Guardiola Donnarumma Ederson GFXGetty/GOAL

Donnarumma à Man City : Guardiola trahit-il ses principes pour revenir à l'essentiel ?

Victor Valdés n'oubliera jamais sa première conversation avec Pep Guardiola. Il était le gardien du Barça depuis des années, mais le nouvel entraîneur a immédiatement remis en question tout ce qu'il pensait savoir sur le football.

« Il m'a montré un tableau tactique avec deux aimants de chaque côté de la surface », raconte le gardien. « Il m'a dit : 'Tu sais qui sont ces deux joueurs ? Ce sont tes défenseurs centraux. C'est là que je veux qu'ils soient quand tu as le ballon. Tu leur feras la passe, et c'est de là que nous construirons le jeu'. J'ai cru qu'il était fou ».

Valdés a mis en pratique les idées de Guardiola, et même quand cela a conduit à des erreurs, il a persisté. À son arrivée au Bayern, Guardiola a appliqué la même méthode avec Manuel Neuer, encore meilleur dans le jeu au pied.

Lorsqu'il a rejoint Manchester City, il était si convaincu de ce principe qu'il a évincé la légende du club, Joe Hart, pour le remplacer par Claudio Bravo, puis par Ederson.

Aujourd'hui, alors qu'Ederson s'apprête à quitter le club, le choix de Guardiola de le remplacer par Gianluigi Donnarumma a surpris tout le monde. Beaucoup se demandent si le coach n'a pas, tout simplement, abandonné l'un de ses principes les plus sacrés.

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    Un coach en constante évolution

    Contrairement à l'idée reçue, Pep Guardiola n'est pas un entraîneur dogmatique. S'il a bien bouleversé le football en s'inspirant du jeu de position de la "Dream Team" de Johan Cruyff, il n'a cessé de faire évoluer son style. Il est passé de latéraux ultra-offensifs comme Dani Alves à une défense composée de quatre défenseurs centraux. Il est passé d'un système sans véritable avant-centre à une équipe construite autour d'Erling Haaland, un pur finisseur au jeu de remise limité. Il a même modifié l'utilisation de son gardien, Ederson devenant une rampe de lancement avec ses longs ballons, au point de délivrer huit passes décisives dans sa carrière à City.

    L'année dernière, il expliquait cette philosophie à ESPN Brasil. Il a d'abord évoqué l'ennui : « Faire toujours la même chose pendant huit ans serait très ennuyeux ». Ensuite, la nécessité de s'adapter à l'adversaire : « Quand vous faites quelque chose et que ça marche, les autres vous observent et créent un antidote. Il faut donc répondre à nouveau ». Enfin, et c'est le plus important, il a souligné l'importance de s'adapter aux joueurs qu'il a à sa disposition : « Quelles sont leurs qualités spécifiques et comment s'adaptent-elles le mieux à la façon dont vous voulez jouer ? ». Une flexibilité qui pourrait bien expliquer son choix surprenant.

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  • gianluigi donnarumma psg getty

    Un profil aux antipodes

    Pourtant, se tourner vers Gianluigi Donnarumma ressemble à une volte-face radicale de la part de Guardiola. Il y a deux semaines à peine, le coach déclarait : « Il est difficile pour moi de trouver un gardien qui n'est pas courageux avec ses pieds. Je ne dis pas d'être comme Ederson, capable de mettre le ballon à 60 mètres. Mais il faut un minimum ».

    Donnarumma, lui, n'est pas un gardien que l'on qualifierait de "courageux avec ses pieds". C'est même précisément pour cette raison que Luis Enrique l'a poussé vers la sortie au PSG, alors même qu'il venait de contribuer au triplé historique du club. Le numéro 1 italien avait été héroïque en Ligue des Champions, sortant deux tirs au but contre Liverpool et réalisant des arrêts cruciaux contre Aston Villa et Arsenal.

    Et pourtant, le club a décidé de signer le jeune Lucas Chevalier et d'écarter Donnarumma de l'entraînement pour forcer son départ. La raison ? Luis Enrique cherchait « un profil de gardien différent ». Un profil que Guardiola, justement, semblait toujours avoir privilégié jusqu'à présent.

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    Moins "Barça" que Luis Enrique ?

    Lucas Chevalier est, sans conteste, plus audacieux avec le ballon que Donnarumma. La saison dernière à Lille, il a réussi bien plus de passes longues et de "relances" que l'Italien. Il a même affiché de meilleures statistiques de gardien "traditionnel", avec plus de "clean sheets" et un meilleur pourcentage d'arrêts, alors même que Lille a terminé cinquième et le PSG champion.

    Le fait que Luis Enrique veuille vendre Donnarumma au moment où Guardiola veut le recruter est très révélateur. Les deux hommes ont joué et entraîné le Barça. Et lorsque Luis Enrique était sur le banc catalan, il avait refusé de vendre Marc-André ter Stegen à City, préférant laisser partir Claudio Bravo pour que l'Allemand, si à l'aise au pied, devienne son numéro 1.

    On a parfois accusé Luis Enrique de s'éloigner du "tiki-taka". Pourtant, en se séparant de Donnarumma en raison de ses limites dans le jeu au pied, il semble être un apôtre encore plus strict du style barcelonais que Guardiola lui-même. Une ironie savoureuse, qui montre à quel point les chemins des deux disciples de Cruyff ont divergé.

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    Le choix de la sécurité

    Il ne s'agit pas de dire que Donnarumma est particulièrement mauvais avec ses pieds. Sa précision de passe était de 85,4 % la saison dernière en Ligue 1, ce qui est tout à fait honorable. Mais sa réticence à jouer court vient sans doute de l'une des pires erreurs de sa carrière, lorsqu'il s'est fait subtiliser le ballon par Karim Benzema dans sa propre surface, une erreur qui a conduit à l'élimination du PSG face au Real Madrid en 2022. On se souvient aussi de ses bourdes avec l'AC Milan.

    Ces erreurs ont poussé Donnarumma à adopter une approche plus conservatrice, en jouant plus près de sa ligne. Mais cela a aussi fait de lui l'un des meilleurs gardiens du monde sur sa ligne, bien aidé par son gabarit impressionnant (1,96 m).

    « Il est immense, mais son sens du placement est excellent », a analysé l'ancien gardien anglais Paul Robinson. « Beaucoup de gardiens se précipitent pour réduire l'angle, mais lui reste intelligemment plus près de sa ligne. En raison de sa taille, il sait qu'il peut couvrir la majeure partie de son but depuis cette position ». Un style à l'ancienne, mais d'une efficacité redoutable.

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    Le titan des tirs au but

    Luis Enrique a contraint Donnarumma à prendre plus de risques, ce qui a conduit à plus d'erreurs, comme son expulsion contre Le Havre il y a deux saisons. C'est bien la preuve qu'il est à son meilleur dans un système qui ne lui demande pas de jouer comme un libéro.

    Son chef-d'œuvre reste l'Euro 2020, avec une équipe d'Italie dirigée par Roberto Mancini et protégée par les vétérans Giorgio Chiellini et Leonardo Bonucci. Une équipe qui se souciait peu de la relance courte. Donnarumma y a brillé, notamment lors des séances de tirs au but contre l'Espagne et l'Angleterre, devenant le premier et unique gardien de l'histoire à être élu Meilleur Joueur d'un Euro. Il n'a d'ailleurs perdu qu'une seule des sept séances de tirs au but de sa carrière.

    Cette année, après le triplé du PSG, il est le grand favori pour remporter le Trophée Yachine et le prix The Best de la FIFA. Il a même été nommé meilleur gardien du monde par l'Observatoire du football CIES avant même d'avoir remporté ces trois titres. Preuve que son talent sur sa ligne reste une référence absolue.

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    Retour aux fondamentaux

    Malgré les préférences de Luis Enrique et quelques erreurs flagrantes, il est clair que Manchester City s'apprête à recruter un gardien de classe mondiale, qui a brillé au plus haut niveau et a su gérer la pression immense à Milan, à Paris et en sélection. À 26 ans, il a encore de belles années devant lui, mais il possède déjà une décennie d'expérience, lui qui a débuté à 16 ans à peine.

    Donnarumma n'offrira pas à City la rampe de lancement qu'était Ederson. Mais ces dernières saisons, les erreurs grossières du Brésilien commençaient à occulter ses qualités de relanceur. Il a d'ailleurs été l'un des principaux responsables du fiasco de City en Ligue des Champions la saison dernière. La réponse du club a donc été de recruter celui qui a été le meilleur joueur de la compétition.

    On peut y voir un parallèle avec le recrutement d'Haaland, où Guardiola avait déjà modifié son approche pour s'offrir le meilleur à son poste. Pour certains, c'est une trahison des principes du coach. Pour d'autres, c'est un constat pragmatique : Ederson était unique, et face à un marché pauvre en candidats, City est revenu aux fondamentaux en recrutant l'un des meilleurs gardiens du monde sur sa ligne.

    Et si Donnarumma soulève à nouveau la Ligue des Champions en mai prochain, plus personne ne parlera de principes.

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