Jim Ratcliffe Man Utd GFXGetty/GOAL

Manchester United : le projet qui veut faire payer aux fans le droit d'être supporter

Pour la troisième année consécutive, Manchester United effectue sa tournée de pré-saison aux États-Unis, visitant certains des plus beaux stades que l'Amérique a à offrir. Un juste retour des choses. Car ce sont précisément ces arènes de la NFL qui ont inspiré la modernisation du football anglais et la création de la ligue la plus regardée au monde.

Comme le racontent Joshua Robinson et Jonathan Clegg dans leur livre "The Club", c'est après avoir traversé l'Atlantique pour voir du football américain que David Dein, alors propriétaire d'Arsenal, et Irving Scholar, dirigeant de Tottenham, ont eu l'idée de créer la Premier League. Ils avaient été bluffés par les stades modernes, l'ambiance familiale et, dans le cas de Dein, la propreté des toilettes. Une expérience à des années-lumière des tribunes anglaises de l'époque, où « la menace de la violence physique flottait dans l'air, tout comme la puissante odeur d'urine ».

Ces stades de NFL ont ensuite influencé la construction des nouvelles enceintes d'Arsenal et de Tottenham. Il était donc inévitable que United, en envisageant de rénover Old Trafford ou de construire un nouveau stade, se tourne lui aussi vers le modèle américain.

Le projet dévoilé en mars, un stade de 100 000 places à 2 milliards de livres, porte clairement cette influence. Mais il a récemment été révélé que le club envisageait également d'adopter l'une des pratiques les plus controversées des franchises de NFL : faire payer aux supporters le droit d'acheter un abonnement, ce que l'on appelle outre-Atlantique les "Personal Seat Licences" (PSL).

Si le club veut éviter une révolte de grande ampleur et s'aliéner des fans qui le suivent chaque semaine depuis des décennies, il doit abandonner cette proposition de toute urgence.


  • Man United fan protestsGetty

    Une direction inquiétante

    L'idée d'introduire ces licences, qui pourraient coûter jusqu'à 4 700 euros simplement pour se réserver le droit d'acheter un abonnement, n'est que l'une des nombreuses pistes évoquées lors de groupes de discussion entre le club et une poignée de supporters. Ces consultations sont courantes avant la construction d'un stade. Le club, de son côté, s'est empressé de souligner qu'il ne s'agissait que d'une question parmi d'autres, et non d'une proposition ferme.

    Pourtant, le simple fait qu'une idée aussi controversée, jamais envisagée dans le football anglais, ait été mise sur la table par la direction de Manchester United témoigne d'une dérive inquiétante. Depuis le rachat du club par la famille Glazer en 2005, via une opération financière très controversée, les supporters se sentent ignorés et exploités. Les nouveaux propriétaires ont immédiatement augmenté le prix des billets, puis ont continué de le faire régulièrement, sans jamais entreprendre de travaux de rénovation significatifs à Old Trafford.

    Mais depuis que Sir Jim Ratcliffe a acquis sa part minoritaire dans le club en 2024, les choses ont encore empiré. La méfiance, déjà profonde, s'est transformée en une véritable défiance.

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  • Chelsea FC v Manchester United FC - Premier LeagueGetty Images Sport

    La cupidité avant la tradition

    Tout a commencé par la suppression des tarifs réduits pour les enfants et les seniors en plein milieu de la saison dernière. Interrogé à ce sujet, Jim Ratcliffe a répondu que le club ne pouvait pas vendre ses billets moins cher que Fulham, qui pratique les prix les plus élevés de la ligue. Une justification qui a eu du mal à passer. Et ce n'était qu'un début.

    Quelques mois plus tard, des centaines de supporters installés depuis des décennies dans la tribune Sir Bobby Charlton ont été informés qu'ils seraient déplacés. Leurs sièges, idéalement situés, allaient être transformés en places VIP. Peu après, le club a annoncé une augmentation de 5 % du prix des abonnements, puis a révélé que les billets pour les grands matchs pourraient atteindre 115 euros.

    Qualifiées de « coup de poignard » par le principal groupe de supporters, ces augmentations ont provoqué de nombreuses manifestations. Mais au lieu d'écouter les inquiétudes de ses fans, comme l'a fait Manchester City face à des mesures similaires, United semble vouloir aller encore plus loin dans l'exploitation. Le simple fait d'envisager les "PSL" est perçu comme une nouvelle trahison.

    « Cela va forcer des supporters qui suivent notre club depuis des décennies à renoncer », a déclaré à GOAL Chris Haymes, du groupe "The 1958", organisateur des manifestations. « Cela va exclure les jeunes, les communautés locales, des générations de fans fidèles. C'est un pas de plus vers l'américanisation de notre sport, qui arrache le football à ses racines ouvrières. C'est la preuve que nos dirigeants sont déconnectés. Il ne s'agit plus du jeu ou des supporters, mais du profit et de la cupidité, au détriment de la loyauté et de la tradition. Nous ne croyons plus un mot de ce que dit le club. Nous nous battrons contre ça. »

  • Tottenham Hotspur v Manchester United - UEFA Europa League Final 2025Getty Images Sport

    L'incompréhension de l'âme du football

    Steve, un abonné de longue date de Manchester United, a également fustigé cette notion de "PSL". « L'un des arguments de vente, c'est que cela sécurise votre siège et vous protège d'un déplacement. C'est une plaisanterie, quand on sait que le club vient de déplacer 500 fans, dont beaucoup de familles assises aux mêmes places depuis plus de 25 ans », explique-t-il. « United a créé le problème, a forcé les gens à partir, et maintenant on parle d'offrir une solution payante pour que ça ne se reproduise pas. Voilà ce qui arrive quand on a des propriétaires qui ne comprennent pas l'âme de ce sport. Ils sous-estiment ceux qui font le football : les supporters. Nous comptons plus qu'ils ne le pensent. »

    Les "Personal Seat Licences" sont utilisées dans tous les grands sports américains, mais sont particulièrement courantes en NFL. Les Carolina Panthers ont été les pionniers en 1993. Le système a permis de lever 122 millions de dollars et de financer la majeure partie de leur nouveau stade, qui a coûté 187 millions de dollars. D'autres franchises ont vu le succès et ont suivi. Aujourd'hui, 21 des 32 équipes de NFL utilisent ce système. Les Los Angeles Rams, propriété du dirigeant d'Arsenal Stan Kroenke, détiennent le record, avec des licences vendues jusqu'à 200 000 euros en 2017 avant l'ouverture du SoFi Stadium. Les Dallas Cowboys, eux, facturent jusqu'à 130 000 euros. Un modèle économique redoutable, mais à des années-lumière de la culture du football européen.

  • Minnesota Vikings fansGetty

    Un "stade pour les riches"

    La première équipe de MLS à adopter ce système fut le Charlotte FC, avant même ses débuts en 2022. Et ce, alors que le club n'avait aucun coût de stade à supporter, puisqu'il joue au Bank of America Stadium des Panthers. L'opération s'est avérée être un désastre total. Les matchs à domicile ne sont jamais à guichets fermés et les détenteurs de "PSL" se plaignent de ne pas pouvoir revendre leurs places sans les brader.

    Même si le système est répandu et que de nombreux fans finissent par payer, il reste extrêmement controversé et impopulaire. Les Minnesota Vikings ont provoqué la colère du gouverneur de l'État, Mark Dayton, en 2012. « Je m'oppose fermement à ce que l'on transfère une partie de la responsabilité du club sur les supporters », avait-il écrit dans une lettre aux propriétaires. « Cette contribution privée est votre responsabilité, pas la leur. J'ai dit que ce nouveau stade serait un 'stade du peuple', pas un 'stade pour les riches' ».

    Dayton avait mis le doigt sur le problème : ce système est un moyen éhonté pour des propriétaires déjà richissimes d'éviter de payer pour un stade dont ils sont les premiers bénéficiaires. Les propriétaires de NFL sont d'ailleurs connus pour se défausser du financement de leurs enceintes. Seuls trois des trente stades de la ligue ont été entièrement financés par des fonds privés.

  • MONACO-RED CROSS-GALA-CHARITYAFP

    Ratcliffe peut se le permettre

    Manchester United a déjà suivi le modèle de la NFL sur un point : solliciter des fonds publics pour le projet de régénération urbaine dont le stade fait partie. Si le stade lui-même sera financé par des fonds privés, le financement public du projet global augmentera naturellement la valeur de l'enceinte à long terme, au profit des Glazer et de Jim Ratcliffe.

    Cet aspect a déjà suscité l'indignation, et les contribuables britanniques ne toléreraient tout simplement pas de devoir payer pour le stade. Le fait que le club envisage l'idée des "PSL" montre que Ratcliffe veut que les supporters paient une grande partie de la note à sa place.

    Pourtant, si quelqu'un peut se permettre de financer un nouveau stade, c'est bien lui. La fortune personnelle du co-propriétaire de United est estimée à plus de 20 milliards d'euros, selon la "Rich List" du Sunday Times. Même si sa fortune a baissé l'année dernière, il reste l'un des dix Britanniques les plus riches. Et son entreprise, INEOS, se porte bien, avec un bénéfice d'exploitation qui a grimpé à 1,3 milliard d'euros.

    Mais Ratcliffe, lui, ne vit plus au Royaume-Uni depuis 2020, date à laquelle il a déménagé à Monaco pour des raisons fiscales. Un déménagement qui lui aurait permis d'économiser environ 4,7 milliards d'euros, soit plus du double du coût du nouveau stade. Ratcliffe, souvent décrit comme un homme pressé, voit clairement la construction de ce stade comme le principal héritage qu'il veut laisser à United. Si c'est le cas, il devrait le financer avec son immense fortune, et non pas suggérer que les supporters le subventionnent.

  • Tottenham Hotspur v Manchester United - UEFA Europa League Final 2025Getty Images Sport

    Remettre cette idée à la poubelle

    Manchester United jouit d'un soutien immense aux États-Unis. Malgré une troisième tournée estivale consécutive et la pire saison du club depuis 51 ans, la demande de billets a été énorme. Plus de 82 000 spectateurs ont assisté à la victoire contre West Ham au MetLife Stadium, soit plus que pour la finale du Mondial des Clubs dans le même stade deux semaines plus tôt.

    Cet attrait pour United et la Premier League aux États-Unis est une bonne chose. Mais il est bon de se rappeler ce qui attire en premier lieu ce public : la passion, l'atmosphère, le sentiment d'appartenance et le lien entre un club et sa communauté locale. Des facteurs qui ont souvent été perdus dans le sport américain, où des propriétaires cupides ont arraché des franchises à leurs communautés pour les déplacer vers des marchés plus lucratifs.

    Il y a beaucoup de choses à apprécier dans le sport américain. Mais en essayant d'imiter l'avidité de leurs homologues milliardaires de l'autre côté de l'Atlantique, les dirigeants du football anglais risquent de perdre tout ce qui rend ce sport si spécial et si attractif pour les fans du monde entier.

    Pour l'instant, les "PSL" ne sont peut-être qu'une idée pour Manchester United. Mais c'est une idée désastreuse. Et elle doit être jetée à la poubelle. Immédiatement.