Adriano Rebel UnitedGetty Images, Footballco

Adriano, l'Empereur déchu : l'histoire tragique du plus grand gâchis du football

Dans le football, un tir peut vous rendre immortel, inoubliable. Il peut créer des dieux ou des figures tragiques. Un tir à l'entrée de la surface a fait de l'Allemand Helmut Rahn une légende en 1954. Mario Götze ou l'Uruguayen Alcides Ghiggia pourraient en dire autant. Pour Roberto Baggio, un seul tir a suffi pour provoquer l'inverse. Un tir fatal qui a manqué sa cible.

Et ce sont aussi des tirs qui ont façonné le destin du Brésilien Adriano Leite Ribeiro, pour le meilleur et pour le pire. D'un côté, il y a ceux qui ont fait de lui "l'Empereur", celui qui devait succéder à Ronaldo, celui qui devait « écrire l'histoire du football », comme l'avait dit un jour son sélectionneur, Carlos Alberto Parreira. Sa frappe du gauche était si pure, si brutale, si puissante, qu'il semblait pouvoir marquer depuis n'importe où.

Mais de l'autre, il y a eu d'autres tirs, bien plus sombres, qui ont réveillé les démons d'Adriano. Des tirs qui ont retenti à Vila Cruzeiro, un bidonville de Rio de Janeiro, et qui ont eu une influence tragique sur la carrière de celui que Roberto Mancini décrivait comme la symbiose parfaite de l'attaquant.

Un buteur qui avait « la puissance de Gigi Riva, l'agilité de Marco van Basten et l'égoïsme de Romario », mais qui a sombré dans la dépression et l'alcool, sans jamais réaliser son immense potentiel.

  • La nuit où tout a basculé

    Quand on évoque la carrière d'un homme au potentiel de superstar avec un tel goût d'inachevé, une question s'impose : à quel moment tout a-t-il commencé à dérailler ? Dans le cas d'Adriano, la réponse est d'une simplicité effroyable.

    Tout a commencé une nuit de mars 1992, à Vila Cruzeiro, lorsque la police a pris d'assaut le bidonville de Rio pour mener un raid contre les barons de la drogue du tristement célèbre "Comando Vermelho".

    « Ce jour-là a changé ma vie », confiera Adriano des années plus tard. « D'un seul coup, je suis devenu un adulte ». L'enfant, alors âgé de dix ans à peine, a dû assister à une scène d'horreur : son père, Almir Ribeiro, un simple facteur, a été touché d'une balle en pleine tête.

    Il a survécu, miraculeusement. Mais la balle est restée logée dans son crâne, faute d'argent pour financer l'opération. Douze ans plus tard, elle achèvera son œuvre funeste, mais elle avait déjà allumé un incendie dans la tête d'Adriano. Un brasier qui finira par consumer sa carrière.

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  • Adriano InterGetty

    L'anti-brésilien

    À l'époque où cet incendie intérieur commençait à couver, personne n'aurait pu prédire qu'Adriano deviendrait une superstar. Pas même son entraîneur chez les jeunes de Flamengo, Luiz Antonio Torres, qui doutait sérieusement de son avenir en tant que défenseur. « Pas un talent particulier », se souvenait-il. « Il était bon, mais pas meilleur que ses coéquipiers ». Pire, Adriano était jugé « pataud, peu technique », en somme, un "anti-brésilien", qui ne flottait pas sur le terrain « comme les grands joueurs du Brésil ».

    Mais alors qu'Adriano, 14 ans, était sur le point d'être recalé des "peneiras", les légendaires détections des clubs professionnels brésiliens, Torres a eu une intuition. Il a demandé à ce qu'on le teste en pointe. Un coup du destin.

    L'anti-brésilien avait trouvé son poste. Dès lors, il a tout écrasé sur son passage. Il a mené le Brésil au titre mondial des moins de 17 ans, avant de faire ses débuts avec l'équipe première de Flamengo un an plus tard. Cinq minutes lui ont suffi pour inscrire le premier de ses 14 buts de la saison. Son étoile était née.

    Avec son premier salaire, il a acheté un appartement à sa famille dans le quartier chic de Barra da Tijuca, là où son idole, Ronaldo, possédait une maison. Il avait quitté la favela « la tête haute », laissant derrière lui le crime, la violence et la mort. Pendant ce temps, l'écho de son talent était parvenu aux oreilles d'un certain Massimo Moratti, alors propriétaire de l'Inter Milan.

  • Le coup de tonnerre

    Il n'a jamais terminé sa deuxième saison à Flamengo. Massimo Moratti, désireux de l'attirer à l'Inter Milan, a proposé un échange incluant le flop Vampeta plus cinq millions d'euros. Flamengo a accepté. Adriano rejoignait ainsi le club où évoluait le plus grand attaquant brésilien depuis Pelé : Ronaldo.

    Alors que ce dernier se remettait encore de sa deuxième rupture des ligaments croisés, Adriano a fait ses débuts, trois jours à peine après son arrivée, lors d'un match amical contre le Real Madrid. Huit minutes de « pure magie », comme l'écrira la presse locale.

    Ce soir-là, Adriano a fait ce qu'il a voulu d'Aitor Karanka, allant même jusqu'à lui glisser un petit pont. Il a laissé le grand Fernando Hierro sur place comme un simple amateur. Et à la 90e minute, il s'est présenté pour tirer un coup franc qu'il avait lui-même provoqué.

    La frappe, mesurée à 180 km/h, a nettoyé la lucarne droite. L'inconnu du bidonville de Rio venait de marquer pour une victoire 2-1. Au commencement de l'ère Adriano à l'Inter, il y eut un coup de tonnerre. Un tir qui lui a ouvert en grand les portes de l'Italie.

  • Adriano FiorentinaGetty Images

    Le tour d'Italie

    Mais le retour de Ronaldo approchait, et avec Christian Vieri et Mohamed Kallon déjà présents en attaque, la concurrence était trop forte. L'Inter a donc décidé de prêter ce colosse de 1,90 m, d'abord à la Fiorentina, puis à Parme.

    À Florence, il avait la lourde tâche de faire oublier la légende Gabriel Batistuta et de sauver le club de la relégation. En 15 matchs, il a marqué six fois, souvent dans les dernières minutes, comme contre le Chievo Vérone ou l'AC Milan. Les tifosi l'adoraient pour ça. Il était ce joueur capable de transformer l'enfer en paradis, un peu comme le fut en son temps Renato Cesarini, celui qui a donné son nom à la fameuse "Zona Cesarini", cette expression qui désigne les buts inscrits dans le temps additionnel.

    Mais la "Zona Adriano" n'a duré que six mois. La Fiorentina est descendue, a fait faillite, et Adriano a été prêté à Parme. Là-bas, il a formé un duo d'enfer avec Adrian Mutu, un autre talentueux bad boy qui, comme lui, finira par se perdre. Leur entente était si parfaite que Parme a déboursé 14,5 millions d'euros pour le recruter définitivement. Mais après huit buts lors des neuf premiers matchs de la saison 2003-2004, Massimo Moratti, poussé par ses propres supporters, a décidé qu'il était temps de le faire revenir à la maison. L'Empereur était de retour.

  • Adriano Copa AmericaGetty Images

    Le bref séjour au paradis

    Alors qu'au Brésil, on se moquait encore de lui en le surnommant le "Tombadour", l'attaquant maladroit, il était devenu le héros de l'Inter, terminant la saison en trombe. "L'Imperatore", l'Empereur, tel était son nouveau nom, en hommage à sa domination physique dans les surfaces de réparation.

    C'est au sommet de sa forme, mais avec une équipe B du Brésil privée de Ronaldo et Ronaldinho, qu'il s'est envolé pour la Copa America au Pérou. Il a fait de ce tournoi son tournoi. Meilleur joueur, meilleur buteur, et en finale contre l'ennemi juré, l'Argentine, il est devenu un héros national.

    Ce soir-là, il a égalisé deux fois, dont le but du 2-2 à la 93e minute. Il a ensuite transformé son tir au but. Le Brésil a gagné, et Adriano, en larmes, a dédié le titre à son père, qui souffrait de plus en plus des séquelles de la balle reçue douze ans plus tôt.

    « Ce titre est pour mon père », a-t-il sangloté face aux caméras. « C'est mon meilleur ami, mon partenaire. Sans lui, je ne suis rien ». Ce 25 juillet 2004, à Lima, il avait atteint le paradis. Un héros du peuple en route pour devenir une superstar mondiale. « Il écrira l'histoire et marquera les trois prochaines Coupes du Monde, c'est une certitude », avait alors prédit son sélectionneur. Mais le séjour au paradis fut de courte durée.

  • Adriano Confederations CupGetty Images

    La descente aux enfers

    Neuf jours après la finale de Lima, son père est mort d'une crise cardiaque. Quand Adriano a reçu l'appel à Milan, son monde s'est effondré. « Je l'ai vu pleurer. Il a jeté le téléphone et a commencé à hurler. Vous ne pouvez pas imaginer ce genre de cri. J'en ai encore la chair de poule aujourd'hui », a raconté Javier Zanetti, le capitaine de l'Inter, des années plus tard. « À partir de ce jour, Moratti et moi avons décidé de veiller sur lui comme s'il était notre frère ».

    Ils avaient raison de s'inquiéter. C'était son père qui veillait sur lui, qui le maintenait dans le droit chemin. Pendant un temps, on a cru qu'ils y parvenaient. Adriano a marqué 14 buts en 16 matchs en première partie de saison. Il a été meilleur buteur et meilleur joueur de la Coupe des Confédérations 2005. Il faisait partie du "carré magique" brésilien, aux côtés de Kaká, Ronaldinho et Ronaldo.

    Mais les apparences étaient trompeuses. Le deuil, la douleur et la colère s'étaient installés dans sa tête comme des démons permanents. « Il continuait à jouer, à marquer des buts et à les dédier à son père. Mais depuis cet appel, plus rien n'était pareil », a dit Zanetti. Un fait qu'Adriano a lui-même confirmé plus tard.

    « J'étais seul en Italie. Isolé, triste et déprimé. Alors j'ai commencé à boire », a-t-il avoué en 2018. Il n'était heureux que lorsqu'il buvait. « Tous les soirs. Et je buvais tout ce qui me tombait sous la main : vin, whisky, vodka, bière. Énormément de bière. Je ne pouvais plus m'arrêter. J'étais saoul en permanence ».

  • L'ombre de lui-même

    Quelques jours avant de s'envoler pour la Coupe du Monde en Allemagne, Adriano a organisé une fête au Brésil avec ses amis d'enfance. « Il était toujours ce garçon timide et silencieux. Mais pour nous, 'Didico' (son surnom) était un héros », a raconté l'un de ses proches. Il a décrit une fête organisée dans un lieu secret, pour que ses amis des favelas, ceux avec qui il jouait pieds nus, puissent venir. Des amis qui, pour certains, avaient mal tourné. Certains avaient même rejoint le "Comando Vermelho". L'un de ses amis les plus proches a d'ailleurs été tué lors d'une fusillade avec la police.

    À partir de ce moment, « la dépression et l'alcool sont devenus une partie intégrante de sa vie ». Lors de la Coupe du Monde qui a suivi, Adriano a bien marqué deux buts. Mais il n'était plus que l'ombre de l'attaquant qui terrorisait les défenses. Le Brésil a été éliminé en quart de finale. Il n'y aura pas de héros Adriano, ni de sixième étoile pour le Brésil. Le monde entier venait d'assister, impuissant, au début de la fin.

  • Adriano MourinhoGetty Images

    "Quand j'arrivais ivre à l'entraînement..."

    À l'Inter, le cercle vicieux s'est poursuivi. Il faisait la fête toute la nuit, ne dormait pas, de peur de manquer l'entraînement. « Quand j'arrivais ivre le matin, ils m'envoyaient à l'infirmerie pour que je puisse dessaouler. À la presse, ils disaient que j'avais des problèmes musculaires », a-t-il raconté. Il ignorait les consignes de Mancini, a pris 20 kilos et a perdu tout contrôle.

    En 2008, Moratti lui a accordé un "congé" au Brésil, dans l'espoir qu'il se retrouve. Un prêt à São Paulo a été négocié. Malgré quelques écarts, comme un carton rouge pour un coup de tête, l'expérience a redonné un peu d'espoir. Avec 17 buts en 28 matchs, il est retourné à l'Inter six mois plus tard. Trop tôt. Adriano est retombé dans ses vieux démons. Même José Mourinho, pourtant expert dans la gestion des ego, a échoué. Après un match international en avril 2009, Adriano n'est jamais rentré à Milan. Il a été porté disparu, avant de déclarer quelques jours plus tard qu'il avait perdu le plaisir de jouer. C'en était trop pour Mourinho. Le contrat d'Adriano a été résilié.

  • La chute finale

    Le coup de grâce lui a été porté un an plus tard par le sélectionneur, Dunga, qui ne l'a pas retenu pour le Mondial 2010, alors même qu'Adriano avait brillé lors de son retour à Flamengo, menant le club au titre. Pour l'Empereur déchu, à la psychologie si fragile, ce fut le signal. Il a définitivement tourné le dos à sa carrière.

    Dès lors, les rumeurs les plus folles ont circulé. Bagarres en boîte de nuit, drogue... On l'a même accusé d'avoir accidentellement tiré dans la main d'une jeune femme avec l'arme de son garde du corps. Ce qu'il n'a pas pu nier, en revanche, ce sont ces photos de lui, posant avec une kalachnikov en or aux côtés d'un chef mafieux, membre du "Comando Vermelho".

    Ses tentatives de retour, à la Roma en 2010 ou aux Corinthians, ont toutes échoué. Une rupture du tendon d'Achille l'a replongé dans l'alcool et la vie nocturne. Quand son entraîneur lui a demandé de monter sur la balance, il aurait répondu : « Je suis Adriano, je n'ai pas besoin d'être pesé ». Sa carrière s'est définitivement terminée en 2016, à Miami, laissant plus de questions que de réponses.

    Reste le regret tardif de celui qui devait succéder à Ronaldo. « J'ai malheureusement compris trop tard que le vrai problème, c'étaient les gens autour de moi », a-t-il confié. « J'avais des 'amis' qui ne faisaient rien d'autre que de m'emmener faire la fête ». Il y a bien eu ceux qui ont essayé de l'arrêter. Mais ils étaient tous impuissants face aux démons dans sa tête. Des démons qui étaient là bien avant son coup de tonnerre contre le Real Madrid. Neuf ans avant, pour être exact. Le jour où une balle a touché la tête de son père, et a détruit, avec un temps de retard, la carrière de son fils.

  • FBL-BRA-ADRIANO-FAREWELLAFP

    Le retour à Vila Cruzeiro

    « Nous n'avons pas réussi à le sauver de la dépression, et c'est sans doute la plus grande défaite de ma carrière », a un jour confié Javier Zanetti. « Ça me fait encore mal ». Même Zlatan Ibrahimović a exprimé ses regrets : « Quand je suis arrivé, j'ai tout de suite dit au président : 'Ne le vendez pas, je veux jouer avec lui !'. Ce type était un animal. Il savait tout faire. Mais sa carrière a été trop courte. Sans doute parce que le football, c'est 50 % dans la tête. Et si la tête n'est pas là, c'est difficile ».

    Malgré tout, il y a eu une petite fin heureuse pour Adriano. En 2021, il a appris qu'il allait laisser son empreinte sur le mythique "Walk of Fame" du Maracanã, aux côtés de Pelé, Zico, Romario, Ronaldo... En apprenant la nouvelle, il a pleuré à chaudes larmes. La reconnaissance tardive d'un footballeur qui aurait pu être tellement plus.

    Il s'est lui-même qualifié de « plus grand gâchis du football ». Et aujourd'hui, Adriano semble s'être accommodé de cette étiquette. Il est retourné là où tout a commencé. Sa vie, et sa chute. Là-bas, à Vila Cruzeiro, il aime se promener torse nu, pieds nus, ivre, dans les ruelles. Il joue aux dominos, s'assoit sur le trottoir, se souvient des vieilles histoires. Celles de son enfance et celles de sa vie d'Empereur. Il écoute de la musique, danse avec ses amis, dort à même le sol. Et, dit-il, « dans chaque ruelle, je revois mon père ».