Maradona World CupGetty

"Messi n'est pas Maradona" - Diego a-t-il gagné le Mondial tout seul ?

Après avoir vu Lionel Messi manquer un penalty lors du match d'ouverture de la Coupe du monde 2018 contre l'Islande (1-1), Hernan Crespo avait plaidé la cause de la Pulga auprès de ses compatriotes.

"Bien sûr que nous attendons plus de lui", avait déclaré l'ex attaquant à la Gazetta dello Sport. Mais Messi n'est pas (Diego) Maradona. Il ne peut pas gagner la coupe tout seul."

Mais l'argument ne tient pas : Maradona n'a pas été sacré champion du monde tout seul. Le génie du Pibe a longtemps été sous-estimé par les jeunes générations - ce qui rend si encourageantes les réactions au documentaire sur Maradona réalisé par Asif Kapadia, sorti l'année dernière.

Malgré tout, l'idée qui consiste à croire qu'il était seul au Mexique en 1986 est simplement fausse. Bien sûr, personne n'a jamais dominé ce tournoi de façon aussi spectaculaire. 71% des buts de l'Argentine ont été inscrits par Maradona ou à la suite d'une passe décisive de ce dernier, qui a également offert plusieurs actions passées à la postérité.

Le quart de finale contre l'Angleterre a été le théâtre de la "main de Dieu", suivie trois minutes plus tard du "but du siècle" après une chevauchée fantastique depuis son propre camp lors de laquelle il a éliminé la moitié de l'équipe britannique.

Enrique dira plus tard sur le ton de la plaisanterie : "Avec la passe que j'ai donné à Maradona, s'il n'avait pas marqué, il aurait été tué." La merveilleuse ironie du milieu de terrain sur le plus beau but individuel de tous les temps n'a fait que renforcer l'impression que l'Argentine était essentiellement une équipe de porteurs d'eau et un phénomène imparable. Rien n'aurait pu être plus éloigné de la vérité, cependant.

Diego Maradona Argentina EnglandGetty Images

L'Argentine ne faisait peut-être pas partie des favoris au début de la compétition, mais n'en possédait pas moins une équipe de stars.

Nestor Clausen, Ricardo Giusti et Ricardo Bochini avaient fait partie de l'équipe d'Independiente qui avait remporté la Copa Libertadores puis battu Liverpool en Coupe Intercontinentale deux ans plus tôt, tandis que le milieu de terrain Sergio Batista et l'élégant Claudio Borghi avaient aidé le petit Argentinos Juniors à remporter deux titres de Primera ainsi que sa première Libertadores en 1985 - un exploit que Diego n'avait jamais réussi avec le club de ses débuts.

Enrique, Nery Pumpido et Oscar Ruggeri soulèveront également les deux mêmes trophées avec River Plate quelques mois seulement après avoir goûté à la gloire au Mexique.

Au-delà de ça, cinq autre joueurs de l'équipe évoluaient en Europe, à l'image de Maradona : Daniel Passarella (Fiorentina), Pedro Pasculli (Lecce), Marcelo Trobbiani (Elche), Jorge Valdano (Real Madrid) et Jorge Burruchaga (Nantes).

"Nous avions de grands joueurs", a d'ailleurs déclaré ce dernier au Grafico. Le problème était que le groupe, "plein de fortes personnalités, de jalousies" était divisé. Ainsi, le rôle de l'entraîneur Carlo Bilardo pour maintenir l'équipe soudée est souvent injustement négligé. En effet, sans lui, l'équipe n'aurait pas été construite autour de Maradona.

Après tout, le talentueux mais capricieux milieu de terrain offensif avait été exclu lors de la défaite de l'Argentine contre le rival brésilien à la Coupe du monde de 1982 et de nombreux experts et journalistes ne lui faisaient toujours pas confiance.

"Je me souviens qu'il y avait de nombreux articles critiquant Diego avant la Coupe du monde", a déclaré Bilardo à Marca, "parce que je l'ai nommé capitaine à la place de Passarella et qu'il ne devrait même pas faire partie de l'équipe après ce qui s'est passé en Espagne en 82 - sans parler du XI de départ.

"Ils disaient que Maradona était un échec pour l'équipe nationale. Ils m'ont dit 'Bochini est meilleur que Maradona'. Je n'ai pas répondu."

Il s'est plutôt concentré sur le fait de manager Maradona, plus déterminé que quiconque à prouver à la presse qu'elle avait tort. Si certains ont eu du mal à le garder hors des boîtes de nuit, Bilardo a plutôt eu du mal à le faire sortir des terrains. "Diego s'ennuyait souvent pendant que nous étions tous au camp d'entraînement", expliquera plus tard Valdano au site officiel de la FIFA.

"La seule façon d'aider à passer le temps était de taper dans un ballon. Mais Bilardo ne voulait pas qu'on gaspille toute notre énergie sur le terrain d'entraînement, d'autant plus que notre base à Mexico était en altitude. Nous devions nous assurer que nous économisions notre énergie.

"Parfois nous nous retrouvions dans une situation inhabituelle où l'équipe voulait s'entraîner mais le coach ne voulait pas nous laisser faire. Notre monde était tout chamboulé !"

La gestion magistrale de Bilardo serait cependant payante. Tout comme sa décision de demander à un membre de son staff, Ruben Moschella, d'acheter des maillots plus légers pour ses joueurs pour le quart de finale contre l'Angleterre après qu'ils aient lutté contre la chaleur lors de la victoire en huitième de finale contre l'Uruguay.

Mais la plus grande contribution de Bilardo au triomphe de l'Argentine a été son approche tactique, puisqu'il a adopté une formation en 3-5-2 au Mexique - un système qui allait rapidement se banaliser mais qui était nouveau à l'époque.

Un vrai régal. Non seulement l'Argentine s'est montrée difficile à prendre à défaut, les trois défenseurs centraux étant protégés par une couverture de cinq hommes lorsque leurs adversaires avaient le ballon, mais la formation a également permis à Maradona de jouer un rôle plus avancé, sans aucune responsabilité défensive.

Une vraie réussite avec seulement trois buts encaissés sur le chemin de la finale et un Maradona étincelant.

Diego Maradona Peter Shilton Argentina England 1986 World CupGetty

L'influence de Maradona sur ses coéquipiers était colossale. "Maradona était un leader technique : un gars qui résolvait toutes les difficultés qui pouvaient apparaître sur le terrain", expliquera encore Valdano à Marcela Mora et Araujo.

"D'abord, il était chargé de faire les miracles, c'est quelque chose qui donne beaucoup de confiance aux coéquipiers. Ensuite, l'ampleur de sa célébrité était telle qu'il a absorbé toutes les pressions au nom de ses coéquipiers.

"Ce que je veux dire, c'est qu'on dormait profondément la veille d'un match, non seulement parce qu'on savait qu'on jouait à côté de Diego et que Diego a fait des choses qu'aucun autre joueur au monde ne pouvait faire, mais aussi parce qu'inconsciemment, on savait que si on perdait, Maradona porterait une plus grande part du fardeau, serait davantage blâmé, que le reste d'entre nous".

En ce sens il devient facile de comprendre pourquoi beaucoup considèrent que l'Argentine n'aurait pas été championne du monde cette année-là sans Maradona dans la peau du n°10.

"J'aime Messi et je serais heureux si mon fils jouait à 1% de ses capacités, mais Maradona était unique", a pour sa part affirmé Enrique à Continental. Maradona et Messi ont des personnages différents sur le terrain. Diego rayonnait de confiance et nous faisait tous jouer mieux".

Et c'est la clé. Maradona a fait partie intégrante de tout ce que l'Argentine a fait au Mexique, mais elle n'aurait pas triomphé si ses coéquipiers n'avaient pas été aussi nombreux à se montrer à la hauteur.

Burruchaga d'ajouter pour El Grafico : "J'ai toujours dit : "Dieu merci, Diego est argentin ! Nous avons toujours su ce qu'il représentait pour nous. Mais nous avons tous aidé Diego à faire ce qu'il a fait.

"Nous ne devons pas oublier que nous avions une équipe extraordinaire, qui a surmonté des moments difficiles avec la maturité nécessaire pour surmonter nos problèmes et faire tout ce qu'il fallait pour le maillot".

Il n'a pas tort.

Argentina World Cup Mexico 1986David Cannon/Getty Images

Enrique s'est imposé dans l'équipe de départ lors de la phase à élimination directe et - avec Sergio Batista et Burruchaga au milieu de terrain - a fourni à Maradona la plateforme parfaite sur laquelle il a pu exercer sa magie.

Burrachaga s'est également transformé en importante menace offensive, en atteste sa percée victorieuse en finale contre l'Allemagne. Pumpido était excellent dans les buts et protégé par une formidable arrière-garde à trois hommes composée de Ruggeri, Jose Luis Brown et Jose Luis Cuciuffo, avec Giusti et Julio Olarticoechea jouant à la perfection aux postes d'arrières latéraux.

Pendant ce temps Valdano - comme nombre de ses coéquipiers - traversait l'été de sa vie. Ce même Valdano qui révèlera ensuite que Maradona lui avait dit avoir levé plusieurs fois la tête pour voir s'il pouvait lui donner le ballon lors de son but incroyable contre l'Angleterre. Un aveu remarquable qui soulignait la conscience et l'appréciation de Maradona à l'égard de ses coéquipiers.

Il a atteint un niveau d'excellence individuelle à la Coupe du monde qu'on ne reverra peut-être jamais - mais il n'aurait pas pu le faire sans eux. En effet, lorsqu'il a eu son moment de doute après que l'Allemagne de l'Ouest ait marqué deux buts rapides pour égaliser en finale, Burruchaga a dit à son capitaine, visiblement frustré : "Calme-toi, nous allons continuer et gagner".

Il prenait également son inspiration de Brown, le défenseur central que Bilardo appelait son "entraîneur sur le terrain" et que Maradona appelait le "taureau" après qu'il ait joué tout le tournoi malgré la douleur. Il avait très peu joué au cours des deux années précédentes en raison de problèmes de ligaments du genou.

Même lorsqu'il s'est démis l'épaule au début de la deuxième moitié de la finale, il a refusé de céder, ne passant que 28 secondes sur la touche.

"La douleur était insupportable, mais j'ai dit au médecin de façon très clair : 'Ne pensez même pas à me faire sortir !', expliquera-t-il plus tard. J'ai fait un trou dans mon maillot, j'y ai passé mon doigt et je l'ai utilisé comme une écharpe."

Un tel sacrifice ne saurait passer inaperçu. Maradona a sans aucun doute été la vedette de ce Mondial, mais dire qu'il l'a remporté tout seul serait ne pas reconnaître le rôle primordial de ses coéquipiers.

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