Ce dimanche à l'Emirates, il ne s'est pas seulement joué un choc de Premier League. Il s'est joué quelque chose de plus profond, une forme de rupture philosophique. En voyant Manchester City défendre bas, subir et procéder en contre, le public anglais a cru voir un fantôme : celui de José Mourinho. L'architecte de ce plan de jeu n'était pourtant autre que Pep Guardiola, l'apôtre du football de possession, le gardien du temple du beau jeu. Avec son taux de possession le plus bas en 601 matchs de championnat, l'entraîneur catalan a surpris, choqué, et surtout, divisé. A-t-il vendu son âme pour un résultat, trahissant des années de convictions ? Ou a-t-il simplement prouvé, une fois de plus, qu'il était le maître ultime de l'adaptation ?
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AFPL'anatomie d'une métamorphose
Les statistiques sont si inhabituelles qu'elles en deviennent un événement. 32,8% de possession. Seulement 8 touches dans la surface adverse. Un carton jaune pour gain de temps. Ces chiffres ne sont pas ceux d'une équipe de bas de tableau venue chercher un point, mais bien ceux du Manchester City de Pep Guardiola. Comme l'a analysé un Gary Neville stupéfait sur Sky Sports, "c'est un revirement complet. Un 180 degrés". Le technicien catalan, qui a toujours imposé son style à ses adversaires, a cette fois choisi de gérer le match sans le ballon, avec une organisation en 5-4-1 d'une rigueur quasi militaire. Une approche si radicalement différente de son ADN que la presse anglaise n'a pas hésité à parler de "triomphe ultime de José Mourinho".
Getty Images SportLe pragmatisme ou le reniement ?
Alors, simple pragmatisme ou reniement de ses principes les plus chers ? La question est au cœur des débats. D'un côté, on peut y voir la marque des plus grands. Comme le souligne Gary Neville, "les plus grands managers s'adaptent et s'améliorent". Dans un contexte difficile, après une saison blanche et un début de campagne mitigé, Guardiola a peut-être jugé que le résultat primait sur la manière. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, et refuser d'adapter sa stratégie face à un adversaire en pleine confiance aurait pu être une forme d'arrogance. Mais de l'autre, cette approche laisse un goût amer. Guardiola lui-même l'a avoué : "Non, je souffre, je n'aime pas." En choisissant de "souffrir" pour gagner, n'a-t-il pas franchi une ligne rouge philosophique ?
AFP"Embrasser son Mourinho intérieur"
Les médias anglais se sont délectés de cette ironie. "Pep Guardiola a été puni pour avoir joué à la José Mourinho",ont titré nos confrères britanniques de GOAL, soulignant que le but égalisateur d'Arsenal en fin de match sonnait comme une justice immanente. The Independent a parfaitement résumé le sentiment général : "Quelque part à Lisbonne, le Special One hochait peut-être la tête d'approbation. Il a fallu 17 ans mais Guardiola s'est rallié à son point de vue. Il y a une beauté dans la défense." C'est bien là tout le paradoxe. Pendant des années, Guardiola a incarné l'antithèse du football cynique et calculateur de son rival portugais. Le voir, ne serait-ce que pour 90 minutes, "embrasser son Mourinho intérieur" est un événement qui marquera sa carrière.
Getty Images SportUn tournant dans la carrière de Guardiola ?
Ce match à l'Emirates restera-t-il un simple accident de parcours, une parenthèse tactique dictée par les circonstances ? Ou est-ce le signe d'une évolution plus profonde chez un entraîneur qui, sentant son équipe plus vulnérable, serait prêt à sacrifier une partie de son identité pour continuer à gagner ? Lui-même en a plaisanté, déclarant : "J'ai dû faire mes preuves avec une stratégie différente. Alors maintenant j'ai une équipe de transition, vous savez." Seul l'avenir le dira. Mais ce dimanche, le monde du football a eu la confirmation qu'il n'y a rien de plus imprévisible que le football lui-même, pas même les convictions de Pep Guardiola.



