Dans le quotidien d'un joueur blessé
Reportage au cœur de la rééducation d'Alexandre Mendy
Blessé en décembre dernier, Alexandre Mendy a accepté de nous ouvrir les portes de sa rééducation qu’il a débutée au Cers de Saint-Raphaël il y a un mois et demi.
Lundi 12 février 2018. Le rendez-vous est donné au Centre Européen de Rééducation du Sportif (CERS) de Saint-Raphaël à 8h30, heure à laquelle Alexandre Mendy arrive tous les matins depuis son admission il y a un mois et demi. L’établissement blanc, en bord de route, est situé sur la corniche. À l’accueil, quelques patients attendent d’être pris en charge tandis que nous découvrons le cadre. Le lieu est sobre et présente l’avantage de donner directement sur la mer Méditerranée. Le soleil est au rendez-vous ce jour-là, une chance.
L’attaquant des Girondins de Bordeaux en a eu nettement moins le 8 décembre dernier. Face à Strasbourg (lors de la 17e journée de Ligue 1), il sort se faire soigner sur la touche après un contact. On joue alors la 80e minute. Il semble souffrir du genou mais décide de rejoindre ses partenaires sur le terrain. Il les quitte finalement quatre minutes plus tard. "Je pensais vraiment pouvoir continuer mais la douleur est devenue trop forte", nous a-t-il confié. Il pense d’abord à une entorse du genou droit. Le diagnostic est finalement plus lourd : rupture des ligaments croisés. Sa saison est d’ores et déjà terminée.
L'annonce est dure à en encaisser, d’autant plus que le joueur a rejoint la Gironde il y a à peine six mois et qu’elle vient stopper sa progression : "Au début j’étais dégoûté parce que j’avais fait une bonne première partie de saison (4 buts inscrits en 18 sorties avec Bordeaux, ndlr). Surtout qu’en novembre-décembre, j’étais bien, poursuit-il. Après, je me suis dit que ça faisait partie du foot et qu’il fallait que je travaille pour bien revenir. Je ne vais pas dire que je l’ai bien pris parce que ça reste une blessure, mais je n’étais pas abattu non plus."
Le n°15 bordelais est pris en charge à Monaco où il est opéré en décembre. Débute donc le processus de guérison. Il rejoint le CERS, un centre d’hospitalisation de jour où les patients ne sont pas logés et viennent uniquement pour recevoir les soins. Un avantage puisqu'il est originaire de Toulon. Mais ce n’est pas l'unique facteur ayant guidé son choix. "Les footballeurs se renseignent beaucoup avant de venir, nous a confié Khélil Baba-Aïssa, son kinésithérapeute. Alexandre a été envoyé par Mickaël Le Bihan (l’attaquant de l’OGC Nice, ndlr) qui était venu en rééducation ici. Ça les rassure de connaître quelqu'un qui est déjà venu. Evidemment, ils ont peur, ils ne savent pas ce qui va se passer. Il y a du stress parce que leur corps, c’est leur outil de travail et qu’il y a des enjeux sportifs et financiers."
Khélil Baba-Aïssa, kinésithérapeute, nous accueille et nous guide au premier étage. La salle, très ensoleillée, est équipée de tables de massage et d’équipements divers (vélos, presses, tapis de course…). Une dizaine de personnes, de niveaux différents, sportifs ou non, sont déjà en plein réveil musculaire. Certains, comme l’attaquant de Bordeaux, sont traités pour des blessures au genou, d’autres à la cheville ou encore au dos. L’ambiance est bon enfant, il faut dire que la plupart se côtoie depuis plusieurs semaines déjà. Certains chambrent d’ailleurs Alexandre Mendy sur son retard (autorisé).
L’attaquant des Girondins de Bordeaux apparaît - exceptionnellement - un peu avant 9 heures. Il est rentré à Bordeaux le week-end précédent, notamment pour faire connaissance avec son nouvel entraîneur, Gustavo Poyet, arrivé quelques jours plus tôt. Lorsqu'il a rejoint le CERS, Jocelyn Gourvennec était encore à la tête de l’équipe. "J’ai rencontré le coach personnellement, ça a l’air d’être une bonne personne, avoue-t-il. Je suis confiant parce que ça ne dépend que de moi. Si j’arrive à revenir et à être bon, je ne vois pas pourquoi je ne jouerai pas."
Son processus de récupération dépend d'un programme personnalisé avec des circuits courts à répéter pour réveiller les muscles. À son arrivée, il boite, visiblement toujours gêné par son genou droit : "Je n’ai pas encore récupéré l’extension, nous confie le franco-sénégalais. C'est ce qui permet de plier la jambe et de marcher sans boiter. Une fois que je l’aurai récupérée, tout s’enchaînera." Après un tour de la salle pour dire bonjour à ses compagnons de fortune, il est lui aussi mis à contribution. Au programme, échauffement, gainage, extension de la jambe touchée notamment.
L’environnement est aussi un facteur essentiel à la récupération. Le groupe aussi. "Le stress est vite remplacé par un peu plus de détente parce qu’on est dans des groupes où il y a pas mal de sportifs, de la bonne humeur, estime son kiné. Alex est quelqu'un d’introverti, qui aime bien observer avant de se livrer. Au départ, il était un peu plus discret. Ensuite, il a pris ses marques. On discute pas mal, on se raconte des trucs privés. On échange, on crée du lien. On le pousse, on essaye de créer une atmosphère de groupe. Ce n’est pas un club de foot et ses coéquipiers mais ce sont ses coéquipiers de "galère." Ils sont sur le même bateau."
Entre le débriefing de la dernière journée de Ligue 1 et un coup d’œil sur le bon résultat de Bordeaux contre Amiens (3-2) deux jours avant, il entame donc sa journée par des "mobilisations" que nous a détaillées son kinésithérapeute : "Après une opération, les amplitudes articulaires ont tendance à diminuer à cause de l’immobilisation et des épanchements liquidiens (sang, œdèmes...). Afin de récupérer ces amplitudes, on procède de sorte à drainer ces épanchements avec des massages, de la glace par exemple, et redonner sa mobilité à l’articulation touchée."
Le Girondin est conduit au rez-de-chaussée, au "Kalinox", après quelques exercices. Lorsque le patient a encore mal mais qu’il faut forcer un peu la mobilisation, elle est couplée à ce procédé. Le Kalinox est un gaz aussi appelé "gaz hilarant." C’est un mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote. Il est administré au patient et permet de pousser la mobilisation plus loin. Dans un état second, il ne ressent pas ou peu la douleur et les manipulations peuvent ainsi être plus intenses. Ce jour-là, Mendy est pris en charge un quart d’heure. Très détendu durant la séance, il demande à ce qu’elle soit prolongée. Il avoue même n’avoir ressenti aucune douleur.
Retour au premier étage pour poursuivre le réveil musculaire. Pour tester son genou, il participe à un "jeu des haies" concocté par le staff médical qui consiste à marcher par-dessus des obstacles disposés à quelques centimètres du sol. Il est mis en compétition avec Benjamin Darbelet, ancien judoka médaillé olympique à Pékin en 2008, lui aussi touché au genou. Les deux hommes ont tissé des liens. Ils échangent sur leurs vies personnelles respectives, se chambrent… Une complicité qui apparaîtra aussi lors de la séance de piscine prévue à 11h. Ils partageront d’ailleurs leur déjeuner deux heures plus tard. Se mettre en concurrence est devenu un jeu quasi quotidien entre eux. Une motivation supplémentaire et un moyen de jauger sa progression.
Ses matinées sont ainsi rythmées depuis un mois et demi. Si lorsque nous l’avons rencontré, il semblait supporter les exercices, cela n’a pas toujours été aussi simple à aborder : "Physiquement, au tout début, les manipulations le lundi matin, après le week-end, c’était plutôt raide, admet-il. C’était difficile au niveau de la douleur. Mais après, plus le temps passait et plus, dans l’ensemble, c’était mieux. Mentalement, il n’y a eu aucun problème. Je me dis que ça fait partie de la vie." Après trois heures de réveil musculaire et de piscine, Alexandre Mendy est attendu à 13h30 pour la préparation physique.
Dans la salle du rez-de-chaussée, ses compagnons du matin son déjà en alerte. L’attaquant va désormais travailler le haut du corps. "Il a de la chance d’avoir une telle morphologie, reconnaît Romain Fernandez, ancien boxeur et préparateur physique. Même en n’ayant pas couru depuis un mois et demi, il n’a pas un gramme de gras. C’est quelqu'un de très sérieux." Comme ce matin-là, il suit un parcours de cinq exercices, et répète ses séries. Après cette séance, le Bordelais poursuit l’effort seul. Le lendemain, le programme prévu sera plus intense et axé sur le cardio. Il quittera le CERS le vendredi suivant.
Durant ce mois et demi passé en rééducation, le jeune homme de 23 ans a aussi dû gérer, en plus de sa forme physique, la situation compliquée du FCGB et l’éviction de Jocelyn Gourvennec : "Ça a été douloureux pour moi parce que j’avais une relation particulière avec le coach. Si je suis aux Girondins, c’est grâce à lui et c’est une bonne personne. Son départ m’a touché mais je suis toujours en contact avec lui (il lui a d'ailleurs envoyé un message pendant notre passage)."
Alexandre Mendy a désormais les yeux rivés sur l’avenir et la saison prochaine : "Je pense que je suis dans les temps, a-t-il estimé. Pas en avance mais dans les temps, ça c’est sûr. Lundi prochain (19 février, ndlr) je retournerai à Bordeaux pour continuer les soins. Je sais que ça va prendre du temps de retrouver des sensations mais je sais que physiquement je serai prêt."
Propos recueillis par Julie Yalap.