Van Dijk Klopp

PORTRAIT - Virgil Van Dijk, la force tranquille des Oranje

De longues années durant, suite au départ à la retraite du légendaire duo Sami Hyypia-Jamie Carragher, les Reds de Liverpool ont souffert de l'absence d'un défenseur central de qualité dans leurs rangs. Les Martin Skrtel, Daniel Agger ou Dejan Lovren présentaient quelques arguments, mais pas suffisamment pour tenir la baraque sur la durée et dégager cette espèce d'assurance qui déteint sur toute l'équipe. Depuis un an, le problème en question est résolu du côté d'Anfield. En Virgil Van Dijk, les Merseysiders tiennent cet arrière de top niveau international, dont le rendement et la personnalité concordent avec la grandeur du club et ses exigences.

Décidés à en finir avec ce manque dans l'effectif qui les a si longtemps plombés et aussi pénalisés vis-à-vis des autres grandes écuries continentales, les dirigeants anglais ont dû mettre le prix pour s'attacher les services du colosse néerlandais. 84M€ comptant. Un record pour un défenseur et qui risque de tenir quelques temps malgré l'inflation continuelle du marché des transferts. En décembre 2017, beaucoup s'étaient alors ému devant un tel sacrifice financier, parlant de gâchis ou de coup de folie. Mais aujourd'hui, il n'y a presque plus personne pour contester l'investissement fait par les Reds. Il ne fait aucun doute que le pari en question s'est avéré être gagnant. L'arrière batave a très bien répondu aux attentes que son statut très particulier générait.

Réussir avec un tel poids sur les épaules, c'était loin d'être gagné d'avance. Même s'il est plus opportun de faire le bilan à la fin, force est de reconnaitre que le natif de Breda a répondu à toutes les attentes durant ses douze premiers dans le Nord-Ouest d'Angleterre. En très peu de temps, il est devenu un patron de la défense et aussi l'élément sur lequel Jurgen Klopp se repose le plus. Et les chiffres sont là pour témoigner de cet immense apport ; alors qu'ils encaissaient 1,11 but par rencontre avant son arrivée (*), les Reds n'en prennent en moyenne que 0.93 depuis qu'il est là. S'il y a évidemment plusieurs facteurs qui expliquent ce progrès, la présence de Van Dijk, titulaire lors de 38 des 43 matches joués par l'équipe depuis son transfert de Southampton, est un élément crucial.

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(*) Les statistiques de Liverpool sans Van Dijk sont calculés sur l'année civile 2017, celle qui précédait son arrivée au club

Et il n'y a pas qu'au sein de son club que Van Dijk fait parler ses qualités et élève le niveau général de l'équipe. Au sein de la sélection batave également, il s'est imposé petit à petit comme un cadre et le garant d'un vrai équilibre. Avec lui, les Oranje sont devenus une équipe difficile à manier, accrocheuse et capable de résister aux clients les plus redoutables. L'Equipe de France championne du monde a pu le mesurer en septembre dernier au Stade de France, et il y a fort à parier qu'elle le constatera de nouveau ce vendredi au Stade de Kuip de Rotterdam.

Que ça soit avec le maillot rouge sur les épaules ou l'orange, Van Dijk est aujourd'hui une valeur sûre, un défenseur que tous les attaquants détestent  croiser. À vingt-sept ans, sa carrière est encore loin d'être terminée, mais ce qu'il a accompli incite déjà le plus grand respect. Il fait partie des joueurs les plus réguliers et cette admirable constance trouve sa source dans l'évolution qu'il a connue. Une ascension entamée dans son premier club pro Groningen, et poursuivie ensuite au Celtic Glasgow, à Southampton et enfin à Liverpool. Il a pris le temps d'apprendre à chaque étape, se construire et sans jamais dévier du bon chemin. Et ceux qui l'ont connu à ses débuts sont là pour témoigner de ce professionnalisme, de cette maturité et cette détermination de réussir. 

Groningen, le point de départ d'une remarquable ascension

C'est au FC Groningen, une équipe occupant généralement le milieu de tableau de l'Eredivisie (D1 néerlandaise), que Van Dijk a effectué ses grands débuts en pro. C'était en 2011, et c'était un an seulement après son arrivée au sein de cette formation en provenance de son club formateur de Willem II. Celui qui l'a accueilli c'est Pieter Huistra, un ex-international hollandais (8 sélections) et qui faisait, lui aussi, ses débuts comme entraineur à l'époque. Pour Goal, ce dernier raconte les premiers pas du jeune Van Dijk avec le FCG : "il est arrivé chez nous en provenance de Willem II, et il a d'abord joué avec la réserve, se rappelle-t-il. À l'époque, il était déjà grand, de par sa taille, mais il n'était pas aussi fort qu'aujourd'hui. Il devait encore progresser en termes de puissance notamment. Et avec nous, il jouait parfois comme attaquant, et aussi comme défenseur central. Parce que c'est aussi comme ça qu'il était utilisé à Willem II".

Huistra garde en mémoire le souvenir d'un défenseur doué mais qu'il fallait encore faire progresser et accompagner. Cependant, bien plus que cette image, il a surtout été marqué par les efforts qu'a consentis le jeune homme pour atteindre son premier objectif qui était de percer au plus haut niveau. "Il venait tout juste de quitter sa famille et rejoindre un autre club à l'autre bout du pays. Bien sûr, la Hollande n'est pas un grand pays, mais ça reste difficile. Il devait apprendre à se débrouiller lui-même. Il a eu besoin d'un peu de temps pour s'adapter, révèle le technicien. Durant les premiers mois, on a notamment dû lui inculquer la bonne mentalité à l'entrainement, comment être professionnel. Mais il percutait très rapidement. C'était un bon gars dans le groupe et il avait aussi une bonne attitude. Parfois, il lui est arrivé de prendre les choses trop facilement, on devait alors le recadrer, mais généralement ça se passait bien. Il comprenait vite. A la fin de la première année, il était déjà pleinement installé dans l'équipe première. Le processus de développement était parfait".

Huistra a rapidement dégagé chez Van Dijk les quelques points qu'il était essentiel d'améliorer. S'il était séduit par ses qualités, il veillait principalement à ce qu'il travaille ses points faibles : "il avait un très bon style et comme athlète, il impressionnait. Mais il devait encore apprendre quand même. Notamment sur les décisions qu'un défenseur central devait prendre. Quand il devait prendre des risques ou pas. Comment jouer avec les autres, défendre ensemble. Toutes ces choses-là".

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L'entraineur visait l'excellence, mais les joueurs, eux, la voyaient déjà. Kees Kwakman, un de ses coéquipiers de la période en question et qui officie aujourd'hui comme présentateur TV aux Pays-Bas, nous détaille la façon dont Van Dijk était perçu dans le vestiaire : "quand je suis arrivé, il était très jeune. Il n'était pas encore un élément régulier de l'équipe première. Mais dès les premières semaines, on a constaté que c'était un joueur à part. Un défenseur grand bien sûr, mais qui était aussi très bon, à l'aise balle au pied. C'était évident que c'était un vrai talent, et il a su vite gagner sa place dans le onze de départ. Et il ne nous a pas fallu trop longtemps pour constater que c'était vraiment un grand joueur. Il était très facile et il impressionnait, surtout en raison de son gabarit".

Au bout de quelques mois en équipe première, Van Dijk faisait déjà l'unanimité. Kwakman enchérit en racontant à quel point son brillant coéquipier sortait du lot par rapport aux autres. "Si je vous dis qu'à l'époque on savait qu'il allait devenir l'un des meilleurs aux mondes, je vous mentirai. C'est allé étape par étape. Au début, on s'est dit, "ok c'est un joueur talentueux". Au bout de quelques semaines, c'était "ok, il a sa place dans le onze de départ", et puis au bout de six mois "il n'a plus rien à faire chez nous, à Groningen".

À vingt et un ans, il était déjà un meneur de troupes

Il n'y a pas qu'à travers ses qualités techniques que Van Dijk s'est démarqué d'entrée. À peine lancé dans le grand bain, il a séduit à travers ses capacités à guider l'équipe, et qui tranchait avec un caractère plutôt réservé en dehors des pelouses. Kwakman le confirme : "oui, il avait déjà les qualités d'un leader. Il avait à l'époque 20, 21 ans. Il était jeune, et bien sûr au début il s'est fait un peu discret. Mais il est très vite devenu un patron, surtout de par sa manière de jouer. Il était impressionnant. Il était si fort, et excellent dans tout ce qu'il faisait. Derrière, il était donc un vrai leader". Huistra ne dit pas le contraire lorsqu'il souligne "qu'il a été rapidement respecté par tous les joueurs". "Et il s'est bien comporté, en restant humble au début, en étant à l'écoute. Ce n'était pas quelqu'un de timide. Mais il avait une bonne personnalité. Ça, tout le monde l'a décelé très rapidement", ajoute-t-il.

Pour l'ancien coach des jeunes de l'Ajax, Van Dijk est aussi à louer pour avoir su parfaitement tirer profit de ses vertus athlétiques : "il devait développer cette facette de leader de l'équipe. Pour cela, sa stature l'a aidé. Quand on est grand et imposant, quand on bouge comme il le fait, c'est plus facile de s'imposer comme patron. C'était une force de la nature et ça, c'est un vrai avantage".

Le Celtic et Southampton, des étapes intermédiaires qui l'ont forgé

Groningen était vite devenu trop petit pour Van Dijk. À l'issue de sa deuxième saison au club, il était évident qu'il devait franchir un nouveau palier et rejoindre un club plus important. À ce moment-là, il aurait pu céder aux sirènes de l'AC Milan, qui s'est positionné pour l'enrôler. Mais, il a choisi une destination exposée et où il aurait la possibilité de poursuivre sa progression tranquillement. Il a opté pour le Celtic Glasgow, où il est resté deux ans. Un passage enrichissant en Ecosse, suivie d'une expérience de deux ans et demi à Southampton, où il a été couvé par son compatriote Ronald Koeman puis par Claude Puel.

Pour Kwakman, Van Dijk a été très intelligent dans la manière de gérer sa carrière et cela fait partie des principales raisons de sa réussite au plus haut niveau. "Il n'a pas brûlé les étapes, concède-t-il. Il a d'abord rejoint le Celtic, dans un championnat moins relevé que celui de la Premier League afin de s'adapter d'abord au style de jeu britannique. Puis, il y a eu Southampton et enfin Liverpool. Donc, je pense qu'il a fait les bons choix et a été bien conseillé. Pour un joueur, qui s'expatriait pour la première fois, il a suivi une très bonne trajectoire. Et il a très bien joué dans chacun de ces clubs. En le voyant à Southampton, j'étais convaincu qu'il aurait sa place dans un très grand club".

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C'est en 2015 que le Hollandais a posé ses valises en Premier League. Du côté de St-Mary, il était dirigé notamment par Pascal Plancque, l'assistant de Claude Puel. Et ce dernier se souvient pour nous d'un "produit déjà fini" et qu'il a simplement fallu "accompagner", sans la moindre anicroche. "À Southampton, il était déjà un footballeur complet. Moi, avant d'arriver là-bas, je ne le connaissais pas très bien. Au bout de quelques séances d'entrainement et de quelques matches, on s'est rendu compte que c'était un défenseur de très haut niveau (…) Il n'y a pas vraiment de domaines où on a dû insister avec lui. C'est quelqu'un qui a une de très bonne mentalité de travail. Il n'y a pas besoin de le pousser. La progression se fait normalement et de façon linéaire. Au niveau technique, on peut toujours progresser. Lui, l'a fait. C'est quelqu'un qui a aussi un grand potentiel athlétique, très intelligent et avec une bonne lecture de jeu. Mentalement, il est costaud aussi. Il est très ambitieux et il résiste à la pression. Enfin, c'est un grand compétiteur. Il a beaucoup d'arguments. Pour le reste, c'était un petit détail par-ci, un petit détail par-là".

Tout en admettant qu'il n'y avait rien à apprendre à Van Dijk, Plancque relève que le passage chez les Saints a été important dans le processus de maturation du joueur et sa découverte du haut niveau. Pour lui, il est incontestable qu'il y a eu beaucoup de bénéfices tirés de cette première expérience dans un grand championnat européen : "d'abord parce qu'il était mieux encadré qu'au Celtic. Même si au Celtic, il y avait déjà de très bons joueurs autour de lui. Mais, surtout, à Southampton, tous les matches, tous les week-ends, c'était des matches de haut niveau. Le championnat anglais est très relevé, tandis qu'en Ecosse, il n'y a qu'un ou deux matches difficiles par saison. Ça lui a permis de se frotter à de très fortes oppositions".

Même s'il n'était plus en place avec Puel quand Van Dijk a quitté Southampton pour Liverpool, Plancque n'avait aucun doute sur le fait que son ancien protégé allait confirmer à l'étage plus haut : "j'étais convaincu quand il est parti à Liverpool qu'il réussira. Franchement, c'était sûr. Que ça soit à l'entrainement ou en match, il était clairement au-dessus du lot. Des fois, on avait l'impression qu'il s'entrainait avec ses petits frères. Il aurait pu aller dans n'importe quel grand club européen".

"Le meilleur défenseur néerlandais des 20 dernières années"

Depuis presque un an, Van Dijk fait donc les beaux jours des quintuples champions d'Europe. Le rendement qu'il affiche est salué de toutes parts, et il est très rare de le voir passer à côté de son sujet. S'il n'a encore rien gagné au sein de l'équipe de Klopp, sa contribution est indiscutable dans l'excellent parcours réussi en Ligue des Champions la saison dernière, achevée par une place de finaliste. Il n'en faut pas plus pour le hisser au rang du transfuge de l'année et certains observateurs le qualifient même comme l'un des meilleurs défenseurs, si ce n'est le meilleur, que les Pays-Bas ont connu au 21e siècle.

"Aux Pays-Bas, on a très longtemps souffert de l'absence d'un grand défenseur. Frank De Boer et Jaap Stam sont peut-être les derniers grands centraux qu'on a eus, et qui avaient le top niveau mondial, reconnait Kwakman. Il y a eu un trou générationnel, mais aujourd'hui on a trois excellents éléments à ce poste. Il y a Van Dijk, mais aussi Matthijs De Ligt et Stefan De Vrij. C'est une vraie aubaine pour nous, et aux Pays-Bas, on est surpris d'avoir enfin autant de qualité à ce poste. Pour Virgil, je pense d'ailleurs qu'il a fallu beaucoup de temps pour venir en sélection. Trop même, à mon gout. Il devait y être plus tôt". Une analyse validée par Huistra, qui a côtoyé justement l'une des meilleures générations de l'histoire du football batave : "oui, il fait de très belles choses aujourd'hui. Mais nous avons plusieurs bons défenseurs aujourd'hui. Par le passé, on avait de grands attaquants et des défenseurs qui n'étaient pas assez performants. Là, c'est plutôt le contraire. Mais c'est sûr que c'est l'un de nos points forts et Van Dijk est aujourd'hui indiscutable en sélection".

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Des petits défauts à gommer encore

Van Dijk a donc tout d'un grand, et il est même tentant de déduire que c'est un défenseur sans failles. Or, ce n'est pas le cas. La perfection n'existe pas, il lui arrive encore de commettre quelques erreurs lourdes de conséquences. Comme le marquage laxiste sur Olivier Girourd lors du dernier France-Pays-Bas ou la faute sur Leroy Sané à l'occasion de Liverpool-Chelsea et qui aurait pu couter un précieux point aux siens en Premier League. Des fautes que les spécialistes incombent à un excès de confiance.

Interrogé sur le sujet, Kwakman pense qu'il y a de ça effectivement, tout en précisant que c'est surtout le revers de la médaille quand on a un défenseur qui ne doute pas et qui est certain de ses qualités : "Oui, il est parfois trop "relax". Ronald Koeman lui a fait la remarque d'ailleurs. Sur le but de Giroud, on voit qu'il se laisse dépasser alors qu'il était premier sur le ballon. Peut-être qu'il est parfois un peu trop confiant. Sur les ballons qui viennent dans son dos, il ne panique jamais et il se dit qu'avec sa vitesse, il va les avoir. Et ça lui joue des tours face à des attaquants qui sont rapides ou vifs. Ça donne l'impression qu'il est un peu nonchalant. Mais bon, c'est aussi un avantage, car il ne panique jamais. Et on l'a vu durant le même match neutraliser Kylian Mbappé dans un duel avec beaucoup de métier. Sur cette action précise, on peut voir à quel point il est bon. Mais bon tous les grands défenseurs ont ce défaut. Même Sergio Ramos parait parfois trop facile".

Huistra, lui, se montre encore plus conciliant, jugeant que ça serait exagéré d'en parler comme d'un défaut : "en étant trop facile, il fait peut-être les choses de manière trop relâchée. Mais tous les défenseurs commettent des erreurs. Les De Boer, Koeman et cie en commettaient également. L'essentiel est de savoir comment on va répondre et réagir face à ces erreurs. Bien sûr, il ne faut pas en commettre beaucoup, ce n'est jamais bon. Mais lui, répond toujours comme il se doit. Et il n'y a qu'à voir combien de clean sheets Liverpool a réussi depuis qu'il est dans l'équipe pour s'en convaincre. Il a toujours bien rebondi après ces petites erreurs".

Enfin, Plancque clôt le débat en évoquant une simple impression visuelle et indique que s'il y a bien un joueur auquel il serait injuste de reprocher le manque de rigueur c'est bien Van Dijk : "Il y a toujours moyen de s'améliorer. Le souci, c'est qu'il est très doué, très fort. Souvent, ces joueurs-là donnent une impression de facilité. Mais Virgil c'est quelqu'un qui est très exigeant avec les autres et avec lui-même. On ne peut pas non plus faire une saison avec zéro faute. C'est un être humain et c'est un défenseur qui peut parfois se faire avoir. C'est très très souvent lui qui prend l'avantage sur son attaquant et puis de temps en temps c'est l'attaquant qui prend le dessus".

Pour les Bleus de Deschamps, l'espoir est que ce vendredi, le brillant Van Dijk soit dans un mauvais jour et qu'il leur permette de valider le résultat qu'ils convoitent pour atteindre le dernier carré de la Ligue des Nations. En même temps, les Griezmann, Mbappé et Giroud ne se font trop d'illusions. Ils savent que le défenseur le plus cher au monde qu'ils auront en face vaut bien son prix.

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