Johan Cruyff Hall of Fame 16:9Getty Images

Hall of Fame Vol. III : Johan Cruyff : le prophète qui a réinventé le football

Quand il était sur le terrain, tout le monde le remarquait. Ses coéquipiers, galvanisés, prêts à se donner à 100 %. Ses adversaires, terrorisés à la simple idée de ses gestes imprévisibles, de ses changements de position constants, de ses accélérations soudaines. Hendrik Johannes Cruyff, connu simplement comme Johan Cruyff, était le "Prophète du but".

Ambidextre, doté d'une classe folle, il possédait un charisme unique, capable d'inspirer ses partenaires et d'influencer le jeu, qu'il lisait toujours avec un temps d'avance. Il incarnait à la fois la raison et l'instinct, l'élégance et la férocité, la discipline et la rébellion. Un mélange explosif qui a fait de lui l'interprète parfait du "Totaalvoetbal", le "football total", cette nouvelle philosophie de jeu qui a révolutionné les années 70.

Cruyff est sans aucun doute le joueur qui a le plus changé le jeu. Avant lui, on jouait d'une certaine manière. Après lui, le football ne sera plus jamais le même. Théoriquement milieu offensif, il était en réalité partout, devenant tour à tour avant-centre, ailier ou même meneur de jeu. Dans le football total, les postes fixes n'existent plus.

Lié à un numéro de maillot non conventionnel, le 14, Cruyff a écrit des pages inoubliables avec l'Ajax, le Barça et Feyenoord, remportant 21 trophées, dont trois Coupes des Champions et trois Ballons d'Or. Rebelle en dehors des terrains, avec ses cheveux longs et son caractère bien trempé, il fut aussi un pionnier dans la gestion de son image. Un champion unique et inimitable.

  • Le génie en action

    La carrière de Johan Cruyff est une collection de moments iconiques. De ses gestes de chef d'orchestre sur le terrain à cette apparente simplicité avec laquelle il réalisait les gestes les plus complexes, en passant par sa force mentale et, bien sûr, ce fameux maillot n°14, devenu sa signature par un curieux hasard. La légende raconte qu'un jour, ne trouvant pas son n°7, il aurait pioché au hasard dans le panier et choisi le 14, qui ne le quittera plus.

    Parmi ses 402 buts, le plus célèbre reste sans doute "le but impossible", inscrit avec le Barça contre l'Atlético de Madrid en décembre 1973. Sur un centre qui semble perdu pour tout le monde, Cruyff s'envole et, d'une sorte de talonnade acrobatique à une hauteur improbable, envoie le ballon au fond des filets. Une prouesse qui laisse tout le monde sans voix. « Face à un but comme ça, on ne discute pas, on applaudit », dira même l'entraîneur adverse.

    Autre but de légende, celui marqué avec les Pays-Bas contre le Brésil lors du Mondial 74. Sur un centre venu de la gauche, il se jette et, d'une reprise de volée en grand écart, crucifie le champion du monde en titre. Mais c'est lors de ce même Mondial qu'il invente son geste signature : le "Cruyff turn", cette feinte de passe suivie d'un crochet derrière la jambe d'appui qui a mystifié tant de défenseurs. C'est aussi lors de ce tournoi qu'il est au cœur de l'une des actions les plus iconiques de l'histoire : en finale contre l'Allemagne, les Hollandais enchaînent 16 passes dès le coup d'envoi avant que Cruyff ne provoque le penalty de l'ouverture du score, sans qu'aucun Allemand n'ait touché le ballon.

    Plus tard, en 1982, de retour à l'Ajax, il réinvente même le penalty, en le tirant en deux temps avec son coéquipier Jesper Olsen. Des coups de génie qui n'ont pas toujours été compris. « Au fil des ans, tout le monde ne m'a pas compris », écrira-t-il dans son autobiographie. « Mais ce n'est pas grave, Rembrandt et Van Gogh non plus n'ont pas été compris ».

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  • Le prophète du but

    Né dans la banlieue d'Amsterdam en 1947, Johan Cruyff commence à jouer dans la rue avant d'intégrer l'école de l'Ajax à 10 ans. C'est là qu'il apprend les principes qui guideront toute sa carrière : « Jouer au football est simple, mais jouer un football simple est la chose la plus difficile ». Ou encore : « La technique, ce n'est pas de savoir jongler mille fois. La technique, c'est de passer le ballon en une touche, à la bonne vitesse, sur le bon pied de ton coéquipier ».

    À 12 ans, la mort de son père le pousse à abandonner les études pour devenir footballeur professionnel. Il convainc l'Ajax d'engager sa mère comme femme de ménage pour subvenir aux besoins de la famille. Maigre et élancé, il est pris sous son aile par l'entraîneur Vic Buckingham, qui lui impose un travail physique intense pour le renforcer. Il débute en équipe première à 17 ans, et marque pour son premier match.

    Mais sa maturation tactique se fait sous les ordres d'un autre homme : Rinus Michels. Avec lui naît le "football total", ce concept où l'espace est roi et les postes n'ont plus d'importance. Cruyff devient le chef d'orchestre d'un Ajax qui va dominer l'Europe. Il remporte six titres de champion, six coupes nationales et surtout trois Coupes des Champions consécutives, de 1971 à 1973, inscrivant notamment un doublé en finale contre l'Inter. Il remporte également deux Ballons d'Or durant cette période.

    En 1973, il rejoint son mentor, Rinus Michels, au FC Barcelone. Il y remporte la Liga dès sa première saison, mettant fin à 14 ans de disette pour le club catalan. Il enchante le monde lors du Mondial 74 avec les Pays-Bas, mais s'incline en finale. Il se console avec un troisième Ballon d'Or. Après quatre autres saisons en Espagne, et un enlèvement manqué, il annonce, à 31 ans, sa première retraite.

  • Le dernier tour de piste

    Mais Cruyff n'en avait pas fini. Après avoir annoncé sa retraite, il revient sur sa décision et s'envole pour les États-Unis, dans l'ancêtre de la MLS. D'abord avec les Los Angeles Aztecs, puis avec les Washington Diplomats, il continue de régaler le public de ses gestes de génie. Mais l'Amérique est trop petite pour lui. Après une brève parenthèse à Levante, en Espagne, le "Prophète" rentre à la maison.

    En 1981, il signe son grand retour à l'Ajax. Il y remporte encore deux titres de champion et une coupe nationale, et prend sous son aile la nouvelle génération de talents, dont un certain Marco van Basten et un certain Frank Rijkaard.

    En 1983, dans un geste de défi qui lui ressemble, il signe chez les rivaux historiques de Feyenoord. Aux côtés d'un jeune Ruud Gullit, il vit son chant du cygne, réalisant un doublé historique Coupe-Championnat. Il raccroche définitivement les crampons à 37 ans, avant de prouver qu'il était aussi un immense entraîneur, inscrivant définitivement son nom dans la légende.

    « D'une certaine manière, je suis probablement immortel », dira-t-il un jour en pensant à sa propre carrière. Voyant tout, comme toujours, bien avant tout le monde.