A l’approche de l’Euro 2020, notre rédaction vous propose une série de rencontres avec les joueurs ayant disputé ce tournoi par le passé. Des lauréats de la compétition, des acteurs majeurs ou simplement des protagonistes ayant des histoires intéressantes à raconter. Pour le cinquième épisode, c’est Christian Ziege, l’ancien international allemand, qui nous livre son témoignage. En 1996, il avait participé avec la Mannschaft à l’Euro victorieux en Angleterre. Une épopée dans laquelle il s’est replongé avec un immense plaisir.
Le dernier triomphe de l’Allemagne en Coupe du Monde remonte à il y a six ans seulement. En revanche, sa dernière consécration à l’Euro commence à dater. Bien qu’étant toujours le pays le plus titré dans cette compétition, la Mannschaft n’a plus régné sur le Vieux Continent depuis 1996 et le triomphe de la bande à Berti Vogts en Angleterre. Alors qu’ils sortaient d’un Mondial décevant aux Etats-Unis, Jurgen Klinsmann et ses coéquipiers avaient alors retrouvé leurs lettres de noblesse en signant un parcours sans faute. Et c’était le tout premier titre de l’Allemagne réunifiée.
Avec la Mannschaft, Ziege a dû attendre son heure
Au sein de cette sélection championne d’Europe, il y avait un talentueux latéral qui disputait son premier tournoi international, en l’occurrence Christian Ziege. Et pour un baptême de feu, il fut pour le moins réussi. Malgré son manque d’expérience à ce niveau, il a participé à tous les matches et en livrant à chaque fois des prestations étincelantes. Sa contribution au sacre fut donc patente et pour Goal il est revenu en long et en large sur ce tournoi de « renaissance » pour l’Allemagne et qui fut aussi celui qui a lancé sa carrière en sélection.

En 1996, Ziege n’était pas un jeunot. Loin s’en faut. Il avait 24 ans et totalisait déjà presque 200 matchs au plus haut niveau avec le Bayern Munich. Mais, avec l’équipe nationale de son pays, il ne comptait encore aucun fait d’arme. La faute à pas de chance notamment. Deux ans auparavant, il aurait dû être du voyage outre-Atlantique mais une fâcheuse blessure l’en avait privé. « J’étais heureux de participer à l’Euro car j’avais dû manquer la Coupe du Monde à cause d’une rupture des ligaments de la cheville, se souvient-il. Avec le recul, c’était peut-être une bonne chose pour moi car c’était un tournoi très compliqué pour la Mannschaft. Donc pour moi, c’était très important de revenir. Et j’étais très excité. Un tournoi en Angleterre, l’un des grands pays du football, c’est aussi très spécial. »
Ziege est revenu fort, et sortait même d’une saison très convaincante durant laquelle il avait conquis la Coupe de l’Uefa avec sa formation bavaroise. Mais, il ne réclamait rien. Son statut avec la Mannschaft était fragile, et il lui incombait de le raffermir. « Même si ma première apparition en sélection datait de 1993 à l’US Cup (contre le Brésil, ndlr), j’étais encore presque nouveau au sein de l’équipe, avec un vécu limité (19 capes avant le premier match du tournoi, ndlr), confirme-t-il. Et j’ai dû faire une très grande saison pour être à l’Euro. Mais, d’un autre côté, c’est ce qui faisait que les projecteurs n’étaient pas vraiment braqués sur moi. Pour moi, ce qui comptait c’est d’être là. Et j’espérais juste avoir la chance de faire quelques matches comme titulaire. Tout ce que j’avais à faire c’est de prouver au coach qu’il avait pris la bonne décision. Et montrer que je pouvais aider l’équipe ».
La Mannschaft marchait sur les œufs avant le tournoi
Que Ziege relève son pari ce n’était pas vraiment une surprise. Il avait déjà toutes les qualités d’un latéral moderne. En revanche, que l’Allemagne réalise un aussi bon parcours ce n’était pas gagné d’avance. En raison de l’échec mentionné plus haut et aussi des bras de fer intestinaux qui ont parasité la vie du groupe. Comme le conflit ouvert entre les deux leaders Jurgen Klinsmann et Lothar Matthaus, qui ne pouvaient plus cohabiter. Le sélectionneur Berti Vogts a eu à trancher et a opté pour le premier. Et pour que sa décision passe mieux, il avait même rencontré Franz Beckenbauer afin que ce dernier convainque le Ballon d’Or 1990 de se retirer de lui-même.
« C’est vrai que ce tournoi est arrivé dans des circonstances assez particulières, admet notre témoin. Matthaus, c’était la grande star de l’équipe, et il n’a pas été retenu dans la liste. Il y avait une polémique à son sujet, et il était aussi blessé pendant une longue période. Le coach a fait son choix et logiquement, ça a fait beaucoup de boucan au pays. Beaucoup de gens n’étaient pas favorables à cette décision. Et ce débat-là est resté présent jusqu’à la fin du tournoi. Et difficile d’imaginer ce que ça aurait été si on n’avait pas gagné en ayant laissé un aussi grand joueur à la maison ». Un scénario qu’ils n’ont donc pas eu à expérimenter et Matthaüs s’est révélé être le grand perdant de l’histoire. Il aurait sinon peut-être conquis son deuxième Euro après celui de 1980.
Par rapport à l’équipe qui s’était plantée en Amérique, Matthäus n’avait pas été le seul à sauter. La moitié des joueurs ont été priés de laisser leur place. Une profonde régénération et que Ziege a jugé inévitable et, bien sûr, profitable. « En 1994, je n’étais pas au sein de l’équipe, mais il y a eu des échos comme quoi il y avait des problèmes au sein du groupe. Il y avait aussi beaucoup de joueurs qui étaient assez âgés. Ils avaient connu pas mal de succès avant, mais pour ce tournoi-là ça n’a pas fonctionné. Donc, le coach a dû changer et apporter du sang-neuf dans le groupe. Sans oublier les quelques départs à la retraite. En 1996, c’était donc un groupe nouveau et avec de nombreux leaders qui ont émergé ». Un certain Matthias Sammer avait alors pris du galon, de même que le gardien Andreas Kopke, propulsé numéro un à 34 ans.

Une entame tambour battant qui lance la machine et balaye les doutes
Face aux interrogations et aux réserves qui entouraient l’équipe, il était crucial de bien lancer la compétition. Et c’est ce que les Allemands ont fait, en dominant aisément la République Tchèque (2-0) avant de prendre largement le dessus sur la Russie (3-0) lors de leurs premiers matches de poule. Un groupe considéré comme celui de la mort, avec aussi l’Italie comme client. « Bien démarrer, c’était l’idéal pour la confiance, en convient Ziege. Avant le début d’un grand tournoi, vous ne savez jamais où vous en êtes, si vous êtes aussi forts que vous le pensez et ce sont ces premiers matches qui vous donnent une indication. De plus, pour une sélection comme l’Allemagne, qui est toujours favori, il y a beaucoup d’attentes. Donc pour nous, et pour moi personnellement, c’était le début parfait. » Si le natif de Berlin met l’accent sur son propre cas c’est parce qu’il a été le premier buteur des siens dans cet Euro. Une belle et puissante frappe du droit à l’entrée de la surface et qui n’a laissé aucune chance au gardien tchèque. « J’étais très heureux de le marquer celui-là. Et je dois admettre que pour moi, du début à la fin, tout a été fantastique durant cette compétition », nous confie-t-il.
Après les deux succès initiaux, l’Allemagne laisse filer ses premiers points en partageant les honneurs avec l’Italie (0-0) dans le choc du premier tour. Mais, le résultat était positif, car il validait la qualification ainsi que la première place. Lors de ce match face à la Squadra Azzurra, Ziege et ses coéquipiers ont fait valoir leur solidité derrière, en résistant avec brio aux assauts transalpins. Le premier tour a ainsi été achevé sans le moindre but encaissé. Pour une sélection connue surtout pour son football offensif, disposer d’une base aussi solide était une vraie (r)évolution. Etait-ce alors une nouvelle consigne de Vogts ? La réponse de Ziege : « C’est vrai qu’il organisait bien son équipe, en utilisant parfaitement les joueurs qu’il avait. Il savait aussi contrecarrer les équipes adverses et annihiler leurs forces. Ce n’était pas toujours la même tactique d’un match à un autre. Par exemple, contre la Russie, on a privilégié le jeu de transition pour leur faire mal ».
La phase de poules s’est terminée avec l’élimination de l’Italie. Cruel pour les Azzurri, venus en a Angleterre avec beaucoup d’ambition et qui ont payé au prix fort leur défaite surprise face aux Tchèques (2-1). Mais, ce ne sont évidemment pas les Allemands qui allaient s’en plaindre. « Je dois reconnaitre qu’on a été un peu chanceux face à eux car ils ont raté un pénalty, se remémore Ziege. Ils étaient meilleurs ce jour-là, ils nous ont mis la pression mais on a bien défendu. Ils ont tout fait pour rester dans le tournoi mais à la fin ils se sont fait sortir et on a éliminé un concurrent direct pour le titre. »
Lors des matches couperets, l’Allemagne a fait valoir son mental infaillible
En quarts de finale, l’Allemagne a encore eu fort à faire face à l’équipe surprise du tournoi, à savoir la Croatie (2-1). Et le niveau est de nouveau monté d’un cran en demi-finale, avec un duel face à l’hôte anglais. Beaucoup voyaient la Mannschaft baisser pavillon lors de ce rendez-vous. Et c’était le cas à plus forte raison après qu’Alan Shearer a ouvert la marque dès la 6e minute du match pour les locaux. Mais, l’équipe a su rebondir, et arracher ensuite un succès aux tirs au but à la fin. « Dans la mentalité allemande, ce qui est bien c’est qu’on ne baisse jamais les bras. On ne doute pas face à l’adversité, et on se bat jusqu’à la fin, souligne orgueilleusement Ziege. Bien sûr, on jouait face à l’Angleterre, à Wembley, devant tous leurs fans et on était menés. Mais on était suffisamment confiants en nos capacités pour surmonter ça. C’est ce qu’on a fait. On a d’ailleurs égalisé dès le quart d’heure du jeu. C’était ensuite un beau combat jusqu’à la fin. Et la chance nous a souri aux tirs au but ».
Les tirs au but qui sont restés d’ailleurs fameux, avec une séance longue et un seul raté, celui de Gareth Southgate. Comme six ans auparavant lors du « Mondiale » Italien, c’est l’Allemagne qui a eu le dernier mot dans cet exercice. Et Ziege a lui-même contribué à la victoire, en transformant son essai, le quatrième de la séance. Un tir au but dont il se souvient parfaitement, même 25 ans après : « Ce n’était pas facile. C’était au bout de 120 minutes de jeu et c’était notre cinquième match du tournoi. On jouait tous les trois jours et en plus ce tournoi arrivait au terme d’une saison harassante avec le Bayern. Donc, je me rappelle que ce jour-là j’étais très fatigué, précise-t-il. Je ne pouvais plus courir à la fin de la prolongation. Et c’était un pénalty important, il y avait beaucoup de pression. On se tient debout devant le ballon, on voit tous ces gens mais on sait aussi qu’il y a beaucoup de gens en Allemagne qui attendent que vous réussissiez ». L’enjeu était de taille, mais il a su le dompter comme il se doit. Il enchérit : « Au moment de tirer, vous devez laisser tout ça de côté et ne pas vous poser de questions. Vous devez juste vous concentrer, choisir le côté où vous tirez, s’y tenir et exécuter le geste. C’est tout ce que vous devez faire. Mais si vous cogitez, vous êtes foutus, surtout vu le contexte. Si vous vous demandez ce que les gens diront si vous ratez, alors vous allez rater. Pour moi, heureusement, tout s’est bien passé. Et aussi pour l’équipe vu qu’on a transformé tous nos essais ».

Un héros inattendu pour la finale
L’obstacle anglais écarté, l’Allemagne se voyait déjà monter sur le toit de l’Europe, avec une finale à venir contre la République Tchèque qu’elle avait déjà battue au premier tour. C’est ce qui explique peut-être que les hommes de Vogts ont entamé le match avec peu d’intensité, et ce n’est qu’après s’être retrouvés dans le dur qu’ils ont réussi à se redresser. A la 60e minute, Patrick Berger les a mis dos au mur en transformant un pénalty. « Un pénalty qui n’aurait jamais dû être sifflé, nous indique Ziege. Il y avait le tacle correct de Sammer et Poborsky. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il l’ait touché. Et en plus, c’était en dehors de la surface. Ils ont ouvert la marque. Mais, comme je l’ai dit, douter n’était pas dans notre nature. On s’est dit « on l’a fait contre l’Angleterre, il faut le refaire ». C’est ce qui s’est passé. »
Effectivement, l’Allemagne a remis ça, en renversant le vapeur (2-1). Et le héros ce jour-là était totalement inattendu, en la personne d’Oliver Bierhoff. Sorti du banc à la 68e minute, l’attaquant d’Udinese qui a explosé sur le tas, a délivré les siens en claquant un doublé. Une énorme surprise mais pas pour ses coéquipiers qui le connaissaient très bien. Ziege : « On savait qu’il (Bierhoff) était très bon pour exploiter les balles arrêtées dans la surface. Il excellait dans ce domaine. Et c’est comme ça qu’il a égalisé (73e). Et ensuite, en prolongation (95e), il y a eu ce but en or, le premier de l’histoire de la compétition. Avec ce tir en pivot que le gardien adverse ne peut arrêter. C’était un grand moment pour lui et pour nous bien sûr. Ça restera dans livres de l’histoire ».
Vogts a fait taire ses détracteurs
Au final, et en tremblant un peu, l’Allemagne a été sacrée, s’adjugeant le troisième Euro de son histoire après celui de 1972 et de 1980. Les joueurs ont eu un grand mérite dans ce triomphe, mais le crédit revient aussi à leur coach. Malgré la défaite en finale de 1992 et ce fiasco américain, ce dernier n’a dévié de sa ligne de conduite et a su appliquer ses idées jusqu’à connaitre succès. Au fil des années, il a également réussi à manager brillamment un groupe avec beaucoup de caractères forts.

Ziege ne manque pas de tirer son chapeau au coach qui a été derrière sa seule et unique consécration sur la scène internationale, en relevant aussi le travail qu’il a fait en dehors des terrains : « C’est vrai que Berti Vogts a connu beaucoup de moments difficiles avant 1996. Et même aussi après en 1998. Et il ne faut pas oublier aussi que ce n’était pas si facile d’être là, au moment de devoir constituer l’équipe quand les deux Allemagnes ont été réunifiées. On était devenus certes plus forts, mais au début il fallait intégrer des joueurs qui étaient de vrais leaders au sein de la RDA comme Matthias Sammer et Ulf Kirsten. Donc, en quelque sorte, il fallait reconstruire une base. Et on avait nos propres joueurs de caractère, comme Matthaus et Klinsmann. Il fallait que tout le monde soit uni et tire dans le même sens. Ce n’était pas facile et Vogts a su gérer tout cela. Au final, et même si on n’avait peut-être pas la meilleure équipe en terme de qualité si on compare aux autres sélections et en prenant chaque joueur séparément, on voit que collectivement on était très forts. Tout le monde se donnait à fond pour l’autre. La mentalité de l’équipe était excellente et c’est ce qui explique notre réussite. »
L’Euro, le sommet d’une brillante carrière pour Ziege
Une réussite que Ziege n’a malheureusement plus connue ensuite avec son pays, même s’il y a eu le très bon Mondial 2002 sous les ordres de Rudi Voller, achevé à la deuxième place. Pour l’intéressé, il n’y a d’ailleurs pas photo en comparaison avec la belle épopée anglaise. « L’Euro 1996 reste tout de même mon meilleur souvenir avec la sélection. Parce que quand vous remportez un trophée, c’est toujours spécial. Jouer une finale de Coupe du Monde, c’est quelque chose dont beaucoup de footballeurs rêvent. Et on l’a fait en plus contre le grand Brésil. Mais si vous disputez une compétition et que vous allez jusqu’en finale, vous voulez toujours gagner. Donc c’est pourquoi je préfère 1996. »
La carrière internationale de Ziege s’est étirée sur 11 ans, et elle s’est arrêtée au moment même où la Mannschaft est redevenue compétitive sur la durée, avec 6 demi-finales de tournois majeurs consécutifs et un trophée Mondial. Un bilan plus reluisant que celui de sa génération. Celui qui a depuis embrassé une carrière de coach a une idée bien précise sur les raisons de ce retour en grâce. « En 2000, on avait d’autres problèmes. Avec des conflits internes. On n’avait peut-être plus les meilleurs joueurs aussi. Et puis, comme je l’ai dit, quand vous n’avez pas un groupe uni et soudé vous ne pouvez pas aller loin. C’est ce qui s’est passé. Après ce tournoi, on a dû tout reconstruire de nouveau. Avec beaucoup de travail qui a été fait au niveau de la formation et chez les jeunes. Ça a pris du temps avant qu’on en récolte les fruits. En 2004, à l’Euro, on aurait pu faire quelque-chose, car on avait déjà quelques bons joueurs. On avait fait des prestations assez correctes. Ce n’était pas bon, mais ce n’était pas mauvais non plus ».
Des hauts et des bas en somme, mais pas de regrets. En se retournant aujourd’hui sur son parcours avec la Mannschaft, Ziege ne garde que le positif. Et sur le plan personnel il ressent surtout beaucoup de fierté, après avoir honoré 72 capes (9 buts) et disputé cinq grandes compétitions d’affilées : « Oui, je suis très fier de ce que j’ai accompli. Et je suis reconnaissant d’avoir fait partie de cette sélection. Et durant une aussi longue période. C’était vraiment très bien ». Les supporters allemands lui sont, eux aussi, très reconnaissants certainement pour les services rendus à la patrie et les bons moments qu’il leur a procurés, avec en point d’orgue donc cet Euro 1996 victorieux.
