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Victor Osimhen : comment l'un des meilleurs N°9 au monde a-t-il pu finir à Galatasaray ?

À l'hiver 2020, Cristiano Giuntoli, alors directeur sportif de Naples, était amer. Il venait d'échouer à convaincre un certain Erling Haaland de rejoindre le club. Mais sa frustration fut de courte durée. L'été suivant, il avait déjà un autre jeune attaquant dans son viseur. Un joueur qu'il estimait fermement être « du même niveau » que le Norvégien.

Le seul problème, c'est que ce joueur, Victor Osimhen, avait également tapé dans l'œil de Liverpool après ses performances avec Lille. Mais cette fois, Giuntoli n'allait pas laisser passer sa chance.

« La signature d'Osimhen est le plus grand chef-d'œuvre de Giuntoli », a raconté Giandomenico Costi, ancien conseiller du Napoli. « Il a littéralement enfermé Osimhen dans un hôtel pendant trois jours. Giuntoli savait que Liverpool était intéressé, que Jürgen Klopp avait fait son offre. Mais il a parlé à Osimhen sans relâche jusqu'à ce qu'il le convainque d'accepter Naples. Il débordait d'énergie. C'est un directeur sportif qui vous appelle 100 fois par jour. Mais il connaissait Victor par cœur, il le suivait même déjà à Charleroi, et ça a été la clé. »

  • Victor Osimhen Napoli 2023-2024Getty Images

    Le rendez-vous manqué avec l'élite

    La persévérance de Giuntoli a payé de manière spectaculaire. Les 80 millions d'euros déboursés pour Osimhen ont fait l'effet d'une bombe en Italie. Après tout, le Nigérian n'avait que 21 ans et sortait d'une seule bonne saison en Ligue 1. Après des débuts timides en Serie A, il a littéralement explosé, inscrivant 26 buts en 32 matchs lors de la saison 2022-2023, celle du premier Scudetto de Naples depuis l'époque de Diego Maradona. La confiance de Giuntoli était pleinement justifiée. Osimhen semblait bel et bien du même calibre qu'Haaland.

    Il ne lui manquait plus qu'une scène plus grande pour le prouver, et à ce moment-là, ce n'était qu'une question de temps. En janvier 2024, Osimhen a même révélé qu'il avait déjà décidé de sa prochaine destination. Aurelio De Laurentiis, le président de Naples, affirmait alors que son joyau rejoindrait « le Real Madrid, le PSG ou une équipe de Premier League ». Cette dernière perspective laissait entrevoir la possibilité excitante de voir Osimhen et Haaland se battre chaque année pour le titre de meilleur buteur du championnat anglais.

    Pourtant, six mois plus tard, la réalité est tout autre. Alors que Manchester City vient d'offrir à Haaland une prolongation de contrat pharaonique (près de 590 000 euros par semaine), Victor Osimhen se retrouve, à la surprise générale, sur le point de s'engager définitivement avec Galatasaray, faute d'offres concrètes de la part des géants européens. Le rendez-vous a été manqué.

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    Le prix de l'arrogance

    Vu de l'extérieur, le cas Osimhen est une véritable énigme. Car à l'heure actuelle, des joueurs moins talentueux partent pour des sommes plus importantes. Alors que les buteurs fiables sont une denrée rare, aucune équipe du "Big 5" européen n'a été disposée à payer la clause libératoire de 75 millions d'euros fixée dans son contrat. Liverpool, de son côté, n'a pas hésité à mettre près de 93 millions sur Hugo Ekitike. Et on peut se demander pourquoi Arsenal, si pressé de recruter Viktor Gyökeres pour un montant similaire, ne s'est pas tourné vers Osimhen, plus jeune et plus expérimenté au plus haut niveau.

    Il faut dire que Naples et Osimhen ont payé le prix de leur excès de confiance. On se souvient d'Aurelio De Laurentiis se moquant d'une offre de 200 millions d'euros d'Al-Hilal : « Votre offre peut acheter un seul pied d'Osimhen. Pour l'année prochaine, vous pourrez peut-être offrir 500 millions et nous y réfléchirons. Mais je le répète : peut-être. » Une sortie théâtrale, typique du personnage, mais qui cachait une conviction profonde : quelqu'un finirait bien par payer l'ancienne clause de 120 millions d'euros à l'été 2023. Mais le marché des transferts, souvent irrationnel, connaît aussi des phases de contraction. Et c'est exactement ce qui s'est passé l'année dernière.

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    Le piège de la Premier League

    Plusieurs facteurs expliquent ce rendez-vous manqué. D'abord, les clubs saoudiens, après leur frénésie de l'été 2023, ont réduit leurs dépenses, asséchant une partie du marché. Plus important encore, plusieurs clubs anglais, effrayés par la nouvelle rigueur de la Premier League sur ses règles financières, sont devenus très frileux à l'idée de payer des transferts et, surtout, des salaires colossaux.

    « Chelsea était l'un des clubs intéressés l'été dernier », nous explique Ben Jacobs, expert du marché des transferts. « Mais ils voulaient qu'il s'intègre dans leur nouvelle structure salariale, basée sur des primes de performance. Il ne s'agissait pas seulement du montant, mais aussi du fait qu'Osimhen devait accepter une baisse de salaire si, par exemple, Chelsea ne se qualifiait pas pour la Ligue des Champions. Il n'était pas prêt à le faire. L'aspect financier a donc clairement joué un rôle dans l'échec d'un transfert en Premier League. »

    Pour ne rien arranger, un accord avec Al-Ahli a capoté au dernier moment, De Laurentiis ayant, selon les rumeurs, augmenté le prix à la dernière heure, poussant les Saoudiens à quitter la table des négociations. À ce stade, la relation entre Osimhen et Naples était complètement rompue. Il n'était plus question pour lui de revenir dans une ville qui l'avait pourtant idolâtré. La situation était devenue triste et inextricable. Les deux parties n'ont eu d'autre choix que d'accepter l'offre de prêt de Galatasaray, dont le mercato était encore ouvert. Une porte de sortie par défaut.

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    Le paradoxe turc

    Son année en Süper Lig n'aurait pas pu mieux se passer. Il a terminé meilleur buteur, et Galatasaray a remporté son troisième titre consécutif. Mais paradoxalement, Osimhen a peut-être "trop" bien réussi. Sa saison prolifique (37 buts en 41 matchs) n'a fait que confirmer son statut d'attaquant de classe mondiale. On pensait alors que le retenir deviendrait encore plus difficile pour le club turc. C'est l'inverse qui s'est produit.

    Même si sa clause libératoire avait été ramenée à 75 millions d'euros à la demande de Naples, Osimhen s'est retrouvé dans une impasse. Al-Hilal a bien tenté de le recruter pour le Mondial des Clubs, mais le Nigérian a de nouveau refusé de rejoindre le Moyen-Orient. Il était clair qu'il voulait toujours jouer en Ligue des Champions. Comme l'avait déclaré son agent, « Victor a encore beaucoup de choses à accomplir en Europe ».

    Pourtant, ses options ne s'étaient pas multipliées. Galatasaray restait le seul club européen disposé à payer sa clause libératoire. Et il était difficile de comprendre précisément pourquoi. Le mystère s'épaississait.

  • Galatasaray v Kayserispor - Turkish Super LeagueGetty Images Sport

    Un "gentil garçon" ou un "mauvais garçon" ?

    Pour expliquer cette situation, certains ont insinué qu'Osimhen aurait un problème de comportement. William Gallas a même émis l'hypothèse qu'Arsenal l'avait écarté parce que « peut-être que Mikel Arteta n'a pas la personnalité pour gérer des joueurs comme Osimhen ».

    Pourtant, il y a très peu de témoignages qui vont dans ce sens. La plupart de ses anciens coéquipiers et entraîneurs le décrivent au contraire comme un professionnel incroyablement déterminé, mais aussi attachant, humble et travailleur. « C'est un grand professionnel », a un jour déclaré Luciano Spalletti, son ancien coach à Naples. « Et c'est un garçon très doux qui écoute tout le monde. »

    Alors, où se situe la vérité ? Selon Ben Jacobs, il y avait, à tort ou à raison, une certaine perception en Premier League qu'Osimhen pourrait déstabiliser un vestiaire. « Personne ne dit qu'Osimhen est un mauvais garçon », précise-t-il. « Mais les grands clubs anglais cherchaient un joueur capable de s'intégrer parfaitement dans un effectif déjà rempli de stars et de grands talents. Et au final, le sentiment était qu'Osimhen n'avait peut-être pas le bon profil sur ce point précis. » Une réputation, justifiée ou non, qui lui a peut-être coûté le transfert de ses rêves.

  • SSC Napoli v FC Internazionale - Serie AGetty Images Sport

    La fragilité physique, un frein ?

    Une autre piste pour expliquer ce manque d'offres concerne son historique de blessures. Le style de jeu d'Osimhen, très engagé, et sa volonté de mettre la tête là où d'autres n'oseraient pas mettre le pied, lui ont évidemment valu de nombreux coups au fil des ans. Le plus grave reste cette fracture du crâne et de l'orbite oculaire subie à San Siro en novembre 2021. « Il s'est aussi ouvert le visage deux ou trois fois parce qu'il ne recule jamais », soulignait un jour Spalletti.

    Mais ce n'est pas tant son courage qui pose question. Ce qui inquiète davantage, c'est sa vulnérabilité aux blessures musculaires. Au cours des trois dernières années, il a été mis sur la touche à neuf reprises pour divers problèmes à la cuisse et aux ischio-jambiers. Si l'on ajoute à cela le fait qu'il partira en plein milieu de la saison prochaine pour disputer la Coupe d'Afrique des Nations, on peut commencer à comprendre pourquoi un club anglais, par exemple, aurait hésité à investir une telle somme.

    Pourtant, les faits sont là : Osimhen n'a jamais joué moins de 30 matchs par saison depuis son passage à Wolfsburg, alors qu'il n'était qu'un adolescent. Cela suggère que sa disponibilité ne serait pas un problème majeur pour un joueur de 26 ans qui, en théorie, devrait aborder le sommet de sa carrière. Et c'est bien là tout le paradoxe. Osimhen entre dans ses meilleures années, et il s'apprête à les passer à Istanbul. Un retournement de situation incroyable pour un numéro 9 autrefois convoité par tout le continent.

  • Leroy Sane Galatasaray 2025Getty Images

    Galatasaray, bien plus qu'un lot de consolation ?

    Depuis qu'Osimhen a annoncé, il y a 18 mois, qu'il était prêt à passer à l'étape suivante, le paysage du football a bien changé. Le Real Madrid a recruté Kylian Mbappé, le PSG a prouvé qu'on pouvait gagner la Ligue des Champions sans numéro 9 traditionnel, et les cadors anglais ont trouvé d'autres solutions à leurs problèmes d'attaque, souvent refroidis par les exigences salariales du Nigérian.

    À première vue, on pourrait dire qu'Osimhen a atteint ses objectifs : rester en Europe tout en s'assurant une augmentation substantielle. Galatasaray aurait en effet accepté de lui verser un salaire net de 15 millions d'euros par an.

    Mais il y a peut-être plus que ça. Et si Galatasaray était capable de créer la surprise en Ligue des Champions la saison prochaine ? Aucune équipe turque n'a jamais remporté la compétition, mais l'effectif d'Okan Buruk ne manque pas de qualité. Des joueurs comme Davinson Sánchez et Lucas Torreira sont bien connus en Premier League, et le trio turc Yunus Akgün, Barış Yılmaz et Abdülkerim Bardakcı a été essentiel au titre de la saison dernière. De plus, Osimhen n'est pas la seule recrue de renom de l'été. Leroy Sané vient de s'engager librement, en provenance du Bayern Munich.

    D'autres arrivées de haut niveau sont attendues avant la fin du mercato, le coach espérant notamment recruter un nouveau gardien, avec Ederson de Manchester City comme cible prioritaire. « Nous avons un budget important », a déclaré Buruk. « Nous sommes très clairs sur le poste de gardien, nous allons recruter. Il y a aussi d'autres postes que nous envisageons de renforcer. » Et si le projet stambouliote était bien plus ambitieux qu'on ne l'imagine ?

  • FBL-EUR-C3-GALATASARAY-DYNAMO KYIVAFP

    Le visage d'un projet ambitieux

    C'est donc une période passionnante pour l'un des clubs les plus populaires du monde. Et Victor Osimhen semble tout à fait heureux d'être le visage de ce projet ambitieux. Loin d'être une prison dorée, Galatasaray est peut-être devenu un véritable choix.

    « Je pense que la perspective d'Osimhen a changé pendant son prêt », analyse Ben Jacobs. « Il ne voulait pas revivre ce qui lui est arrivé l'été dernier, quand il a attendu, attendu, et attendu, pour qu'au final, rien ne se concrétise. Aujourd'hui, ses priorités sont différentes. Il voulait de la stabilité pour maintenir son niveau de forme et était satisfait de continuer à Galatasaray. Évidemment, le fait que le football turc soit en pleine croissance et que plusieurs clubs affichent de sérieuses ambitions a aidé. Regardez Fenerbahçe qui recrute Jhon Durán, ou des entraîneurs comme José Mourinho et Ole Gunnar Solskjær qui y travaillent. »

    La culture footballistique a toujours été incroyable en Turquie. Il n'est donc pas surprenant de voir la Süper Lig décoller et attirer de grands noms. Le niveau de jeu est élevé, les salaires sont compétitifs. « Mais il y a surtout eu une alchimie instantanée avec les supporters de Galatasaray. Osimhen est vraiment tombé amoureux du club. Donc, au final, je crois que son année de prêt a été le facteur décisif dans la conclusion de cette affaire. »

    Bien sûr, d'un point de vue neutre, on peut regretter de voir Osimhen évoluer, une saison de plus, un cran en dessous d'Erling Haaland. Mais pour le Nigérian, peut-être que cela n'a plus aucune importance.