"Le coup le plus rusé que le Diable ait jamais réussi, ça a été de faire croire à tout le monde qu'il n'existe pas". Verbal Kint, dans "The Usual Suspects".
"Il a des amis jusqu'en enfer. Si le diable décide de faire construire une autoroute vers le purgatoire, il donnera le chantier à ACS", Juan Carlos Escudier, biographe de Florentino Pérez.
Y -a-t-il vraiment des super-vilains dans le microcosme du football ? L’existence de super héros, parangons de vertus au pinacle de la performance, le laisse en effet croire, ne serait-ce que par souci de dualité et d’équilibre. Le cinéma nous l’a bien appris. Pour faire un bon western spaghetti, il faut un bon, une brute et un truand. Florentino Pérez rendrait fier Sergio Leone, lui qui est à la fois bon dans les manigances, brutal pour réaliser ses objectifs et un peu truand sur les bords.
Florentino Pérez, film de genre
Ennio Moriccone pourrait lui consacrer une symphonie. Même si Pérez tient davantage du super-vilain moderne, de la trempe des méchants de films Marvel. Une emprise planétaire, des rêves de grandeur stratosphériques et un égo démesuré. Comme Thanos, Pérez a une vision très personnelle et péremptoire de l’équilibre. Prêt à tout détruire et à tout remodeler pour son gain personnel et celui de son club. Parler de Florentino Pérez invoque forcément les références cinématographiques. Le cinéma de Brian De Palma, de Martin Scorcese et forcément de Francis Ford Coppola pour le parrain du football espagnol. Messes basses et manigances, stratagèmes et trahisons, Florentino Pérez aurait pu faire la leçon à Michael Corleone en étant installé sur une chaise pliante depuis le fin fond d’un jardin, entouré d’un plant de tomates.
Pérez, l'art de la guerre
Si Pérez ne dépareillerait pas dans le cinéma de genre, une certaine littérature lui sied également. On pense à "L’Art de la guerre" de Sun Tzu, ou au "Prince", de Machiavel. Avec ses lunettes finement cerclées de métal, sa gamme de costumes allant du gris au bleu, ses fantaisies vestimentaires minimales, ses manières policées, Pérez est l’image même du pouvoir tel qu’on se l’imagine. Capable d’interpeller Thomas Meunier en français parfait en le tançant pour avoir blessé Eden Hazard dans les couloirs de Bernabéu, ou de lancer une révolution pour changer le visage du football pour toujours avec une grande désinvolture, Pérez est un grand prédateur. Nonchalant en apparence, mais qui ne perd jamais sa proie des yeux.
Fils de parfumeur de la banlieue de Madrid, Pérez est un "self-made man", un homme qui s’est fait tout seul, jusqu’à peser 17 milliards de dollars via ACS, sa boîte de BTP, qui compte parmi les plus grosses du secteur au monde. Parmi l’agrégat de talents, relations, compromissions et alliances plus au moins précaires qu’il s‘est constitué au fil des années, une seule chose est garantie authentique : son amour pour le Real Madrid. Ces derniers mois, le président du Real s’est surpassé dans les machinations et la ruse. Face au tarissement des revenus à cause de la Covid-19 et à l’émergence de clubs sponsorisés par des États contre qui il est difficile de lutter avec des moyens conventionnels, il fallait se montrer inventif, contourner les règles, en tordre certaines, en briser d’autres et accessoirement, lancer une révolution d’envergure à faire trembler le modèle économique classique du sport.
Ce projet, c’est la Super League Européenne. 12 clubs, 12 salopards, 12 affranchis dont Scorcese serait fier, qui se sont libérés du giron de l’UEFA pour créer une compétition d’élite, un havre de paix pour les ultras-riches. Et Pérez a failli réussir son coup. Sans la fronde populaire portée par les réseaux sociaux, le projet serait allé à son terme. Et comme annihiler l’UEFA et repenser totalement la distribution des ressources dans le football ne suffisent pas à occuper notre homme, ce dernier a mis quelques tiroirs dans ses plans initiaux, comme une valise à double-fond dans les films d’espionnage.
Dans le terrier du lapin de la Super League, Pérez a emmené avec lui le Barça, persuadant son plus grand adversaire, le président catalan Joan Laporta, ne de pas accepter la manne financière du fonds d’investissement CVC. Le Real et le Barça dans le même bateau, tous deux fauchés et luttant côte à côte avec les moyens du bord. Un fantasme que Pérez a survendu à Laporta. Car si ce dernier a perdu Leo Messi en étant incapable de le prolonger sans la manne de CVC, Pérez, lui, sort le chéquier au dernier moment pour offrir 180 millions d’euros au PSG pour Kylian Mbappé. Pas si fauché que ça finalement…
Mais pourquoi ? Pourquoi un milliardaire dans les plus hautes sphères du pouvoir se démène-t-il toujours au lieu de passer le reste de ses jours sur un yacht ou en croisière ? Peut-être que ce qui motive ce vieux cœur un peu cynique, un peu corrompu par le pouvoir, c'est de simplement revivre les dimanches après-midi ensoleillés où avec son papa, il allait s'émerveiller sur les dribbles chaloupés de Gento et les chevauchées chevaleresques de Di Stefano.




