Notre "Opinion Impopulaire" va vous faire débattre, discuter, polémiquer et réfléchir sur des concepts que le football moderne a peut-être poussés à l'extrême. Et aujourd'hui, nous allons parler d'un sacrilège. Nous allons parler de la destruction annoncée de San Siro, ce monument qui a vu défiler les plus grandes légendes, de Baggio à Van Basten, de Ronaldo à Maradona. Une destruction qui, au nom d'une modernité froide et sans âme, s'apprête à effacer des décennies d'histoire, de larmes et de joie. Raser San Siro, ce n'est pas seulement démolir un stade. C'est abattre un symbole, un lieu de mémoire, un pan de l'histoire collective. C'est poignarder le football en plein cœur.

Opinion Impopulaire - Raser San Siro, c'est comme démolir Notre-Dame
Un sacrilège
Après une série interminable de débats sur le où, le quand et le comment, la pire des conclusions a sans doute été tirée. Un nouveau stade sera construit à Milan, et c'est une bonne chose. Mais il sera construit à la place de San Siro. Ce qui signifie que San Siro sera démoli. Oui, démoli. Rasé. Personnellement, j'ai même du mal à l'écrire. Et j'ai encore plus de mal à comprendre comment des gens qui ont vécu l'essence même de Milan peuvent envisager une telle décision.
Nous parlons d'un symbole culturel qui dépasse de loin le cadre du football. C'est une carte postale de Milan, reconnue dans le monde entier. Quand vous venez à Milan, vous visitez le Duomo, la Scala, le Castello Sforzesco. Et vous visitez aussi San Siro, que vous aimiez le football ou non. C'est un monument, avec son histoire, sa valeur, son caractère unique et irremplaçable.
Un monument, ça se préserve. À la rigueur, ça se restaure. Mais personne ne devrait jamais oser penser à le démolir. Abattre un monument, c'est un sacrilège.
Getty ImagesPlus qu'un simple stade
Parler de San Siro uniquement sous l'angle du football serait réducteur, voire insultant. Mais commençons tout de même par là : quatre finales de Ligue des Champions, quatre finales de Ligue Europa, des matchs de Coupe du Monde en 1934 et 1990, un Euro en 1980. San Siro a toujours été un aboutissement pour un footballeur. Débuter à San Siro, jouer à San Siro, "la Scala du football", était un rêve à réaliser.
Mais je le répète, ne parler que de football ne donnerait qu'une infime idée de ce que représente ce lieu. Ce fut un point d'arrivée, non seulement pour les footballeurs, mais aussi pour des artistes de renommée mondiale. En 1980, un certain Bob Marley y a donné le premier grand concert-événement en Italie. Depuis, San Siro est devenu un temple de la musique, accueillant Bob Dylan, David Bowie, Michael Jackson, Bruce Springsteen, Madonna, U2, les Rolling Stones...
Récemment, le guitariste de Bruce Springsteen a lui-même lancé un appel : « Nous devons sauver San Siro ! Nous avons assez de gratte-ciels et de centres commerciaux dans le monde, mais il n'y a qu'un seul San Siro ! ».
Le culte de la modernité
Je ne veux pas tomber dans la rhétorique facile, mais j'ai récemment ressenti ce que signifie toucher l'histoire du doigt. J'ai visité le vieil Olympiastadion de Munich, avec son architecture unique au monde. Je me suis assis dans les tribunes et j'ai imaginé le but magnifique de Van Basten qui, sur cette même pelouse, a offert l'Euro aux Pays-Bas. Le stade était vide, silencieux, mais il donnait encore des frissons.
Comme San Siro, l'Olympiastadion a été bien plus qu'un terrain de football. Il a accueilli des finales de Coupe du Monde, d'Euro, de Ligue des Champions, mais aussi les Jeux Olympiques et des concerts mythiques. Depuis 2005, il a laissé la place au plus moderne Allianz Arena. Mais il est resté à sa place. Personne n'a jamais pensé à le démolir. Parce que ce n'est pas seulement un stade, c'est un symbole.
Aujourd'hui, j'ai l'impression que la course à la modernité ne respecte plus rien. Tout est devenu sacrifiable, remplaçable. Alors oui, démolissons San Siro. Construisons enfin un stade moderne, en phase avec le développement de Milan. Tant pis pour l'histoire, la modernité en écrira une nouvelle.
Parfois, il faudrait pourtant savoir s'arrêter, prendre une pause dans cette frénésie qui nous empêche de voir que certaines choses doivent rester à leur place. Qu'on peut améliorer, sans détruire. Qu'on peut faire du neuf, tout en honorant l'ancien. Et dire que l'Italie est la patrie des "monstres écologiques", ces constructions illégales qui défigurent le paysage. Mais San Siro, on le rase. Quelle ironie.