Cet été, et trois ans après avoir remporté la Coupe du Monde en Russie, l’équipe de France va essayer de conquérir l’Europe. Un back-to-back qui serait exceptionnel, mais pas totalement inédit. Il y a vingt et un ans, les Bleus avaient déjà réussi cette incroyable performance. Emmenés par Didier Deschamps -mais en tant que guide sur le terrain-, ils étaient montés sur le toit du continent après avoir régné sur la planète en 1998. Un exploit resté dans les annales du football tricolore et auquel Robert Pires avait contribué.
1998-2000, un doublé historique
Celui qui s’apprête à commenter l’Euro qui arrive sur la chaine M6 était alors dans l’une des meilleures périodes de sa carrière. Le tournoi disputé en Belgique et aux Pays-Bas arrivait donc à point nommé pour le natif de Reims. Même s’il ne faisait pas partie des choix prioritaires, il incarnait une option fiable et il a eu l’occasion de le démontrer au moment le plus important.
Naturellement, Pires n’a rien oublié de ce qui s’était passé en 2000. Il se souvient même de chaque détail de cette aventure glorieuse, et qui lui a permis, à lui et à ses potes, de succéder à la génération des Platini, Tigana et Giresse comme champions d’Europe tricolores. Pour Goal, il remonte donc le temps avec un grand plaisir, ainsi qu’une petite dose de nostalgie.
Gagner l’Euro après avoir conquis le Mondial, personne ne l’avait fait dans cet ordre avant que les Bleus ne signent cette prouesse. Et s’ils sont parvenus à leurs fins c’est parce qu’ils avaient tracé cet objectif dès le début, effaçant le mot échec de leur vocabulaire. « Oui, le doublé c’était notre ambition, confirme Pires. Nous sommes arrivés dans cette compétition assez confiants et certains de notre force en raison de ce que nous avons justement fait deux ans auparavant chez nous quand on a été sacrés champions du monde. On a débarqué à cet Euro dans de très bonnes conditions. Et à tous les niveaux. Psychologique, physique, mental…On était vraiment très costauds ».

Pour les Bleus, l’appétit est venu en mangeant
L’équipe de France dégageait une grande force et cela s’était vu durant la campagne préliminaire ou en matches amicaux comme celui remporté à Wembley en février 1999 (2-0), même si des accrocs comme celui concédé contre la Russie au Stade de France en 1999 étaient survenus entre les deux phases finales. Bien qu’ayant conquis le plus beaux des Graals, les Bleus avaient donc encore faim. Et, surtout, ils étaient dorénavant armés de cette culture de la gagne. Pires : « Il n’y avait aucun souci pour se remotiver après avoir gagné le Mondial. Ce n’est pas de l’arrogance, mais quand vous avez des joueurs du haut calibre qui ont l’habitude de jouer au plus haut niveau et qui veulent tout gagner, comme Deschamps, Blanc et Desailly c’était facile de se remobiliser. Ils nous ont bien fait comprendre qu’on a fait ce qu’il fallait à la Coupe du Monde, mais que maintenant c’était une autre compétition qui commençait, avec un football différent et qu’il fallait aussi triompher absolument. »
Entre 1998 et 2000, l’équipe de France n’avait donc pas perdu le fil. Elle avait même encore tous ses repères par rapport au tournoi précédent en raison d’un groupe quasi inchangé. Seuls quatre joueurs n’étaient pas présents à la Coupe du Monde dans la liste des 22, et le staff technique est aussi demeuré quasiment le même. Roger Lemerre a pris la suite d’Aimé Jacquet comme sélectionneur mais en se calquant complètement sur les méthodes et préceptes de travail de ce dernier. « Il (Lemerre) a voulu préserver ce qu’Aimé Jacquet a construit, valide notre témoin. Il n’a rien changé à notre manière de jouer. Il gardé vraiment la même base, la même ossature et le même équilibre. En ajoutant un peu de nouveauté et fraicheur, avec Nico Anelka et Sylvain Wiltord. Son objectif était de ne rien bouleverser, continuer dans la même direction. Et il a eu raison de le faire. »
Une équipe de France imperturbable
Comme en 1998, les Tricolores annoncent la couleur d’entrée avec un succès confortable au détriment du Danemark (3-0). « Quand vous commencez une compétition, l’un des matches les plus importants c’est le premier. Il faut gagner et bien le négocier. Il vous propulse dans la compétition. J’en reviens sur le fait, et j’insiste vraiment, que durant cette période de l’équipe de France on avait vraiment des joueurs de talent, mais aussi de vrais hommes », se souvient Pires. Impossible donc de se rater même lorsque les attentes sont importantes.
Un autre succès suit contre la République Tchèque, tout aussi convaincant bien qu’acquis sur le plus petit des écarts (2-1). Avec six points empochés sur les deux premières journées, la qualification pour les quarts était déjà assurée. Le troisième match de poule face à l’hôte néerlandais devenait donc celui des coiffeurs. Il s’est soldé par un revers (2-3) mais Pires affirme qu’il n’a en rien enrayé la dynamique du groupe. « Honnêtement, non. Il y a plusieurs étapes si on veut être champion et la première c’est sortir du groupe. C’est ce qu’on avait fait : deux matches, deux victoires, rappelle l’ancien Gunner. Et pour ce 3e match, et à la manière de ce qu’a fait Jacquet en 1998, Lemerre a fait tourner en faisant reposer les titulaires. Il y a toujours une équipe A et une équipe B, et je pense que l’équipe B, dont je faisais partie, a accepté ce rôle. On n’a pas bien négocié cette rencontre, mais l’objectif final était d’être champion. Et par rapport à cette défaite, il y a eu des enseignements pour le groupe et Lemerre a su en tirer bénéfice pour le reste de la compétition. »

Un groupe uni où chacun connaissait son rôle
En tant que champion du monde, Pires aurait pu prendre ombrage vis-à-vis de ce statut. Ce ne fut absolument pas le cas, car il a toujours accepté le rôle qu’on lui confiait en sélection : « Ce n’était pas du tout compliqué à accepter, non. On parle de l’équipe de France là. Et je l’ai toujours dit, il y a une hiérarchie et il faut la respecter. Il y a des principes et quand vous avez une discussion avec votre sélectionneur, c’est clair, net et précis. Il m’a dit : « Tu n’es pas titulaire, mais je compte énormément sur toi ». Le plus important dans une équipe, c’est la communication. »
Le discours était donc fluide entre le coach et l’ensemble de ses troupes et c’est souvent la clé d’un parcours réussi. La bonne entente au sein d’un vestiaire, et avec des joueurs se mettant au service des autres, aide surtout à surmonter les épreuves compliquées. Et il y en a eues durant cette compétition.
Beaucoup de sueurs froides, mais pour des victoires plus belles
Le quart de finale contre l’Espagne (2-1) a par exemple rappelé aux Bleus qu’ils étaient l’équipe à battre. L’opposition face au voisin a été très disputée et il a fallu que Zinédine Zidane et consorts sortent le grand jeu pour échapper au piège ibérique. « Je pense que ça a été l’un de nos meilleurs matches dans la compétition, estime Pires. En face, on connaissait l’équipe et aussi tous les joueurs car on les affrontait souvent en club. On connaissait la qualité de leur jeu. Ce fut un adversaire redoutable et on s’en sort parce que Raul loupe un pénalty en fin de match. Comme quoi, ça ne tient à rien le football. »
Chahutée par la Seleccion, l’équipe de France l’a été encore plus par la Seleçao en demi-finale. Comme en 1984, les Tricolores ont dû attendre la fin de la prolongation pour écarter les Portugais, et non sans avoir beaucoup peiné dans le jeu. Pires, qui défiait toujours avec beaucoup de plaisir le pays de son père, se souvient d’un match électrique ou les champions du monde avaient un peu perdu leur sérénité. « Sur toute la compétition, le match face au Portugal c’était le plus compliqué, a-t-il concédé. Parce que ce jour-là, ils ont fait un très grand match. Je pense même qu’ils ont été meilleurs que nous. Dans le jeu, la possession. Ils avaient vraiment une très belle équipe. Ça, il faut le souligner. Et on s’en sort pratiquement par un miracle avec cette main d’Abel Xavier que le juge de touche signale à son arbitre. Et Zizou qui arrive ensuite et qui marque ce pénalty et nous permet d’aller en finale. En tous cas, on a été en grande difficulté. Surtout sur le plan défensif, alors que c’était notre force d’habitude ».
16 ans après, la France retrouvait une finale de l’Euro. Mais, il était écrit que rien ne serait facile pour cette équipe en phase à élimination en directe. En finale, contre l’Italie, elle doit encore puiser dans ses réserves pour sortir victorieuse. Elle est même à deux doigts de descendre de son piédestal puisqu’à jusqu’à la dernière minute du temps additionnel elle était menée au score.
Le triomphe venu du banc
Sylvain Wiltord, sorti du banc, l’envoie en prolongation in extremis, changeant alors le cours de cette rencontre historique. Incorporé lui-même comme remplaçant à la 86e minute à la place de Bixente Lizarazu, Pires n’y croyait plus à ce dénouement. « Honnêtement, et je l’ai déjà dit dans la presse, je n’y croyais pas. Je vous mentirai si je vous dis le contraire. Le seul qui y croyait encore c’est Didier Deschamps. Moi, quand je rentre, je me demande juste pourquoi je rentre maintenant car il n’y a plus de temps et que je ne vais servir à rien. En plus, en face c’était les Italiens. Eux, quand ils gagnent 1-0, généralement c’est plié. »
Avec cette égalisation, la partie change totalement de physionomie. Alors qu’ils étaient au fond du trou quelques secondes auparavant, les Bleus se retrouvent revigorés et n’ont désormais plus qu’un seul objectif : finir le travail. « A partir du moment où Sylvain Wiltord a égalisé, c’était fini. On savait qu’on allait être champions, affirme Pires. Il y a tout qui s’inverse : la confiance qui revient et aussi l’abattement des Italiens. Ils étaient cuits et effondrés. On n’attendait que repartir en prolongation pour leur mettre le coup fatal. Et c’est ce qu’on a fait avec David Trézeguet ».

Un bouquet final inoubliable
Trézeguet avait aussi été lancé par Lemerre au cœur de la seconde période. Le coaching ne pouvait donc pas être plus gagnant que ce soir-là. C’était l’une des qualités de ses équipes que de pouvoir compter sur des remplaçants décisifs et capables de se mettre au niveau des titulaires. Et pour Pires, le destin a voulu que la passe décisive qu’il a livrée soit la plus importante de sa carrière.
Forcément, l’ex-numéro 11 tricolore se rappelle de l’action du but en or comme si c’était hier : « Sur le but de Trézeguet, je réussis à déborder, à dribbler Cannavaro et avoir de la réussite en centrant entre les jambes de Nesta et David finit le travail. Si je savais où il se situait ? Avant de centrer, je l’ai vu lui et Sylvain. Il fallait vraiment que je mette au mieux cette passe. Mais c’est surtout David qui a fait le plus dur. En tant qu’attaquant, il a mis l’un des plus beaux buts de sa carrière. Et grâce à ça, nous sommes devenus champions d’Europe. »
Ce n’était pas la première fois que Pires se montrait décisif en Bleu après son incorporation en fin de match. Il avait même connu ce bonheur dès sa deuxième sélection contre la Turquie, en octobre 1996. Devoir répondre présent quand on avait besoin de lui, il était donc habitué. Cela dit, cela n’avait pas empêché un certain Marcel Desailly de lui faire un petit rappel. « Avec la prolongation, je me dis qu’avec ces quelques minutes additionnelles pourquoi pas tenter de faire la différence. Juste avant que la prolongation commence, il y a Marcel qui arrive et qui me lance une phrase dont je me souviens encore. Il faut savoir que Marcel n’était pas tendre avec les jeunes. Avec le regard noir et très sérieusement il me dit « maintenant, on va voir de quoi tu es capable ». J’étais un peu piqué dans mon orgueil. Peut-être que ça a stimulé quelque chose en moi. »
De son parcours en Bleu, Pires ne retient que le meilleur
Si les quelques mots lancés par le « Rock » avaient contribué à motiver l’un des héros du jour on ne peut que le remercier pour ce reflexe. Et l’intéressé, aussi, demeure très content d’avoir écrit l’une des plus belles pages du football français, quitte à ce que l’on ne retient que ça. « Oui, ça me fait plaisir quand je croise les supporters français et qu’ils me disent merci pour ta passe. Les gens sont nostalgiques. Est-ce que ma carrière en équipe de France peut être résumée à ça ? J’ai envie de dire oui, mais avec le reste des joueurs j’ai aussi contribué à quelque chose. Et c’était ma mission en tant que remplaçant. Mais être aujourd’hui dans les « archives » des Bleus par rapport à cette passe décisive, honnêtement j’en suis très heureux. »

Après cette soirée féerique à Rotterdam, Pires a connu un autre grand moment avec la sélection c’est la Coupe des Confédérations 2003 où il a été élu meilleur joueur de la compétition. Toutefois, il n’a plus eu la chance de disputer un Mondial. En 2002, il s’est blessé gravement au genou quelques mois avant le départ en Asie. Et en 2006, il ne faisait plus partie du groupe car Raymond Domenech ne comptait sur lui. Comme pour Lizarazu et Desailly, l’Euro 2004 aura été son dernier grand tournoi avec les Bleus. En somme, la fin fut moins radieuse que le début sur la scène internationale. Mais cela n’altère en rien les sentiments positifs qu’il ressent en repensant à son long parcours en Bleu. « Honnêtement, je n’ai aucun regret, nous assure-t-il. Je suis tellement fier d’avoir porté le maillot des Bleus ne serait-ce qu’une seule fois. La chance et le bonheur que j’ai eus c’est de l’avoir fait à 79 reprises. On a été champions du monde et d’Europe, et y a aussi eu deux Coupes des confédérations. Je ne peux pas me plaindre, même si sur un plan personnel cela ne s’est pas très bien fini avec le sélectionneur qui était en place en 2004 qu’était Raymond Domenech. Mais, encore une fois, je n’ai pas le droit de me plaindre. Tous les sélectionneurs que j’ai eus m’ont fait confiance et quand on est joueur c’est ce dont on a besoin. Je suis fier de ce que j’ai accompli. »
Au final, Pires restera donc parmi les 18 joueurs français qui ont donc réussi l’exploit d’être à la fois champions du monde et champions d’Europe. Un bel accomplissement et il ne faut pas compter sur lui pour choisir entre les deux : « Quand on gagne un trophée, on s’aperçoit que l’émotion est plus forte et plus symbolique quand on gagne pour son pays. Cette sensation de fierté et de rendre heureux tout un peuple. Champions du monde et champions d’Europe en l’espace de deux ans, la saveur est la même honnêtement. Car on est là pour ça. Pour soulever les trophées qui sont mis sur nos chemins. Au niveau de la maitrise, on était peut-être plus forts à l’Euro. Mais la Coupe du Monde reste aussi particulière. On était en France, à Paris, face au favori qu’était le Brésil et en finale on ne leur aura pas fait de cadeaux. C’était juste extraordinaire et inoubliable. Mais, encore une fois, ce que l’on veut nous, les athlètes, c’est juste de gagner. »
Retrouvez Robert Pires cet été à l'occasion du championnat d'Europe en tant que consultant sur la chaine M6 lors des matches de la compétition. Dans son nouveau costume, il espère pouvoir accompagner une nouvelle fois les Bleus vers la gloire continentale.
