Cela fait un peu plus de deux semaines que l’Ukraine a basculé dans le chaos. Du jour au lendemain, cette belle nation européenne s’est retrouvée envahie par son voisin russe. Une agression dont des millions de gens souffrent, à des degrés divers. Même s’il ne se trouve pas sur le sol ukrainien en ce moment, Serhiy Rebrov, ancien grand joueur de ce pays (75 sélections), est comme tous ses compatriotes très touché et traumatisé par ce qu’il juge comme étant une attaque lâche et inhumaine. Il s’en émeut dans cet entretien à GOAL.
Avec plusieurs internationaux ukrainiens, actuels ou anciens, Rebrov s’est déjà mobilisé pour venir en aide à ceux qui défendent en ce moment. Des Emirates Arabes Unis, où il travaille actuellement, il apporte donc sa contribution. Et il compte faire encore plus dès lors qu’il sera libéré par sa direction d’Al-Ain.
Rebrov compte donc venir en aide aux siens, d’autant plus que ses parents se trouvent toujours à Kiev. Mais ce qu’il espère plus encore plus c’est que cette guerre s’arrête au plus vite. Un conflit armé auquel il ne trouve pas de sens. Il maudit Vladimir Poutine pour l’avoir enclenché et il en veut à ses anciens compatriotes russes (il est né à l’ère de l’ex-URSS) pour rester les bras croisés face à une terrible injustice.
"Ils essayent de détruire la nation ukrainienne"
Comment vous portez-vous aujourd’hui ? Vous et votre famille êtes en sécurité ?
Oui, moi et ma famille nous sommes en sécurité. Nous sommes ici à Dubai, car je travaille pour Al Ain. Mais, il y a mes parents qui sont à Kiev. On s’appelle tout le temps pour vérifier et connaitre la situation là-bas. Ce n’est pas facile, mais on essaye de les soutenir avec tout ce qu’on peut.
Et vos parents sont en sécurité en ce moment ?
On ne peut jamais le savoir, s’ils sont en sécurité ou pas. Quand on voit ce qui se passe à Kiev, et aussi dans les autres villes comme Kharkiv, Marioupol et à Soumy. Toutes ces villes qu’ils (les Russes, ndlr) cherchent à détruire. Beaucoup de bâtiments et de monuments y sont déjà détruits.
Quels sentiments vous animent aujourd’hui, après presque deux semaines d’invasion russe ?
On est bien sûr toujours sous le choc de cette invasion. Personne ne l’attendait. Il ne s’agit pas de politique là. Les gens disent que c’est de la géopolitique, mais ce n’est pas le cas. C’est une vraie guerre. Ils essayent de détruire la nation ukrainienne. Quelle est la raison ? On ne comprend pas. On se dit encore qu’il est impossible que ce genre de choses se produit. On est Ukrainiens, et on n’en dort plus. On appelle tout le temps nos compatriotes, on essaye de se mobiliser pour les aider, aider les volontaires. Il y a beaucoup de choses qu’on peut faire d’ici. Mais, encore une fois, là-bas, tout le monde est sous le choc. Et on est fiers de tous les gens en Ukraine, qui protègent notre liberté et protègent notre pays. On essaye de les aider avec tout ce qu’on peut.
Est-ce que c’est la tristesse ou la colère qui prédomine chez vous aujourd’hui, quand vous voyez ce qui arrive à votre pays ?
Il y a de différents sentiments. Bien sûr qu’on est énervé, bien sûr qu’on est en colère. Quand tu vois la guerre dans d’autres pays, tu montres déjà de la sympathie et du soutien envers ceux qui souffrent injustement. Alors, imaginez quand il s’agit de votre propre nation. Il y a votre famille, vos amis là-bas… C’est sûr que de différents sentiments se mélangent. Et le problème c’est qu’on ne comprend toujours pas pourquoi tout ça est arrivé. Nous vivons dans notre pays, sur nos terres. Et quelqu’un arrive chez nous et essaye de nous commander ce qu’on doit faire. Aujourd’hui, si toute l’Europe et le monde entier nous aident c’est parce qu’ils voient que l’Ukraine combat pour sa liberté. Et c’est important pour eux de nous aider. Ils l’ont fait, mais là il est aussi crucial de fermer l’espace aérien. On protège notre pays, mais c’est difficile de le faire contre les bombes et les massacres venant des airs.
İHA"Comment arrêter la guerre ? Cette question est pour celui qui l'a enclenchée"
Selon vous, quel serait le meilleur moyen de stopper cette guère ?
Aujourd’hui, personne ne détient la réponse à cette question. Actuellement, tous les dirigeants des grands pays tentent de mettre la pression sur Vladimir Poutine, mais il reste sur sa position. Nous souhaitons tous et nous prions tous pour que cette guerre se termine au plus vite. Il faut que les sanctions le conduisent à faire machine arrière. Mais, à la question quand cette guerre finira, impossible d’y répondre. En fait, c’est une question pour ceux qui ont enclenché la guerre. Pas pour nous, les Ukrainiens.
C’est probablement difficile de vous concentrer sur votre travail, vu le contexte et la situation dans votre pays. N’est-ce pas ?
Oui, bien sûr que c’est difficile. Mais je suis ravi de mes joueurs. Actuellement, je ne suis pas au mieux au niveau mental et physique, mais mes joueurs font tout pour m’aider. Ils le comprennent et ils travaillent encore plus dur. Ils soutiennent l’Ukraine et ils espèrent tous que ce cauchemar se termine.
Vous, votre cœur et votre esprit sont là-bas, avec les Ukrainiens ?
Bien sûr. Comme je l’ai dit, quand ça touche votre pays, votre famille et vos amis, vous ne pouvez pas rester insensible. On est inquiets jours et nuits à propos de ce qui arrive là-bas.
Que vous inspirent le courage et la résistance des Ukrainiens malgré le déséquilibre dans le rapport des forces ?
Je savais ce dont les Ukrainiens étaient capables. Nous sommes un peuple fort et fier et aujourd’hui on le démontre. Mais le souci est que la Russie agresse aujourd’hui sans distinction. Ils tuent des civils, des enfants… C’est ça le plus grand souci. Cette cruauté. Ils ont dit qu’ils évacuaient les civils, mais ils ne l’ont pas fait correctement. Et aujourd’hui ils essayent de détruire toutes nos infrastructures. Ils ne sont pas venus combattre uniquement contre nos militaires, ils tuent tout le monde. Et cette injustice nous transcende encore plus, nous les Ukrainiens et nous amène à s’unir.
"Je suis prêt à rentrer et aider mon pays"
Vous, vous seriez prêt à prendre les armes et défendre votre pays si vous en aviez la possibilité ?
Je pense que nous sommes tous prêts. Aujourd’hui, je suis ici, et si je finis, alors bien sûr que je rentrerai dans mon pays pour aider. Tout le monde aide l’Ukraine en ce moment. Et il y a de différentes façons de le faire. On voit constamment des volontaires qui apportent de la nourriture, aide notre armée et les gens. Et ce n’est pas facile quand on voit toutes les bombes qui tombent de partout. Ces gens sont extrêmement courageux en bravant tous ces risques. Je pense qu’aujourd’hui tout le monde essaye d’aider l’Ukraine.
Vous êtes né à Horlivka, près de Donetsk. Une région pro-russe. Comment c’est en ce moment là-bas ?
C’est une ville ukrainienne et c’est devenu une région pro-russe après les évènements de 2014. La situation est difficile en ce moment là-bas. C’est contrôlé par les séparatistes russes. Mes parents y étaient, mais ils sont aujourd’hui à Kiev. Nous, on s’inquiète pour tous les Ukrainiens. Et Donetsk c’est une ville ukrainienne. C’est compliqué partout en ce moment.
Quel sentiment aujourd’hui vous avez à l’égard de la Russie de manière générale et des Russes ? Vous êtes né en Union Soviétique, est-ce que cette fraternité s’est brisée ?
C’est sûr qu’avant je n’avais absolument aucun problème avec le peuple russe. Maintenant, le problème c’est Poutine, mais il faut dire aussi que les gens en Russie ne protestent pas contre ce régime. Mais aujourd’hui le monde entier voit ce qui se passe chez nous. Les vidéos des Russes qui détruisent nos maisons et bombardent toutes les régions sont désormais partout. Alors oui, je suis très contrarié. Je ne comprends pas pourquoi les Russes n’en font pas assez. Car il y a aussi des Russes qui meurent en ce moment en Ukraine. Des maris et des pères. C’est pourquoi je suis très en colère contre les gens là-bas.
Getty Images"Le peuple russe devra vivre avec cette guerre sur la conscience"
Mais est-ce que vous comprenez que, par exemple, des sportifs russes et des footballeurs restent à l’écart, de peur d’en subir les conséquences ? Qu’ils soient craintifs par rapport à leur régime ?
Oui, pour l’instant, je n’en ai vu aucun qui a pris la parole. Ils vivent dans leur pays et ils soutiennent ce qu’ils pensent être une « opération militaire » alors qu’il s’agit d’une guerre. Je ne les comprends pas. Peut-être qu’ils ont un avis sur le sujet et leurs positions, mais ils n’en parlent qu’en privé, avec leur famille. Ils ne vont pas dans les rues, ils ne protestent pas. Ou alors très peu. Je ne sais pas comment ils vont pouvoir vivre avec, après la guerre. Ils vont avoir ça sur la conscience. Alors, permettez-moi de dire qu’il n’est pas seulement question de Poutine. Il est aussi question de toute la Russie et de son peuple.
Pensez-vous que les Européens et leurs gouvernements vous aident suffisamment, ou est-ce qu’ils peuvent faire encore plus ?
Bien sûr qu’ils peuvent faire plus. Le plus important c’est de fermer l’espace aérien. Tout le monde en Ukraine en parle et prie pour que ça soit le cas. C’est la protection qu’on demande. Car, comme je l’ai dit, ils envoient des bombes et des missiles sur des civils. Ils bombardent tout. Et je pense que l’Europe et l'OTAN peuvent encore nous aider sur ce point-là. Mais oui, nous sommes ravis de la position qu’ont eue tous les pays, de l’aide humanitaire qu’ils ont fournie et des volontaires qui se mobilisent. Mais il faut en faire encore un peu plus. Parce qu’aujourd’hui on se bat pour toute l’Europe, pas uniquement pour l’Ukraine. Ça aurait pu être n’importe quel autre pays au lieu de l’Ukraine. Et on ne sait pas qui est le prochain.
C’est le message que vous adressez à l’Europe et au monde aujourd’hui ?
Exactement. Encore une fois, ce qui a été fait est appréciable. Pas seulement de la part des différentes populations, mais aussi des gouvernements. Mais si les gouvernements pouvaient être mis encore plus sous pression par leurs peuples, ça nous serait bénéfique. On l’a vu par exemple avec l’Allemagne où les gens sont sortis dans les rues pour nous soutenir. Des initiatives comme celle-ci peuvent changer la position de l’OTAN.
Propos recueillis par Naïm Beneddra
