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ENTRETIEN - Oleg Salenko : "Perdre mon record ne m'attristerait pas"

La Coupe du Monde 2018 démarre dans un peu plus d'une semaine. Le compte à rebours final est lancé. Pour prendre son mal en patience et aussi faire honneur au pays hôte, Goal vous propose une série d'interviews exclusives avec d'anciennes légendes du football russe. On commence ce mercredi par un entretien avec Oleg Salenko.

Salenko n'a porté le maillot de la Russie qu'à huit reprises. Mais durant le peu de temps qu'il a passé sur la scène internationale, il s'est grandement illustré. Il y a vingt-quatre ans, lors de la Coupe du Monde aux Etats-Unis, il est devenu le premier joueur à inscrire cinq buts lors d'un match de Mondial. C'était lors d'un match complètement fou contre le Cameroun. Un exploit qui lui a notamment permis de terminer meilleur réalisateur de la compétition. Très sollicité à chaque nouvelle édition de tournoi, le natif de St-Petersbourg, qui habite depuis plusieurs années dans l'Ukraine voisine, est toujours aussi fier et prolixe lorsqu'il doit raconter sa performance historique. Et on l'a constaté à travers la longue interview qu'il nous a accordée.


"Aujourd'hui, il est difficile de battre mon record. Mais pas impossible"


Tout d'abord, comment allez-vous ? Vous avez stoppé votre carrière en 2001 et depuis on n'a plus trop de nouvelles de vous…

Tout va bien. Maintenant, je joue avec les vétérans du Dynamo, c'est pourquoi je me déplace souvent à Kiev. Je participe aussi à des programmes télévisés où on discute de football. Et sinon, je m'occupe de mes propres affaires. J'ai mon business à moi. Tout se passe bien. Pendant une période, j'ai aussi entrainé l'équipe de Beach-Soccer de l'Ukraine, et puis j'ai coaché l'équipe de ma propre ville. Mais, bon, ce n'est pas trop pour moi ça.

Vous continuez à suivre les matches du haut niveau et les rencontres internationales ?

Oui, parfaitement. D'ailleurs, je donne beaucoup de pronostics, car je suis encore "à jour". Et en particulier lorsqu'il y a les grandes compétitions comme le Mondial, l'Euro ou la Ligue des Champions. Etant lié aux médias, je me tiens informé et je livre mes analyses et mes prédictions.

Dans quelques jours débute la Coupe du Monde. Une compétition avec laquelle vous avez une histoire très particulière…

Oui, en effet. D'ailleurs, en ce moment, on me sollicite beaucoup pour des interviews. Avec le début du tournoi qui approche, il y a notamment la presse anglaise qui est venue me voir. Les Brésiliens aussi. Le Mondial se tenant en Russie, Moscou m'a d'ailleurs appelé pour venir enregistrer une longue interview pendant toute une journée.

Il vous arrive encore de penser à votre quintuplé contre le Cameroun lors de la Coupe du Monde 1994 ? Et est-ce une fierté d'être toujours le seul joueur à avoir réussi cet énorme exploit dans cette compétition ?

Quand vous achevez une carrière de joueur, alors forcément vous vous souvenez des moments qui l'ont le plus marqué. Et ce record-là tient toujours. Et lorsqu'on me demande si d'après moi cette performance peut être égalée ou battue lors de la prochaine Coupe du Monde, je réponds toujours qu'aujourd'hui c'est très difficile. Mais en principe, c'est possible. En phase de groupes, il va y avoir beaucoup de bonnes équipes et qui ont connu une belle progression récemment. Mais il y en aura aussi d'autres qui se présenteront avec un niveau inférieur à celui où on les attend.

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Si quelqu'un venait à effacer votre record, cela vous attristerait ?

Non, au contraire, ça serait même intéressant, car cela voudra dire qu'il y a eu cette volonté d'offrir quelque chose de spectaculaire. Mais aujourd'hui dans le football, et lors des compétitions comme la Coupe du Monde, beaucoup de sélections jouent d'une manière très prudente, en prenant peu de risques. Nous, lors de ce fameux match à l'époque, si on ne devait pas gagner par le plus gros score possible face au Cameroun, il est possible qu'on aurait mis trois et qu'on se serait contenté de gérer notre avance tranquillement. Mais quand c'est nécessaire, on joue à fond jusqu'au coup de sifflet final. Aujourd'hui, c'est le football anglais qui est plutôt célèbre pour cela : un jeu ouvert et où on continue d'attaquer jusqu'à la dernière minute.

Est-ce que les gens vous arrêtent encore dans la rue pour vous parler de ce quintuplé ? Et si oui, est-ce qu'il y a un moment où vous en êtes lassé ?

Des gens de ma génération, ceux qui m'ont vu jouer au football, oui ça leur arrive de me reconnaitre et m'en parler. Mais, les personnes que je connais, elles, elles me parlent plutôt du football d'aujourd'hui, de ce qui se passe, des différents clubs et des problèmes qui se posent. Par contre, quand je donne une interview, c'est sûr que c'est la question et le sujet qui revient le plus souvent. Mais, dans la vraie vie, quand je discute avec des personnes, ce n'est pas vraiment ce qui les intéresse le plus. 

Est-ce que cela ne vous dérange pas le fait que ce quintuplé soit presque la seule chose qu'on ait retenu de vous ? Qu'on met souvent de côté ce que vous avez réalisé durant le reste de votre carrière.

Il y a des professionnels et des joueurs, qui appartiennent au monde du football, ou même de simples passionnés qui se souviennent encore de ce que j'ai accompli avec l'URSS ou durant mon passage dans le championnat espagnol. Mais bon, sachant que j'ai stoppé ma carrière il y a plus de quinze ans, il est normal que les gens retiennent ce qu'il y a de plus significatif. Chez nous, en Ukraine, par exemple, on sait tous que les Oleg Blokhine et Igor Belanov ont remporté des Ballons d'Or. Mais comment ils jouaient, peu de gens sont capables de le dire.

Aujourd'hui, quel est selon vous l'attaquant qui serait capable de rééditer votre performance, à savoir marquer cinq buts lors d'un match de Coupe du Monde ?

Aujourd'hui, et c'était déjà le cas à l'époque, il y en a très peu. Peut-être Lewandowski. Mais bon, il joue dans une sélection qui n'est pas aussi forte. La Pologne, ce n'est pas une très grande équipe et c'est pourquoi il lui sera très difficile d'accomplir cet exploit. De nos jours, les attaquants qu'on voit s'illustrer en clubs, la plupart d'entre eux profitent surtout du bon travail de leurs milieux de terrain. C'est le cas notamment de Harry Kane, de Luis Suarez…Mais bon, il se peut qu'ils nous surprennent. Pour Suarez, quand on regarde l'effectif de l'Uruguay, c'est difficile de savoir ce qu'il va faire. Avec son club du Barça, il lui est permis de rester seulement dans la surface pour profiter des ballons exploitables. Pas sûr que ça soit aussi le cas avec sa sélection. Mais sinon, ceux qui peuvent marquer le plus de buts durant ce Mondial ce sont surtout les milieux offensifs comme Messi ou Ronaldo. Ce sont d'ailleurs ces deux-là qui sont les plus prolifiques actuellement. 


" J'échangerai bien mon quintuplé contre une qualification pour les 8es"


Paradoxalement, et malgré votre remarquable performance, la Russie n'a pas franchi le cap des poules lors du Mondial 1994. Si vous en aviez la possibilité, échangeriez-vous votre quintuplé contre une qualification pour les huitièmes ?

Oui, j'échangerai immédiatement et sans hésiter. Parce que lorsque nous sommes revenus du Mondial, c'est comme si j'étais sur un piédestal, et tout le reste de l'équipe a été ignoré. J'aurais préféré que tout le collectif soit mis en avant. Mais bon, comme vous le savez, nous étions dans un groupe très relevé. Il y avait avec nous le Brésil, le futur champion du monde, et aussi la Suède, qui n'a perdu que contre le Brésil justement. Donc c'était compliqué.

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Que pensez-vous de la sélection russe actuelle ? Est-ce qu'on se trompe en disant qu'elle est moins forte que celle de votre époque ?

Oui, elle est moins armée. A l'époque, nous avions un bien meilleur effectif. Parce que tous les joueurs qui faisaient partie de cette sélection, et bien ils étaient de la sélection soviétique. Ils étaient passés des cadets, aux juniors pour finir en sélection A. Et à cette époque-là, on avait remporté les championnats d'Europe (les moins de 19 ans, en 1988 et 1990) et les championnats du monde (les moins de 17 ans en 1987) avec le même groupe. Cette équipe s'est formée ensemble. Pour la sélection russe actuelle c'est difficile parce qu'elle ne joue que des matches amicaux et contre des adversaires relevés. C'est pourquoi son potentiel est difficile à déceler. Et, ils ont un sélectionneur qui à l'époque était gardien de but. Mais on verra. Tout le monde attend de voir ce qui va se produire, et comment cette sélection va se comporter. Mais c'est sûr qu'ils vont s'extirper de leur groupe du premier tour, car cette poule-là est d'un faible niveau.

A votre avis, pourquoi depuis la fin de l'époque URRS, la Russie n'a jamais réussi à dépasser le premier tour d'une Coupe du Monde ?

Parce que juste après l'éclatement du bloc soviétique, de nombreux joueurs ont commencé à partir à l'étranger pour y monnayer leur talent. Et lorsqu'ils revenaient, la plupart du temps, ils ne jouaient pas dans le même système, et n'avaient que deux, trois jours pour s'adapter. Et c'est ce qui fait que collectivement c'était faible. Aujourd'hui, tous les joueurs jouent en Russie ou presque. Et c'est intéressant de voir ce qui va se passer lors du Mondial qui arrive. Cela dit, il y a un Euro où ils ont plutôt bien joué. C'était sous la direction de Guus Hiddink et ils ont fini en demi-finales (ndlr, 2008). À ce moment-là, ils ont vraiment su tirer le meilleur des joueurs, et il y en a beaucoup qui évoluaient au sein d'une même équipe, à savoir le Zenit. Il y avait du potentiel. Mais par la suite, on a plus donné la priorité au football des clubs.

Vous avez joué pour la Russie, mais vous avez des origines ukrainiennes et vous habitez en Ukraine. Entre ces deux pays, de quel côté votre cœur penche le plus ?

J'ai des attaches des deux côtés. J'ai grandi à Saint-Petersbourg. J'y ai gardé, là-bas et aussi dans toute la Russie, ma première famille et aussi beaucoup d'amis. Et pour ce qui est du conflit qui existe, je pense qu'à force les gens comprennent, ils savent que c'est un grand gâchis et dont personne n'a besoin. Espérons que tout ça aboutira à une issue raisonnable. Moi, je continue de me rendre en Russie, j'y rencontre et je discute avec les enfants et il m'arrive aussi de jouer des matches avec la sélection des vétérans de l'URSS. Je pense que ce qui arrive, tout cette grande politique, il y a beaucoup de gens qui n'y sont pas favorables et à qui cela ne plait pas du tout. 

Propos recueillis par Naïm Beneddra

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