L'Algérie et le Sénégal s'affrontent vendredi au Caire à l'occasion de la finale de la 32e édition de la CAN. Un rendez-vous à ne rater sous aucun contexte. Pour patienter d'ici au grand jour, la rédaction de Goal vous invite à découvrir (ou redécouvrir) quelques-unes des précédentes épopées victorieuses et ce à travers le témoignage d'anciens champions du continent. Ce mardi, le premier épisode est consacré au Cameroun de 1988, vainqueur à l'époque de sa deuxième couronne africaine. Et c'est l'illustre François Omam-Biyik qui nous conte la belle aventure des Lions Indomptables, dirigés à l'époque par Claude Le Roy.
Dans quel état d’esprit avez-vous abordé la CAN 1988, sachant qu’à l’époque le Cameroun était l’une des meilleures sélections du continent. Aviez-vous la pression ?
On était sereins et on avait confiance en notre groupe. Il y avait une nouvelle génération qui pointait et qui accompagnait l’ancienne. Ceux qui ont disputé la Coupe du Monde et qui avaient remporté la CAN 1984. Le groupe avait beaucoup de qualités. Et l’équipe était bien préparée.
Vous, quel était votre statut au sein de l’équipe ? Vous étiez encore tout jeune (22 ans), mais aviez-vous déjà un rôle clé dans le vestiaire ?
J’étais encore un novice, on peut dire. Parce que je n’ai pas eu la chance de participer en 1986 à cause d’une blessure. Mais j’étais un joueur important quand même, car je faisais déjà partie des titulaires. Je m’étais préparé à faire une bonne CAN et à évoluer aux côtés des grands joueurs de l’époque.

"Claude Le Roy était très proche des joueurs et communiquait beaucoup"
Votre sélectionneur à l’époque c’est Claude Le Roy. Il n’était pas encore aussi reconnu à l’époque qu’il ne l’est maintenant. Comment ça se passait avec lui ? Quelle était votre relation avec lui ?
C’était une relation entraineur-joueur. Il était très proche des joueurs et communiquait beaucoup. Il donnait la chance aux jeunes joueurs de pouvoir s’exprimer. Lui aussi, il voulait commencer à écrire des pages honorables à son palmarès. Il avait faim et il avait envie de gagner quelque chose.
Le premier match, vous battez l’Egypte (1-0). Ce résultat vous donne certainement de la confiance pour la suite…
Oui, le premier match on joue contre l’équipe qui nous avait battus en 1986 en finale. On les bat 1-0, mais moi malheureusement je ne joue que 14 minutes car je me blesse. Je suis le reste de la compétition des tribunes.
Un malencontreux coup du sort pour vous. Il s’agissait de votre première CAN, vous aviez certainement le cœur brisé de ne pas pouvoir aider plus votre équipe…
Je suis resté car j’espérais, et même le corps médical l’espérait aussi, de pouvoir retrouver la compétition vers les demies. L’entraineur a demandé à ce que je reste en compagnie de mes camarades. Je me suis fait faire une arthroscopie au genou, en espérant revenir rapidement à la compétition.
Sans vous, l’équipe fait deux matches nuls contre le Nigeria et le Kenya pour boucler le 1er tour. C’était une entrée en matière un peu laborieuse ou est-ce que vous avez géré en vous préservant pour la suite ?
Non, c’est la compétition qui le veut. Il y avait beaucoup d’équipes de très bon niveau. Le plus important c’était d’être parmi les deux premiers. On a eu un relâchement sur certains matches, mais l’essentiel c’était de passer au second tour.
En demi-finale, vous jouez contre le Maroc chez lui, et vous le battez (1-0). En Afrique généralement, c’est pourtant difficile de battre le pays organisateur dans son fief.
C’était un match très difficile et on l’avait déjà vécu en 1986 en Egypte, où en finale on se fait battre. Ce n’est pas facile de jouer le pays organisateur. Mais, comme je l’ai dit au départ, il y avait de la jeunesse, de l’envie et de la qualité. Le Maroc à l’époque, avec notamment Merry Krimau dans son effectif, c’était du haut niveau. On a eu cette chance de pouvoir les éliminer, avec la réussite de Cyrille Makanaky, auteur du but de la victoire.

"J'ai suivi la finale seul et dans l'anxiété totale"
Ensuite, il y a la finale, vous gagnez 1-0 grâce à un but de Koundé. Racontez-nous un peu. Comment vit-on ce genre d’évènement qui reste un évènement particulier. Y avait-il de la pression, de l’appréhension ?
Oui, il y a beaucoup de nervosité. On se dit qu’on est en finale pour la troisième fois de suite. Il fallait qu’on remonte sur le toit du continent africain. Mais on était aussi confiants en même temps car on avait fait un grand parcours. Il fallait conclure en beauté. Les joueurs d’expérience ont accompagné le reste du groupe, comme Emmanuel Kundé sur le pénalty victorieux. Il avait assuré. Moi, malheureusement, je n’étais pas au stade ce jour-là. J’étais resté à l’hôtel. Car après avoir subi l’opération, j’ai repris l’entrainement, mais au cours des entrainements, je me re-blesse à nouveau. Je me fais mal sur des appuis. Je suis en béquille et je n’avais pas envie d’aller me bousculer avec les spectateurs. Donc j’ai regardé la finale dans ma chambre à la TV, dans l’anxiété totale. Mais quand j’ai vu l’arbitre siffler la fin et que le Cameroun a fait main basse sur sa deuxième CAN j’étais très heureux.
Quelle place a ce triomphe auprès des Camerounais ? Votre sélection a connu une période glorieuse au début des années 2000, mais est-ce que cette compétition de 1988 garde une place particulière dans votre football ? Surtout, lorsqu’on sait qu’il y a eu le Mondial 90 réussi après. Etait-ce le début d’une belle histoire ?
Je dirais que ça a été la continuité du travail accompli depuis 1982. Ou même un peu avant. Les générations se suivaient mais se ressemblaient, mais l’envie et la volonté étaient là. Et comme par hasard, toutes les CAN que le Cameroun a enlevées, on les a gagnées à l’extérieur. On n’a organisé que celle de 1972 qu’on avait perdue en demi-finale. Donc c’était toujours de plaisir de sortir et ramener un trophée. On a été reçu dans le palais présidentiel, et on a fait un tour d’honneur dans la ville de Yaoundé. Accompagné du peuple camerounais. Ça a été l’aboutissement d’un travail bien accompli.
Et chez vous, n’y avait-il pas des sentiments mitigés, dû au fait que vous n’avez joué que le premier match ?
Il y a deux sentiments, en effet. Le premier, c’est la satisfaction d’avoir été dans le groupe, d’avoir accompagné cette équipe et remporté cette CAN. Malheureusement, il y a aussi l’autre, un peu plus mitigé. Car on espérait pouvoir jouer et démontrer sa qualité, avant qu’il n’y ait eu cette malheureuse blessure. Mais on reste malgré tout positif à ce moment-là. Parce qu’on se dit qu’on a 21 ans et que la blessure fait partie du football. On a le temps de revenir et de faire une carrière honorable. Donc j’ai plus retenu la victoire que la blessure.
Propos recueillis par Naïm Beneddra


