. Même s’ils le connaissent bien, les coaches qui l’ont dirigés ont tous été bluffés par ce retour en grâce.

« C’est vraiment très fort ce qu’il a fait. Ce n’était pas évident, car c’était très long. C’est énorme de pouvoir revenir au niveau qui était le sien après deux ans sans football », souligne Velud. Maaloul partage cette opinion lorsqu’il confie : « Il faut vraiment avoir un mental de fer pour revenir après deux années de suspension. Il a bossé dur pour revenir au plus haut niveau. Grâce à l’ES Tunis et à la sélection algérienne. Et ce n’était pas facile de retrouver une place en sélection vu la concurrence qu’il y avait à son poste. Et aujourd’hui, il est l’un des meilleurs à son poste en Afrique, incontestablement ».

Belaili a beau être un compétiteur, il est certain qu’il n’aurait pas pu se relancer aussi bien sans faire des concessions, et aussi un ménage autour de lui. Cherif El-Ouazzani en est convaincu : « Grâce à son amour du football et avec l’aide des entraineurs qu’il a côtoyés, il a pu retrouver un excellent niveau. Son père l’a aidé, à l’ES Tunis, aussi, on a été très bons avec lui. Djamel Belmadi a également joué un grand rôle dans sa renaissance. Il l’a mis dans d’excellentes conditions. Et, lui aussi a travaillé. Il avait cette volonté de réussir à tout prix, et son don a fait le reste ».

Krol enchérit sur ce sujet en mettant en exergue l’intelligence qu’a eue le milieu offensif algérien : « Je pense qu’il a tiré les leçons nécessaires de cette erreur de jeunesse. Il a eu le temps de réfléchir. Forcément, il est devenu plus mature ».

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A 29 ans, est-il encore perfectible ?

Belaili n’est plus très jeune, et forcément il y a à se demander s’il a déjà atteint le sommet de son art ou s’il peut encore s’améliorer. Une question que se posent à coup sûr les supporters brestois. Gross, qui a su tirer le meilleur d’un autre virtuose passé par Brest à 32 ans, en l’occurrence David Ginola (à Tottenham), nous livre sa réponse. « Il doit se sentir un peu plus comme un joueur d’équipe. Il doit penser un peu plus aux autres avant de penser à soi-même. Il peut faire la différence, mais il est dépendant des autres. Et ça, il doit le savoir, estime le Suisse. C’est un joueur très charmant. Il est à l’écoute des consignes et il aime aussi travailler. Mais, il faut le mettre dans des conditions parfaites pour qu’il puisse progresser ».

Velud, lui, est un peu partagé en ce qui concerne les progrès à faire. Car il pense que tous les défauts qu’avait Belaili durant sa jeunesse, il les a ensuite gommés. Y compris au niveau de l’état d’esprit propre à un joueur de haut niveau. « Il avait peut-être des petits problèmes de discipline, relève l’actuel sélectionneur du Soudan. Chez nous, il n’était pas trop mature. C’était un peu ça son petit péché mignon. Des fois, j’étais obligé de le punir un peu, mais gentiment. J’étais derrière lui, mais sinon il n’y avait rien à dire à son sujet. Et il a progressé à ce niveau-là. Aujourd’hui, c’est quelqu’un qui est marié, mature et qui a résolu tous ses problèmes. Et j’étais très content de le revoir à la Coupe Arabe. On s’est vus et on s’est embrassés. Car c’est un bon gars, très gentil ».

Alors, Belaili aurait eu un côté rebelle durant ses premières années ? Maaloul n’est pas d’accord, mais il pointe du doigt un aspect important que le joueur gagnerait selon lui à corriger. « Moi, je ne me souviens d’aucun problème disciplinaire le concernant. Il était tranquille et n’a jamais posé de problèmes. Il était jeune et voulait juste jouer. Il y avait Youssef Msakni à son poste aussi et il y avait une petite concurrence entre eux, c’est tout. Pour moi, son problème majeur, c’est qu’il n’est pas aussi bon club qu’il ne l’est en sélection. En Equipe nationale, il livre un grand rendement. Mais, en club, il a souvent des performances instables. Pas toujours très concentré et pas constant dans ses efforts ». Les fidèles du stade Francis Le Blé croisent les doigts pour que ce constat ne se vérifie pas durant les prochains mois.

Belaili et Brest, un mariage qui interpelle

En revanche, si Belaili se montre à la hauteur des attentes, il pourrait être d’un grand apport à l’équipe dirigée par Michel Der Zakarian. En principe, il n’y a aucune raison pour que ce champion d’Afrique 2019 et auquel on promettait les destinations les plus prestigieuses éprouve des difficultés à briller chez le 13e de la Ligue 1. D’ailleurs, une bonne partie des anciens coaches sont surpris de le voir opter pour cette destination, à commencer par Maaloul. « Le voir à Brest c’est une surprise pour moi. Je ne m’y attendais pas, lâche l’actuel coach de Koweit SC. Avec tous les respects que j’ai pour Brest, il doit y avoir un hic. C’est même un point d’interrogation. Le voir finir là-bas après toutes les équipes dont on a entendu parler, ça m’étonne. Peut-être qu’il n’a pas trouvé de club tout simplement et a choisi en urgence ».

Cherif El-Ouazzani s’attendait aussi à ce que Belaili rejoigne une équipe de plus haut standing. Il l’aurait par exemple bien vu à Marseille. « J’aurais bien aimé le voir là-bas. Il y était annoncé, de même qu’à Montpellier. A Marseille, quand je vois les joueurs qu’ils ont sur les ailes, je ne crois pas que Belaili a quelque chose à leur envier. »

Il y a eu des touches effectivement avec les responsables phocéens et cela ne s’est pas fait, Velud a une explication à cela : « Le problème c’est que dans les clubs comme le PSG, l’OM et autres, ils regardent beaucoup l’âge maintenant. Surtout quand il s’agit de joueurs étrangers. Tout ce qui est au-dessous de 24 ans. Même s’il n’y avait pas d’indemnité de transfert et qu’ils auraient pu tenter le coup ».

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Briller à Brest et inspirer l’Algérie

Belaili a donc fini dans un club de milieu de tableau en France, mais il faut aussi savoir qu’il n’avait plus trop le choix vu que le mercato hivernal touchait à sa fin. Et sportivement, ça reste un challenge intéressant. Sur ce point-là, tous les intervenants sont d’accord. « C’est le contexte qui a dicté ça, indique Gross. C’est la solution qui a émergé dans ce contexte précis. Ce n'est pas le plus grand club de France, mais il va certainement jouer. Et c’est l’essentiel. Il va aussi faire la différence pour son équipe ». Même son de cloche chez Krol : « Moi, je ne suis pas surpris car on a la réponse dans la durée de contrat. C’est un bon compromis pour renouer avec le haut niveau et essayer de prouver qu’il peut s’y imposer. Et s’il y arrive, il va encore aller dans un club plus grand. C’est un bon pari. Et puis Brest, c’est une bonne région et ils jouent un bon football. Ce n’est pas une petite équipe. Et avec lui, je suis sûr qu’ils vont encore progresser. De toute façon, lui, il a surtout besoin de jouer ».

Velud aussi finit par reconnaitre que Belaili est peut-être tombé au bon endroit pour se refaire une santé avant d’éventuellement allez voir si l’herbe est plus verte ailleurs : « C’est un bon choix malgré tout. Un très bon choix, même. Il va jouer dans un très bon championnat et sous la direction d’un très bon entraineur. Je connais bien Michel Der Zakarian. C’est un bon mec. Et c’est très bien pour Youcef. Moi ce que j’attends c’est qu’il soit mis en valeur et qu’on parle de lui. Car c’est un international algérien ».

Reste à savoir si l’intégration va bien se passer et si la greffe prendra ? C’est la principale préoccupation d’El-Ouazzani, beaucoup plus que la question du pedigree chez le club acquéreur. « Ça reste un pas en avant. Car il va jouer dans le championnat français, il sera exposé et il signera certainement de grands matches. Peut-être qu’au bout de son contrat de six mois, il ira encore plus haut. Car il est capable d’apporter beaucoup à n’importe quelle équipe. Il y a cela dit un grand travail qui sera à faire là-bas. Il y a une discipline en place. Il faudrait qu’il s’adapte et s’intègre bien, car c’est la clé. S’adapter à son club, à son coach et au championnat. La présence de Belkebla va l’aider aussi. Je suis sûr qu’il s’y imposera, grâce à sa personnalité et à sa technique. Moi, j’ai une grande foi en lui car c’est un joueur qui a une grande crédibilité dans le football ».

Si Belaili prend vite ses marques, ça sera du gagnant-gagnant pour chaque camp. Y compris pour sa sélection nationale. « C’est important qu’il soit bon, et je pense qu’il le sera. Et c’était très important qu’il signe dans un club en vue des échéances futures avec la sélection », confirme Velud.

Le prochain rendez-vous des Verts ça sera en mars contre le Cameroun en barrages du Mondial. Maaloul estime que c’est le rendez-vous d’une carrière pour Belaili et il lui est interdit de le rater : « Il a intérêt à jouer et à être compétitif. Il a autant besoin de la sélection, que la sélection a besoin de lui. Il doit être en pleine possession de ses moyens pour le match contre le Cameroun. C’est un grand défi pour lui. Et puis, il n’a jamais joué de Coupe du Monde. C’est peut-être aussi sa dernière opportunité. »

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