Oumar Solet brothers HDGetty

Les fratries dans le foot : Oumar et Isaac Solet racontent leur histoire

C'est une histoire vieille comme le foot. Elle remonte à l'enfance, souvent. Dans un monde fermé où la notion de clan fait la pluie et le beau temps, les fratries existent depuis toujours. Il y a celles que l'on voit au premier coup d'œil : les génies Raí et Sócrates, les Laudrup et autres Neville, De Boer ou Touré hier ; les frères Hernandez aujourd'hui. Et puis il y a la face cachée de l'iceberg. Une autre réalité, où un footballeur en herbe doit se faire un prénom pour tracer sa propre destinée. Certains doivent tendre le bras pour caresser un rêve, tout en craignant qu'il ne leur glisse entre les doigts. Parce qu'à travers la trajectoire d'un frère, la porte est là, devant eux, à la fois accessible et entrouverte, à portée de main. Si proche. Si loin.

D'extérieur, cet univers ressemble à une jungle hostile où la puissance d'un amour fraternel peut être mise à l'épreuve. Mais par bonheur, dans la majorité des cas, le lien reste solide et ne se fissure pas. Oumar Solet peut l'attester. À 24 ans, le puissant défenseur central passé par l'Olympique Lyonnais endosse avec fierté son costume d'aîné protecteur pour aiguiller Isaac - de deux ans son cadet - tout en gardant la distance nécessaire pour respecter ses propres volontés.

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Grandir ensemble avec le foot en toile de fond : « On se donne des conseils, on se corrige »

 Afin de franchir un cap dans leur carrière, les Solet ont d'abord mis le cap sur l'est. Il y a 5 ans, Oumar a opté pour l'Autriche. Il y a enchaîné les saisons pleines à Salzbourg, club de la galaxie Red Bull. « Ils m'ont bien accueilli dès le départ. Ils m'ont tout donné : la confiance, le temps de jeu dont j'avais besoin. » Un choix payant pour rejoindre l'un des 5 grands championnats européens puisque l'ancien Lyonnais a renforcé l'Udinese, où il émerge déjà comme un joueur cadre. De son côté, Isaac, passé par les centres de formation de Laval et Reims, a définitivement lancé sa carrière professionnelle en Bulgarie, au Slavia Sofia, avant d'être prêté en Turquie cette saison, à Göztepe - club basé à Izmir, sur la mer Égée. 

Une question s'est très vite posée : comment gérer l'aspect familial lorsque deux carrières parallèles se construisent à distance ? « Depuis tout petit, on a l'habitude d'échanger après les matchs, d'observer nos performances, raconte Oumar. On se donne des conseils mutuellement. On regarde ce qu'on peut améliorer l'un chez l'autre. » Conseiller, oui, mais pas que. Corriger, aussi. Entrer dans le détail. Passionnés par le jeu, les deux frangins ont une approche assez commune malgré leurs postes différents. « On joue dans l'axe, il est défenseur mais polyvalent comme moi, on a une perception du jeu assez proche, note le milieu de terrain Isaac. Même si on n'évolue plus au même poste aujourd'hui, on peut se corriger mutuellement. »

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L'ambition d'un premier contrat pro, l'esprit compétiteur : « J'avais la volonté de devenir comme lui »

Bien avant de poser ses bagages dans la ville d'Udine, Oumar Solet a cherché sa voie en affrontant les vents contraires. Le monde du foot pro a ses codes. L'aîné doit déblayer le chemin. C'est dans l'ordre des choses. Ce vécu lui donne un recul précieux pour aider Isaac. « On suit nos destins. Peu importe le club où il joue. J'aime le conseiller, mais je ne dois pas écarter sa propre analyse, son propre jugement dans la façon dont il veut construire sa carrière. Le foot, c'est difficile. Il y a des étapes à passer pour arriver en haut. Il faut bien les prendre. Isaac ou moi, on a toujours compris ça.» 

 À chacun son itinéraire : si Oumar a enchaîné les catégories de jeunes en équipe de France (des U17 aux U20), Isaac représente aujourd'hui la République centrafricaine. L'aîné restera toujours un modèle pour lui. « Pour vous dire la vérité - vous n'allez sûrement pas me croire : depuis tout petit, on nous dit souvent que c'est moi le plus fort (rires). Mais pour moi, il restera toujours le plus fort. Àpartir du moment où il a eu son premier contrat professionnel, j'avais aussi la volonté de devenir comme lui. Donc quoiqu'il arrive, il restera toujours un modèle de persévérance et de réussite pour moi. Maintenant, mon objectif, c'est de faire aussi bien que lui, voire de le dépasser pour que tout le monde soit heureux et qu'on parle de notre famille. » 

Drôle de vie, tout de même, que de marcher dans les pas du phare de la famille. Entre les dents acérées d'un compétiteur né et la pureté d'un lien fraternel, les sentiments peuvent s'entremêler. Le paradoxe interpelle, mais à en croire le plus jeune, le logiciel d'un footeux serait un peu plus fin que cela : ce qui conditionne tout, c'est le rapport au jeu. « Je ne dirais pas qu'il y a un esprit de compétition... D'ailleurs, même s'il y en avait une, ce serait une compétition saine parce que ça reste mon frère, insiste-t-il. Je ne pourrai jamais l'envier. Si demain il réussit, je réussis avec lui. Si demain il monte, je monte avec lui. La compétition, elle est envers nous-mêmes et envers le football, c'est ça qu'il faut comprendre. Quand on ne gagnait pas, jeunes, on avait déjà les larmes. Plus qu'être compétitif, notre but à l'un et l'autre, c'est d'être bons !  »

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Argent, entourage et pièges à éviter : « Ne pas s'entourer des personnes qui sont là pour l'aspect financier »

Un premier contrat pro est une porte d'entrée vers un nouveau monde. L'argent ne doit pas être un sujet tabou. « L'aspect financier, ça peut pousser l'un et l'autre à vouloir aller chercher le maximum, mais la finalité c'est de rendre fiers notre famille et nos proches. Je pense que tout ce qui concerne l'argent peut aider l'un et l'autre à évoluer», explique Oumar.  

Alors quels sont les pièges à éviter ? Les non-dits. Ou les on-dits. Un écueil dont Oumar et Isaac Solet ont toujours été conscients, au point de prendre le problème à l'envers et d'en faire une force, grâce à leur communication. « Il faut qu'on soit concentrés sur nous-mêmes, souligne l'ancien Lyonnais. On est très déterminés, mais il n'y a pas de piège entre nous deux par rapport à ça. C'est une aide, en fait. Quand il y en a un qui avance, ça permet à l'autre d'avancer aussi. C'est comme ça que je le vois. » Isaac ne dit pas autre chose : « Le seul piège dans une fratrie, c'est de ne pas savoir dissocier nos deux carrières et nos deux personnes. Je ne parle pas de nous mais de l'extérieur, des gens. Nous, en tant que frères, on s'aide. L'un grandit, l'autre fait en sorte de le rattraper.»

La famille est un premier cercle. Ce que l'on nomme vulgairement l'entourage en est un second. C'est un cadre plus large, plus nébuleux, moins défini, pas toujours choisi. Il se peut même qu'il soit subi. Le danger peut arriver lorsque les deux univers interfèrent. Une règle d'or qui s'applique à tous les footballeurs professionnels. Un service par-ci, une faveur par-là : tout est bon pour graviter autour des étoiles. « Qu'on soit une fratrie ou pas, quoiqu'il arrive il faut faire attention à cette partie-là, rappelle le cadet. Tu te mets à gagner de l'argent, tu peux faire des choses que tu n'avais pas les moyens de faire avant... Il faut être assez conscient et mature pour être entouré des bonnes personnes : celles qui ne sont pas là pour l'aspect financier mais pour t'aider à avancer, à progresser, et à faire en sorte qu'on se comprenne tous les deux, qu'on aille de l'avant ensemble. »

Napoli v Udinese - Serie AGetty Images

Les exemples à suivre, l'importance du socle familial

À ce titre, une différence de notoriété peut-elle mettre de la friture sur la ligne ? « Pas du tout », lâchent-ils. Le jeune footballeur moderne aurait le sens des réalités. La gloriole n'est plus dans l'ère du temps. « On a vite compris qu'à partir du moment où tu passes pro, tu vas gagner en notoriété, mais il faut savoir faire la part des choses. La notoriété c'est bien, mais il y a aussi des responsabilités », rappelle Isaac. Son frère va plus loin en se référant à une situation encore plus cocasse que ces histoires d'image pour l'ego d'un footballeur : une concurrence pour un seul poste. «Regardez les mots de Lucas Hernandez lorsqu'il parle de sa concurrence avec Théo en équipe de France, s'enthousiasme-t-il. C'est vraiment une façon de montrer que deux frères cherchent leur réussite mutuelle. Lucas l'a bien dit : si ce n'est pas lui qui joue, c'est son frère, et il sera heureux pour lui aussi. C'est un modèle. »

Une façon de rappeler que s'il est très facile de casser une branche, en briser deux est beaucoup plus dur. «C'est lié à notre famille qui a fait qu'on est toujours soudés quoiqu'il arrive, ajoute Isaac. On part du principe suivant : qu'il soit l'aîné ou que je sois le cadet, on sait se dire les choses tout en se respectant. On sait être francs et vrais entre nous.»  Comme partout, le rôle des parents est capital. «C'est important pour n'importe quelle personne sur cette terre. Ils nous ont montré quelle voie prendre et comment faire les choses. »

Bien sûr, tout ne se résume pas à ces seules considérations matérielles et existentielles. Devenue publique, l'affaire Pogba a marqué l'actualité. Si la trajectoire d'un sportif de haut niveau est extraordinaire, elle ne se substitue pas aux tracas d'un foyer ordinaire. C'est du cas par cas. Parce qu'il y a de la matière humaine là-dedans. Et parce que le relationnel est certainement ce qu'il y a de plus fragile. «Tout ce que l'on veut, c'est faire honneur à notre éducation », conclut Isaac Solet. Pas de doute, le foot reste bien une affaire de famille.

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