Youcef Belaili Algeria GFXGetty

Le retour de Belaïli avec l'Algérie : la dernière danse d'un génie tourmenté ?

5 septembre 2024. Il est 21h30 au stade Miloud El-Hadefi d'Oran. Dans les tribunes frémissantes, alors que l'Algérie maîtrise tranquillement la Guinée Équatoriale, un nom s'élève comme une prière collective : « On demande Belaïli ! On demande Belaïli ! » L'appel du peuple, cette fois, a trouvé écho. Quatorze mois après sa dernière apparition sous le maillot des Fennecs, Youcef Belaïli, l'enfant prodige au parcours chaotique, réintègre la sélection à l'aube de deux rencontres cruciales contre le Botswana (21 mars) et le Mozambique (25 mars).

Ce retour inattendu porte la signature de Vladimir Petkovic, ce sélectionneur qui, jusqu'alors, l'avait soigneusement tenu à distance. La justification ? Une saison éclatante sous les couleurs de l'ES Tunis : 16 réalisations, 11 offrandes décisives en 27 apparitions. « C'était le bon moment pour le convoquer. C'est grâce à ses performances continues en club qu'il est dans la liste », a spontanément déclaré le technicien suisse en conférence de presse, devançant même les interrogations des journalistes.

Mais derrière ce retour en grâce et ces statistiques impressionnantes se dessinent les contours d'un parcours semé d'embûches. Une suspension de deux ans pour un contrôle positif à la cocaïne en 2017, des choix de carrière hasardeux en Europe, un entourage parfois délétère... La trajectoire de Belaïli illustre autant le génie balle au pied que le gâchis des promesses non tenues. Pourtant, à 33 ans, l'ancien stratège du MC Alger s'offre une ultime chance d'enrichir sa légende.

Alors que les Verts entrevoient une qualification anticipée pour le Mondial 2026, ce retour résonne comme l'acte final d'une pièce tourmentée. Entre quête de rédemption et poids des attentes, Belaïli incarne désormais les espoirs d'un peuple qui, malgré les errances de son prodige, n'a jamais cessé de l'aduler. Comment expliquer cet attachement viscéral ? Par quel mystère un joueur au parcours si tumultueux est-il devenu l'emblème de toute une nation ? Et surtout, lui reste-t-il assez de magie pour transformer ce dernier essai ?

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    Un retour qui s'imposait de lui-même

    Dans le cercle des anciens internationaux, le verdict est sans appel. Karim Matmour, fort de ses 30 capes entre 2007 et 2012, souligne l'impact immédiat que peut avoir un joueur de cette trempe : « Belaïli, c'est un très bon joueur. Il peut toujours apporter quelque chose. Il a ce grain de folie qui débloque des situations. » Mourad Meghni, qui a porté le maillot national à 9 reprises entre 2009 et 2010, abonde dans le même sens : « C'est un retour logique. Il fait une bonne saison et a toujours été l'un des meilleurs en sélection. Il n'a rien à envier aux autres à son poste. »

    Au-delà de sa forme actuelle, c'est la singularité de son profil qui le rend indispensable. Tahar Cherif El Ouazzani, champion d'Afrique en 1990 et ancien capitaine emblématique des Verts, met en lumière ses qualités uniques : « Il ne faut pas mélanger le footballeur et l'homme. Oublier l'extra-sportif et profiter de ce joueur. C'est un créateur. » Pour Hafid Derradji, figure incontournable du journalisme sportif algérien et voix des matchs sur BeIN Sports MENA, cette convocation relevait presque de l'évidence : « Tout vient à point nommé. Petkovic veut offrir à son équipe toutes les capacités disponibles, et Belaïli est une vraie valeur ajoutée. »

    Ce rappel symbolise davantage qu'un simple retour en grâce. Il représente pour l'Algérie l'opportunité de puiser dans un talent qui, malgré le poids des années, demeure une arme redoutable dans l'arsenal offensif des Fennecs.

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  • Tunisia v Algeria - FIFA Arab Cup Qatar 2021 FinalGetty Images Sport

    À 33 ans, pari audacieux ou option raisonnable ?

    L'âge de Youcef Belaïli constitue-t-il un frein légitime à son retour en sélection ? À 33 printemps, certains observateurs auraient pu privilégier l'émergence de sang neuf. Pourtant, les vétérans interrogés demeurent formels : un joueur performant mérite sa place, quel que soit son millésime.

    Matmour replace cette question dans une perspective contemporaine : « Aujourd'hui, on voit qu'un joueur qui s'entretient et reste professionnel peut performer même après 30 ans. Il y a des joueurs de 37, 38 ans toujours au top. » Meghni partage cette analyse : « Il n'y a pas d'âge pour être appelé en sélection. S'il est performant comme il l'est en ce moment, il mérite d'avoir sa chance. »

    L'expérience, au sein d'une équipe amorçant un nouveau cycle, représente un atout précieux. Cherif El Ouazzani insiste sur cette dimension : « L'âge n'importe pas. Il est mûr, dans son jeu et dans sa mentalité. Il apporte tant au niveau du jeu que dans le groupe. » Rafik Saïfi, qui cumule 64 sélections entre 1998 et 2010 et a lui-même disputé un Mondial à 35 ans, renchérit : « L'âge n'est qu'un chiffre. Il y a des joueurs de 33 ans plus performants que des joueurs de 24 ans. »

    Pour Derradji, aucune place au débat : « L'âge n'est pas un critère déterminant. Ce qui compte, c'est ce qu'un joueur peut apporter dans un contexte donné. Et aujourd'hui, Belaïli peut être très utile pour l'équipe nationale. »

    En définitive, l'ailier algérien n'est pas rappelé pour les services rendus, mais bien pour ce qu'il est encore capable d'offrir sur le rectangle vert.

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    Un retour révélateur d'un vide générationnel ?

    La résurrection de Belaïli en sélection soulève une interrogation plus profonde : existe-t-il un désert à son poste, justifiant l'appel d'un trentenaire que l'on croyait évincé ? L'Algérie dispose certes de jeunes talents prometteurs, mais aucun n'a véritablement imposé sa patte comme alternative crédible au virtuose de l'ES Tunis.

    Matmour nuance cette lecture : « La relève existe, mais ces joueurs-là ne se sont pas encore affirmés. Il y a besoin de garanties et Belaïli, avec son expérience, peut les apporter. Il connaît l'Afrique, il sait ce que c'est que le niveau international. » Cherif El Ouazzani, lui, estime que certains espoirs n'ont simplement pas saisi les opportunités offertes : « On leur a donné des opportunités, mais ils n'ont pas convaincu. Belaïli, lui, a déjà tout prouvé. »

    Derradji, quant à lui, refuse les conclusions hâtives concernant la stratégie de Petkovic : « Il (Petkovic) ne s'est pas exprimé sur un supposé manque de relève. Il a simplement dit que Belaïli était en grande forme et que le moment était venu. Il avait ses raisons de ne pas le sélectionner auparavant, mais aujourd'hui, il s'est imposé comme une évidence. »

    Si Belaïli retrouve les Verts, ce n'est pas uniquement par la grâce de son talent, mais aussi parce qu'aucun prétendant n'a su prendre le flambeau avec un impact comparable. Son retour n'indique pas nécessairement un engagement sur la durée, mais révèle l'absence d'une succession immédiate à son poste.

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    Youcef Belaïli, l'un des plus grands talents du football algérien ?

    Le don exceptionnel de Youcef Belaïli pour le ballon rond ne souffre d'aucune contestation. Dribbleur inspiré, créateur imprévisible, il incarne l'essence même du footballeur algérien au talent brut, capable d'illuminer une rencontre d'un éclair de génie. Mais cette virtuosité naturelle suffit-elle à l'inscrire au panthéon des légendes des Fennecs ?

    Derradji ne dissimule pas son admiration pour le joueur : « Personne ne doute que Belaïli soit l'un des joueurs les plus talentueux du football algérien de ces vingt dernières années. Avec un peu plus de stabilité et de chance, il aurait pu évoluer dans les plus grands clubs européens. » Cherif El Ouazzani, qui l'a guidé au MC Oran, partage cette conviction : « À 18 ans, il était déjà un phénomène. Il avait tout pour réussir au plus haut niveau. »

    Le talon d'Achille de Belaïli n'a jamais résidé dans son talent, mais dans sa trajectoire sinueuse. Contrairement à Riyad Mahrez, qui a su conquérir les sommets européens, Belaïli a souvent vu son ascension entravée par des choix contestables et un manque de constance. Ses passages en Ligue 1, notamment à Ajaccio et Brest, n'ont laissé qu'une empreinte éphémère.

    Pourtant, ses instants de grâce demeurent gravés dans la mémoire collective : sa réalisation monumentale contre le Maroc en Coupe arabe 2021, son influence déterminante lors du sacre à la CAN 2019... Ces éclats de génie ont façonné son statut d'artiste à part. Un talent prodigieux, indéniablement, mais dont la carrière ne reflète peut-être qu'imparfaitement l'immensité du potentiel. Un Ben Arfa algérien, pourrait-on dire.

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    Une carrière inachevée ou une ultime renaissance ?

    Belaïli aurait pu tracer un sillon bien différent dans le football mondial. Son talent lui dessinait une voie royale vers les sommets, mais les écarts de conduite, les orientations discutables et une discipline parfois vacillante ont entravé son ascension. Sa suspension pour consommation de produit interdit en 2015 lui a coûté deux années cruciales, et ses expériences européennes (ou françaises) se sont révélées décevantes.

    Cherif El Ouazzani, manifestement nostalgique de la période oranaise, ne cache pas un sentiment d'occasion manquée : « Moi, je dis que c'est dommage qu'on n'ait pas profité plus de ce Belaïli. On n'a pas su maîtriser ce phénomène. Il était déjà un grand joueur à 18 ans. Ensuite, il s'est un peu perdu, et toutes ces années loin de la sélection sont un gâchis. »

    Son mentor actuel à l'ES Tunis, Laurentiu Reghecampf, dresse pourtant un portrait plus élogieux de l'homme qu'il encadre aujourd'hui : « Aujourd'hui, Youcef est le meilleur joueur de mon équipe. Il est un leader, un exemple pour ses coéquipiers. Il a énormément de qualités et me surprend positivement jour après jour. » Contredisant l'image parfois nonchalante qui lui colle à la peau, il affirme que l'Algérien s'investit pleinement : « Pour être bon sur le terrain, Youcef a besoin d'un bon environnement de travail. Il est toujours présent et à fond. »

    Si son parcours porte les stigmates de multiples obstacles, Belaïli demeure un artiste capable de marquer les esprits lorsque les conditions lui sont favorables. Son retour sous le maillot national soulève donc une question fondamentale : peut-il encore incarner un élément déterminant pour les Verts, ou s'agit-il d'un baroud d'honneur avant l'épilogue de son aventure internationale ?

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    L'ultime rendez-vous avec l'histoire

    Youcef Belaïli retrouve les siens, et avec lui, une brise d'espérance souffle sur la sélection algérienne. Mais ce retour transcende la simple équation sportive. À 33 ans, après une traversée du désert de 14 mois, il se voit offrir l'opportunité d'imprimer sa marque dans l'histoire des Fennecs d'une façon décisive : en propulsant l'Algérie vers la Coupe du monde 2026. Ce rappel ne constitue pas un simple hommage à sa gloire passée, mais la reconnaissance d'un talent toujours incandescent et d'une empreinte singulière dans l'imaginaire footballistique algérien.

    Derradji résume avec justesse l'enjeu de ce retour : « Ma tristesse face à son parcours n'a d'égal que mon émerveillement devant son génie. Aujourd'hui, à 33 ans, il a une dernière grande opportunité : la qualification pour la Coupe du monde 2026 et une éventuelle participation à ce tournoi. Ce serait une belle manière de quitter la sélection par la grande porte. » Pour Petkovic, cette convocation représente un pari tactique. Pour les supporters, une réconciliation tant attendue. Pour Belaïli lui-même, peut-être l'ultime chapitre d'une odyssée marquée par le talent brut, les errances et l'amour inconditionnel d'un peuple passionné.

    Car Belaïli, plus qu'aucun autre footballeur algérien contemporain, a connu tous les extrêmes. Suspendu, encensé, critiqué, adulé... Il a traversé les tempêtes sans jamais cesser d'incarner une figure emblématique du football national. Son jeu flamboyant et son élégance technique en font un interprète à part. Et si la Coupe du monde devenait son chant du cygne ? « Ce serait mérité », murmure Derradji, comme un vœu partagé par tout un peuple.

    L'histoire, peut-être, retiendra davantage la magie de ses inspirations que l'ombre de ses faux pas. L'Algérie a besoin de lui, et lui a besoin de l'Algérie. L'heure n'est plus aux regrets, mais à l'action. À lui de jouer.