Rodri, l'homme des 15 mois d'invincibilité devenu joueur fragile : chronique d'un naufrage

De nombreux grands joueurs ne se sont jamais remis d'une rupture des ligaments croisés. Radamel Falcao, par exemple, n'a plus jamais été le même après sa blessure au genou avec Monaco en 2014. Il a manqué le Mondial avec la Colombie avant de décevoir à Manchester United et Chelsea, même s'il a connu une légère résurgence de retour à Monaco. Ole Gunnar Solskjær a raté trois saisons cumulées en raison de problèmes au genou et a finalement été contraint à la retraite à 34 ans.

Il existe également de nombreuses histoires positives de joueurs qui ont surmonté de longues absences pour retrouver leurs sommets passés, voire les dépasser. Le transfert de Ruud van Nistelrooy à Manchester United depuis le PSV en 2000 a été contrarié par une rupture du LCA, mais un an plus tard, il avait retrouvé sa pleine forme et est devenu l'un des buteurs les plus prolifiques à avoir foulé Old Trafford. Ronaldo s'est déchiré le LCA en 1999 puis, lors de son match de retour, a rompu les tendons de sa rotule. Moins de deux ans plus tard, il menait le Brésil à la gloire lors du Mondial 2002 avant de décrocher un transfert au Real Madrid. Roy Keane a raté la majeure partie de la saison 1997-1998 en raison d'une déchirure du LCA, mais a ensuite mené United au triplé en 1999 et remporté le titre de joueur de l'année de la PFA en 2000.

Plus récemment, Éder Militão s'est déchiré le LCA de chacun de ses genoux au cours des deux dernières années mais est redevenu un titulaire régulier au Real Madrid et avec le Brésil. Son coéquipier Dani Carvajal est également de retour pour le Real après avoir subi une triple blessure au genou l'année dernière.

Rodri a subi l'un des pires scénarios possibles en matière de blessures au genou. Il y a deux ménisques dans chaque genou, le médial (intérieur) et le latéral (extérieur), tandis que le LCA les relie. Bien que le LCA soit l'un des principaux ligaments du genou, les ménisques sont tout aussi importants car ils absorbent les chocs entre le tibia et le fémur, aidant à stabiliser le genou et à le protéger de l'usure.

Alors qu'entre 50 et 70 pour cent des personnes qui se déchirent le LCA endommagent également l'un de leurs ménisques, seulement environ un tiers déchirent les trois. Rodri faisait partie des malchanceux, subissant ce qui est connu dans les cercles médicaux sous le nom de « triade terrible ». Le chirurgien spécialiste du LCA Gordon Mackay a déclaré à The Athletic que déchirer le cartilage externe signifie « une récupération plus difficile, une chirurgie plus complexe et un résultat moins prévisible ».

Rodri a été traité par le Dr Manuel Leyes, qui dirige la clinique Olympia à Madrid et a opéré Carvajal, Luis Suárez, Sergio Ramos et Zinedine Zidane, entre autres athlètes notables de la NFL et de la NBA. Leyes a confié à The Athletic que « Rodri a la tête sur les épaules et est entouré d'une équipe qui le conseille très bien ». Lui et le manager Pep Guardiola semblent néanmoins en désaccord sur le calendrier de sa récupération.

Dès janvier, Guardiola avait mis en garde contre le danger d'un retour prématuré de Rodri. « Il est positif mais je ne sais pas pour être honnête. Un LCA, c'est un LCA. Je crois toujours que pour les longues blessures, il y a un temps qu'il faut respecter à cause du corps humain. Le plus important pour Rodri maintenant, c'est de bien récupérer. Tu n'es plus un adolescent mais tu as encore des années à jouer. Et ça va arriver si tu récupères bien. Si tu peux revenir pour une semaine, un mois et faire un pas en arrière pour la saison prochaine, ce n'est pas intelligent. »

Guardiola avait déclaré peu après l'opération de Rodri qu'il pourrait être absent entre neuf et 12 mois. Pourtant, il est revenu sur le terrain un peu moins de huit mois après sa blessure contre Arsenal, jouant 10 minutes lors de l'avant-dernier match de la campagne de Premier League de City contre Bournemouth. Mais la grosse erreur, avec le recul, semble avoir été d'emmener Rodri à la Coupe du monde des clubs.

Aux États-Unis, Guardiola a répété son message de prudence avec Rodri et ne l'a introduit que pour la dernière demi-heure contre le Wydad Casablanca et Al Ain. Il a ensuite titularisé Rodri contre la Juventus, lui donnant un peu plus d'une heure, avant de le renvoyer sur le banc pour le huitième de finale contre Al-Hilal. Guardiola a fait entrer son milieu vedette en seconde période alors que son équipe était menée 2-1, mais a été contraint de le faire sortir à nouveau en prolongation en raison d'un problème à l'aine. Des mois plus tard, Guardiola a admis que c'était « une blessure grave » et a expliqué que Rodri ne commencerait pas la saison.

« Espérons qu'après la trêve internationale, il sera vraiment en forme », a-t-il déclaré. « Espérons que lors de ces matches, il pourra jouer quelques minutes, mais l'important c'est qu'il n'ait pas de douleur parce que nous ne voulons pas que Rodri revienne blessé. Nous allons tout faire pour éviter ça. »

Rodri a obtenu 15 minutes contre Tottenham et a joué 90 minutes contre Brighton, la première fois qu'il terminait un match en 11 mois, pour ouvrir la campagne. Le souhait de Guardiola semblait s'être réalisé puisque Rodri a démarré contre Manchester United, Naples et Arsenal en l'espace de sept jours, disputant 226 minutes cumulées sur 270 possibles.

Mais une semaine plus tard, il était absent du groupe contre Burnley, Guardiola faisant la révélation inquiétante que durant l'entraînement précédant le match, Rodri lui avait dit : « Je ne suis pas capable de jouer. J'ai beaucoup de douleur au genou. »

Quelques jours plus tard, Guardiola a averti que Rodri ne pouvait pas supporter le calendrier habituel de City. « Il n'est pas blessé, mais au niveau du tendon, il a une difficulté », a déclaré Guardiola avant le match de City contre Monaco. « La semaine précédente était tellement exigeante avec [Manchester] United, Naples et surtout Arsenal, et en ce moment il n'est pas capable de jouer trois matches par semaine à un niveau ultra élevé, intensité maximale, adversaires exigeants. Mon sentiment en ce moment, c'est qu'il n'est pas prêt parce qu'il a besoin de temps. Ce type de blessure, c'est minimum un an et après ça commence. Soyez patient et c'est lui qui dicte. S'il ne se sent pas bien, il vaut mieux se reposer. »

Pourtant, malgré cet avertissement, Rodri a démarré contre Monaco, bien qu'il ait été remplacé après une heure en raison d'une alerte blessure. Il a ensuite débuté contre Brentford moins de quatre jours plus tard, mais n'a tenu que 22 minutes avant de sortir avec une blessure aux ischio-jambiers.

Rodri a déclaré à Sky Sports que la blessure n'était pas importante, mais elle l'a conduit à se retirer des qualifications au Mondial de l'Espagne. Guardiola n'a pas pu donner de calendrier pour son retour. L'entraîneur de City a confirmé lundi que Rodri manquerait les matches de cette semaine contre Villarreal et Aston Villa après ne pas avoir joué contre Everton samedi. Il y avait une lourde teinte de regret : « Ce n'est pas long, mais c'est musculaire et il faut être prudent. Nous avons essayé tant de fois, nous avons essayé de ne pas prendre de risque, mais nous n'avons pas réussi à gérer ça. »

Les blessures récurrentes de Rodri posent plus de problèmes à City qu'à n'importe quel autre joueur, à l'exception possible d'Erling Haaland, précisément parce que la durabilité de l'Espagnol était son argument de vente unique. City n'avait perdu aucun match toutes compétitions confondues avec son pilier au milieu de terrain dans le onze de départ pendant 15 mois. La défaite à Brighton en août était la première fois qu'ils perdaient un match de Premier League qu'il avait démarré depuis février 2023.

City devra réfléchir très attentivement à ce qu'il convient de faire ensuite avec un joueur dont la pleine forme n'est plus garantie. Rodri entre dans les 18 derniers mois de son contrat avec City, et il a été rapporté qu'il allait se voir proposer un nouveau contrat amélioré qui le placerait dans la même tranche salariale qu'Haaland.

Une telle augmentation était jugée nécessaire car l'intérêt du Real Madrid pour Rodri était bien connu. Les géants espagnols ont l'habitude de convaincre les joueurs en fin de contrat de résister aux renouvellements pour rejoindre le Santiago Bernabéu, comme ils l'ont fait récemment avec David Alaba, Kylian Mbappé et Trent Alexander-Arnold.

Madrid a déjà ciblé des vainqueurs du Ballon d'Or comme Fabio Cannavaro, Kaká et Cristiano Ronaldo. Rodri leur est particulièrement attractif en tant que champion d'Europe avec l'Espagne. Los Blancos ne disposent pas d'un milieu défensif du calibre de Rodri. Comme le résumait un article de Marca en août : « Le Real Madrid le veut, et ce n'est pas un secret. Ils le voulaient avant, ils le veulent maintenant et ils le voudront demain. »

Pourtant, recruter même un Rodri en pleine forme et libre de tout contrat briserait le moule de la politique de transfert récente de Madrid. Il aura 31 ans au moment de l'expiration de son contrat avec City et voudrait probablement un long contrat ainsi qu'une prime à la signature, comme c'est d'usage lorsque les joueurs arrivent libres. Le fait qu'il y ait désormais tant de doutes sur sa condition physique rend ce transfert de rêve au Bernabéu moins probable.

En un peu plus d'un an, Rodri est passé du Ballon d'Or à une carrière qui semble en déclin. Autant City veut qu'il revienne le plus vite possible, autant il pourrait être dans l'intérêt de tous qu'il prenne son temps et se concentre sur l'absence de douleur avant de jouer son prochain match.