Edinson CavaniGetty Images

EDITO - Edinson Cavani, moi, moche et clivant

Vous avez remarqué comme tout doit être beau aujourd'hui ? Une mannequin en Une d'un magazine est retouchée numériquement pour être plus belle que vraie. Les plats des cuisiniers dans les émissions de food-réalité doivent être plus beaux que vrais. Ils doivent susciter l'envie au premier coup d'œil grâce aux multiples gros plans, aux effets graphiques reprenant les codes du luxe même s'il ne s'agit que d'une blanquette de veau "revisitée", plat populaire par excellence. Et que dire des filtres de vos applications de photos sur vos smartphones ? Ils vous permettent d'être plus beaux que vrais. De vous faire perdre du poids et des rides, de vous rendre du charisme. Dans le foot, c'est pareil. Il y a les footballeurs plus beaux (dans le geste, dans la réalisation) que vrais. Aux Messi, Ronaldo, Neymar et Ibrahimovic, on oppose les Cavani, Higuain et Diego Costa. La beauté naturelle face au labeur. Le spectacle face au cynisme. L'entertainment face au travail vite fait bien fait. Le foot de classe. 

Messi et Ronaldo ont sans doute changé l'histoire du foot. Neymar est un descendant et Mbappé marche dans leurs traces. On pourra dire que l'on a vécu au temps des deux ogres du football mondial, narrer leurs exploits à nos héritiers, leur faire comprendre qu'ils ont raté quelque chose. Mais ces deux joueurs, aussi bons et performants qu'ils sont, auront aussi dérégulé l'observation générale. Ils auront établi des standards sur lesquels beaucoup reposent leurs analyses. La barre est devenue très haute. Trop haute même.

Désormais, un numéro 9 ne doit plus seulement marquer. Il doit décaler, libérer des espaces, savoir jouer dans les petits espaces avec ses partenaires et multiplier les combinaisons, faire des passes décisives du talon ou encore dribbler la moitié de la défense avant de loger une frappe dans la lucarne. Le beau plutôt que la corvée. Le divertissement avant tout. Le foot est ainsi fait aujourd'hui. Des doutes seront toujours émis face à un attaquant marquant 25 buts dont quelques-uns de la malléole ou à six mètres du but vide, alors qu'un attaquant en ayant marqué dix de moins dont quelques "top-buts" sera vite affublé du surnom de prochaine star mondiale. En oubliant que JPP n'a pas mis que des papinades, que Van Basten a aussi mis des buts de raccroc et que Batistuta n'a dépassé qu'une fois les 25 buts en championnat dans sa carrière européenne.

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Edinson Cavani a longtemps souffert de ce manque de classe, de beauté, de spectacularité dans son jeu, parfois qualifié de "moche à voir jouer". Certains supporters du PSG ne lui ont pardonné aucun raté. Car les images de Messi et Ronaldo sont désormais bien ancrées dans tous les esprits. Eux, paraît-il, ne ratent pas. Rien. Jamais. Les compilations sur Youtube ou Twitter ne mentent pas. Les 80 buts toutes compétitions confondues lors de ses trois premières années n'ont offert aucune marge à Cavani auprès de ses détracteurs, ceux qui le sifflaient régulièrement au Parc des Princes. Il ne jouait pas à son poste, défendait beaucoup (sans doute trop, mais la générosité naturelle revient vite au galop) et l'attaque était vampirisée par Ibrahimovic, un type au coefficient de spectacularité XXL. Pourtant, l'Uruguayen était déjà l'homme des grands soirs.

Et puis, le départ de celui qui s'était autoproclamé roi a enfin offert à l'Uruguayen un moyen de répondre aux sceptiques. 35 buts en 36 journées de Ligue 1, 49 réalisations sur une saison de 50 matches, le voilà dans les sphères de Messi et Ronaldo. Et l'opinion a suivi. Son nom est scandé, ses efforts collectifs indéniablement et uniquement vus désormais sous le prisme positif, ses ratés (il y en a encore) et ses imprécisions techniques pardonnés. Les vestes sont retournées, tout le monde s'invente un passé de "grand défenseur de Cavani" dans la joie et l'allégresse. Et surtout dans la démesure, comme toujours.

Le voilà désormais devenu une légende du Paris Saint-Germain avec ses 157 buts. Il lui en aura fallu du temps. Rien d'étonnant pour un joueur besogneux et peu avare en efforts. Le travail finit par être récompensé quand on ne nait pas avec des pieds en or. Il est enfin accepté, avec ses forces et ses faiblesses, avec son jeu parfois brouillon, ses contrôles aléatoires et ses remises pas toujours justes. Mais ses buts, son travail, son abnégation et son sens du collectif ont fini par séduire. Le Matador ne lâche jamais. Quand arrivent les rendez-vous pour les records, Edinson et est toujours à l'heure.

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