England Spain contrast GFXGetty/GOAL

L'Angleterre à des années-lumière de l'Espagne : le test serbe, premier vrai défi pour Thomas Tuchel

« Une symphonie dévastatrice », a titré El País. « L'Espagne a écrasé la Turquie », s'est réjoui El Mundo. « Il n'est pas possible de mieux jouer au football », a analysé Marca. « Comme dans un jeu vidéo », a résumé AS. Pendant que la presse espagnole s'enflammait, à juste titre, pour la performance de ses champions d'Europe, de l'autre côté de la Manche, le son de cloche était bien différent.

« Sans joie », pour le Times. « Poussif », pour la BBC. « Une corvée », pour le Guardian. « Affligeant », pour le Telegraph. Tel était le verdict après la triste victoire 2-0 de l'Angleterre contre Andorre. L'écart entre les deux performances est abyssal, tout comme l'était celui entre les deux adversaires. L'Espagne a surclassé la Turquie, 27e nation mondiale, dans une ambiance hostile. L'Angleterre a peiné à domicile contre la 174e.

Cette démonstration de force a conforté le statut de l'Espagne comme favorite pour la Coupe du Monde 2026. L'Angleterre, elle, est encore troisième sur la liste, mais un gouffre semble la séparer de la Roja. Un constat qui n'est pas de bon augure pour Thomas Tuchel, recruté à grands frais avec une seule mission : mener l'Angleterre au sacre mondial.

Pour sa défense, Tuchel a fait le travail jusqu'à présent, avec un bilan parfait en qualifications. Mais voici le premier vrai test. Un déplacement intimidant en Serbie. Et son équipe a tout intérêt à être à la hauteur du défi.

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    Deux philosophies aux antipodes

    Les trajectoires opposées de l'Espagne et de l'Angleterre depuis la finale de l'Euro remettent en question la décision de la fédération anglaise de nommer un "mercenaire" comme Thomas Tuchel, plutôt qu'un bâtisseur qui connaît parfaitement le football national, comme l'a fait la Roja avec Luis de la Fuente.

    Le parcours de l'entraîneur espagnol est d'ailleurs étonnamment similaire à celui de Gareth Southgate, le prédécesseur de Tuchel. De la Fuente travaille pour la fédération espagnole depuis 2013. Il a coaché les U19, les U21 et l'équipe olympique avant de prendre les rênes de l'équipe A, non sans critiques, après le fiasco du Mondial 2022.

    Cette connaissance intime des différentes générations est sa plus grande force. Il a remporté l'Euro U19 en 2015 avec des joueurs qui sont aujourd'hui des cadres, comme Unai Simón, Rodri ou Mikel Merino. Il a répété l'exploit avec les U21 en 2019, intégrant de nouveaux visages comme Dani Olmo ou Fabián Ruiz.

    Depuis qu'il est à la tête de la sélection A, il a continué à faire confiance aux jeunes, comme Lamine Yamal ou Nico Williams. Et il en a été récompensé, avec une victoire en Ligue des Nations en 2023, suivie du sacre à l'Euro. Une réussite basée sur la continuité et la confiance.

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  • De la FuenteGetty

    Une identité claire, un coach pragmatique

    Non seulement De la Fuente connaît parfaitement ses joueurs, mais il a aussi une idée très claire du football que l'Espagne doit pratiquer. Après douze ans passés au sein de la fédération, il n'a qu'à s'inscrire dans la continuité d'un style de jeu si bien défini qu'il n'a presque pas besoin de l'imposer.

    Il reste fidèle au jeu de position perfectionné par l'équipe de Vicente del Bosque, celle des Xavi, Busquets et Iniesta. La performance contre la Turquie, et notamment le deuxième but sublime de Merino, a d'ailleurs rappelé les plus belles heures de cette équipe qui a dominé le monde entre 2008 et 2012.

    Pourtant, De la Fuente n'est pas aussi dogmatique que ses prédécesseurs. Il est prêt à s'adapter. « Mon idée, c'est de jouer les matchs pour les gagner, indépendamment de la manière », expliquait-il pendant l'Euro. « Il y a des moments où il faut prendre l'initiative, et d'autres où il faut savoir jouer avec d'autres ressources ».

    Il se distingue aussi par sa volonté d'élargir son vivier. Alors que l'équipe championne du monde était principalement composée de joueurs du Barça et du Real, le onze de départ de dimanche dernier représentait onze clubs différents, allant des géants espagnols à Tottenham ou au Rayo Vallecano. Une ouverture qui a redonné de la fraîcheur à la sélection.

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    Le court-termisme de Tuchel

    Thomas Tuchel a adopté une approche radicalement différente, s'appuyant davantage sur des joueurs d'expérience que sur la nouvelle génération. Oui, il a bien appelé le jeune Myles Lewis-Skelly, et Elliot Anderson a fait ses débuts contre Andorre. Mais il a aussi fait des choix plus surprenants, comme les retours de Jordan Henderson, Marcus Rashford ou encore Ruben Loftus-Cheek. Des joueurs dont les meilleures années semblent clairement derrière eux.

    Le fait que Tuchel ne soit là que pour la Coupe du Monde explique facilement cette vision à court terme. Mais elle est contre-productive pour la santé à long terme du football anglais. Sa nomination a de fait mis un terme à tout ce que la fédération semblait avoir construit sous Gareth Southgate.

    Bien sûr, tous les supporters rêvent de voir l'Angleterre soulever la Coupe du Monde. Les enfants rêvent de ce trophée, pas de stratégies bien huilées au centre d'entraînement national. Mais en choisissant Tuchel plutôt qu'un homme du sérail comme Lee Carsley, la fédération a envoyé un message clair : seul le résultat immédiat compte, quitte à sacrifier l'avenir.

  • England v Senegal - International FriendlyGetty Images Sport

    Une équipe sans identité

    Le plus préoccupant, c'est que neuf mois après sa nomination, l'Angleterre de Thomas Tuchel peine toujours à trouver ses marques. Il n'y a aucun signe d'un style de jeu clair. Et il est assez révélateur qu'après le match contre Andorre, il ait expliqué aux journalistes à quel point les longs ballons et les longues touches seraient importants pour son équipe à la Coupe du Monde. Une philosophie de jeu bien loin de ce qu'on attend d'une nation comme l'Angleterre.

    Le coach peine aussi à tenir les promesses qu'il avait faites à son arrivée. Avant son premier match, il avait critiqué le manque d'identité de l'Angleterre lors de l'Euro 2024. « Non, ils n'avaient pas de style de jeu clair », avait-il déclaré. « L'identité, la clarté, le rythme, la répétition des schémas, la liberté des joueurs, la faim... tout ça manquait. J'ai eu l'impression qu'ils avaient plus peur de se faire éliminer que l'envie de gagner. Ce qui a manqué, c'est que les gens sentent que c'est l'équipe à battre ». Un constat qui, ironiquement, s'applique parfaitement à sa propre équipe aujourd'hui.

  • England v Andorra - FIFA World Cup 2026 QualifierGetty Images Sport

    Loin d'être l'équipe à battre

    Aujourd'hui, l'Angleterre de Tuchel n'a absolument pas l'allure d'une équipe à battre. Elle a peiné face à des nations très modestes et a même subi une défaite embarrassante en amical contre le Sénégal en juin. L'équipe n'a marqué que neuf buts en cinq matchs, malgré des adversaires comme Andorre, la Lettonie ou l'Albanie.

    L'Angleterre est bien partie pour se qualifier pour la Coupe du Monde, c'est une évidence. Mais elle n'inspire ni ses propres supporters, ni ses futurs adversaires. Tuchel, qui touche un salaire de près de 6 millions d'euros par an, n'a pour l'instant pas justifié cet investissement. Sa principale excuse ? Les équipes qu'il a affrontées jusqu'à présent se contentent de défendre bas et de lui laisser peu d'espaces.

    Il a d'ailleurs semblé préparer le terrain avant le choc de mardi contre la Serbie, en prévenant : « Nous allons faire face à la même formation que contre Andorre, un bloc défensif en 5-4-1 ». Sauf que cette fois, en face, il y aura Dušan Vlahović, Luka Jović et Aleksandar Mitrović. Des attaquants d'un tout autre calibre, qui mettront la défense anglaise sous une pression qu'elle n'a pas connue depuis bien longtemps. Le vrai test commence maintenant.

  • England v Andorra - FIFA World Cup 2026 QualifierGetty Images Sport

    Plus d'excuses

    Mais il ne peut y avoir aucune excuse pour l'Angleterre. La Serbie est sans doute la meilleure équipe qu'elle ait affrontée depuis l'Euro 2024, et son principal rival pour la première place du groupe.

    Un match nul serait, en théorie, un bon résultat. Mais compte tenu de la mission de Tuchel et de l'ambition de l'Angleterre de remporter la Coupe du Monde, une victoire est exigée. Et une victoire convaincante.

    La Serbie est classée 32e au classement mondial, soit cinq places de moins que la Turquie. Si l'Angleterre veut rivaliser avec l'Espagne l'été prochain, elle doit suivre son exemple et marquer les esprits. Tuchel a déjà dit que le temps des expériences était terminé. Le temps des excuses l'est aussi.