Marco Verratti Antonio Conte ItalyGetty Images

ANALYSE | Présent ou avenir, quelle place pour Verratti avec l’Italie ?

Au cœur de l’été 2012, un petit italien pose ses valises à Paris en toute discrétion, dans l’ombre des Zlatan Ibrahimovic, Thiago Silva et Ezequiel Lavezzi, stars connues et reconnues. À seulement 19 ans, le très jeune Marco Verratti n’est alors qu’un joueur prometteur arrivant de Pescara, champion de Serie B, et un total inconnu dans l’Hexagone.

 “À 4 ans, j'avais dit : 'Je jouerai dans une grande équipe.' Je crois que c'est fait aujourd'hui”, se réjouissait l’Italien dans les colonnes du Parisien à son arrivée, avec l’insouciance qui le caractérise depuis le début de sa carrière. 

Profitant des blessures de ses coéquipiers et du temps que lui offre Carlo Ancelotti sur le terrain, Marco Verratti s'installe doucement dans l'entrejeu parisien, éclatant de précocité et de maîtrise, dès que l’occasion lui permet de le montrer. En quelques mois, le prodige s’intègre dans le vestiaire parisien au gré des sourires. En parallèle, l’Europe découvre avec une once de jalousie que l’enfant de Pescara justifie pleinement les 11 millions d’euros dépensés par le PSG pour le recruter.

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Le prodige est devenu pilier
 
Très vite, l'Italien devient même une pièce maîtresse du dispositif d’Ancelotti, malgré son agacement pour ses prises de risques devant sa surface de réparation. Car le prodige ne s’est jamais bridé : il peut dribbler dans sa propre surface et s’amuser à déclencher des sueurs froides chez les supporters, à mesure que ses exploits techniques jaillissent sur le terrain. Lors du match retour de la Ligue des Champions face au Dynamo Kiev en novembre 2012, le petit italien est d’ailleurs ovationné par le public du Parc des Princes, mais relativise à la sortie du match : "Entendre tous ces supporters scander 'Verratti', c'était vraiment fort. Mais si je crois que je suis arrivé au sommet après cela, c'est que je n'ai rien compris. C'est juste un encouragement. J'ai encore tellement de choses à prouver”.
 
La maturité, la tête sur les épaules et l’envie d’être meilleur que les autres, sans l’arrogance qui accompagne souvent ces ambitions, voilà ce qui fait de Marco Verratti un petit génie. La facilité transpire, aussi, dans ces ballons qu’il vole et ces passes millimétrées qu’il distille aux quatre coins du terrain.
 
L’homme des grands rendez-vous

À Paris, l’entraineur a changé et Laurent Blanc a découvert Verratti, à côté des Matuidi, Cabaye et Motta, des joueurs qui ont excellé les saisons précédentes. Mais l’Italien a l’insolence d’être meilleur que ses coéquipiers. Cette saison, il est le joueur du PSG qui réussit le plus de tacles en Ligue 1 (49), et gagne le plus de duels (209 au total), loin devant le dribbleur Lucas Moura (177) et l’impérial Thiago Silva (155). Deux ans et demi après son arrivée, il est l’un des joueurs ayant disputé le plus de match du PSG, 121 au total depuis son arrivée, et ne manque aucun grand rendez-vous.

Contre le FC Barcelone en 2013, il prouve que son sang-froid lui permet de réaliser des actions de grande classe, tout en éliminant plusieurs joueurs et ne perdant que très rarement le ballon face au pressing impuissant des Barcelonais. C’est d’ailleurs contre ces mêmes Catalans, un an plus tard, que Verratti inscrit son premier but.
 
Plus récemment, la qualification du PSG pour les quarts de finale de la Ligue des champions est également passée par le milieu italien. La technique, la qualité de passe et les sorties de balle du numéro 24 ont largement contribué à l’exploit parisien en terre anglaise, laissant le soin à des joueurs comme Oscar et Matic de faire le douloureux bilan du passage de Verratti à Stamford Bridge où ils n’ont pas su soutenir la comparaison.

PS Marco Verratti Focus Italie

L’italien adulé par la France

Pour sa troisième saison à Paris, le jeune Marco – devenu papa – a assis sa maturité dans les grands instants du PSG. Dans les moments, aussi, où l’Europe avait les yeux sur la capitale française. À Paris, Marco Verratti n’a même pas besoin de marquer pour soulever la foule, puisqu’il crée le jeu, apporte le danger, défend et se sort de situations inconfortables avec une élégance peu commune. Son mot d’ordre, bien faire les choses et toujours avec classe. Il est d’ailleurs le joueur de Ligue 1 ayant réussi le plus de passes depuis le début de la saison (2062 au total), mais aussi celui qui a touché le plus de ballons (2695 au total), preuve de son omniprésence comme régulateur du jeu parisien.

En France, Marco Verratti fait l’unanimité. Avoir ce petit génie du ballon rond en Ligue 1 est une chance et le PSG sait qu’il est jalousé et convoité. Car se régaler devant un tel niveau de jeu est un privilège qu’il est un des seuls à offrir dans ce pays.

Loin des yeux, loin du cœur, l’Italie a oublié Verratti

Tandis que la cote de popularité de Marco Verratti a atteint son sommet après le match retour contre Chelsea, l’Italie peine encore à reconnaître le talent de celui qu’elle a laissé partir avec un soupçon d’inconscience et une pointe de dédain, car labellisé trop jeune. Cette jeunesse, cette tare à laquelle la relève italienne est confrontée à chaque échelle de la société, n’épargne pas les terrains de football. Et Verratti en a fait l’amère expérience.

"Aujourd’hui, Verratti est devenu titulaire dans un grand club et joue la Ligue des Champions. C’est ce que Paris lui avait promis. En Italie, personne n’a eu le courage de lui faire les mêmes promesses."
- Gianluigi Buffon -

Aujourd’hui, loin de l’Italie, le petit milieu de terrain s’épanouit. Dans son pays natal, ses performances sont à peine relevées. La Ligue 1 ne fait pas rêver et il faut attendre les grands matches de Ligue des champions pour trouver des traces d’enthousiasme dans la presse nationale. La question de la présence de Verratti comme titulaire de la Nazionale actuelle ne se pose même pas, sauf pour ceux qui ont le regard tourné chaque week-end vers le championnat de France. Il faut dire que Verratti cumule les handicaps, malgré un talent hors du commun.

Une incorporation tactique délicate

La concurrence est la première des explications d’un nombre de sélections tout relatif (10), alors qu’il boucle sa troisième saison comme titulaire au PSG et qu’il compte trois campagnes européennes en Ligue des champions, dont deux comme véritable protagoniste. C’est que Verratti évolue à un poste où la concurrence est démentielle. Idéalement, il est un « regista », un milieu devant la défense, bien que ce poste soit réservé à Thiago Motta à Paris. Mais en équipe d’Italie, deux indéboulonnables peuvent se partager ce rôle : Andrea Pirlo et Daniele De Rossi. Le premier joue devant la défense, culmine à 113 sélections, tandis que le second évolue à ses côtés, souvent dans un milieu à trois (avec Prandelli, puis Conte, du 4-3-1-2 au 3-5-2) et vient d’atteindre les 100 capes. Ils apportent expérience et confort à cette équipe, tout en sachant se montrer décisifs sur les phases offensives.

Le deuxième problème est tactique et lié à la volonté d’Antonio Conte d’avoir un milieu de terrain devant la défense et deux lieutenants mêlant muscles et répétition des efforts. À Turin, il pouvait compter sur Pogba, Vidal et Marchisio, pour deux places, et depuis sa nomination en juillet dernier à la tête de la Nazionale, l’entraîneur a aligné des joueurs aux capacités similaires : Marchisio (encore lui), Florenzi, Giaccherini et même Candreva, plus ailier que vrai milieu de terrain.

Le jeu de Conte est exigeant, il nécessite d’aller très vite vers le but adverse à la récupération du ballon, qu’elle soit effectuée en position haute après un pressing offensif, ou plus bas via un système de contre-attaques. Les milieux doivent également pouvoir combiner avec Pirlo et se montrer capables d’être à la finition des actions dans la surface. Et si Pogba aurait été l’homme idéal, le profil de Verratti ne correspond pas vraiment à ces aspirations. Une statistique l’illustre. Aussi génial soit-il, le milieu du PSG n’a inscrit que deux buts en 121 matches toutes compétitions confondues avec le PSG. Il ne se projette pas assez et n’accompagne pas les offensives de ses coéquipiers, préférant l’ombre à la lumière, la passe et la solution de repli au but et à la montée d’adrénaline.

"Marco n'est pas un grand (ndlr : joueur). C'est un très grand."
- Ibrahimovic -
“C'est un joueur différent, un 'fuoriclasse' qui peut jouer des deux pieds. Avec tout le respect que j'ai pour Pogba, pour moi, Marco est meilleur que lui."
- Thiago Motta -
"Il démontre qu'il est un joueur important. Il ne connait pas la pression."
- Bonucci -
"Je vous fais le pari que Verratti sera rarement dans le groupe des 18 Parisiens […] je ne sais pas de quelle manière il va progresser à Paris."
- Frédéric de Saint-Sernin -

Une ambition intacte

Marco Verratti aurait pu désespérer lorsqu’il a appris que le sélectionneur était allé repêcher Andrea Pirlo au début de son mandat, alors que celui-ci avait annoncé sa retraite à l’issue d’une Coupe du monde 2014 ratée. Mais le milieu parisien sait être patient. "Quand il y a Pirlo et De Rossi, il est normal pour eux de jouer, a-t-il expliqué cette semaine en conférence de presse. J’ai de grands champions en face de moi, je dois gagner ma place. Je vais essayer, mais ce ne sera pas une tragédie si je ne joue pas quand Pirlo reviendra."

Tandis que les deux titulaires indiscutables ont été laissés au repos pour le match des Éliminatoires de l’Euro 2016 en Bulgarie samedi et l’amical contre l’Angleterre mardi, Marco Verratti sait qu’il a une belle carte à jouer. Il doit impressionner le sélectionneur et se faire une réputation chez lui, alors que tous les éléments sont, cette fois-ci, en sa faveur. Antonio Conte, justement, tient en estime son petit milieu de terrain et l’a réaffirmé au début du rassemblement : "De Rossi et Pirlo sont deux joueurs solides qui peuvent encore beaucoup donner à cette sélection. Mais quelqu’un comme Verratti peut aussi avoir sa chance, il doit démontrer qu’il peut être le chef d’orchestre du milieu de terrain."

En France, la suprématie de Marco Verratti ne fait plus aucun doute. À seulement 22 ans, l’Italien n’est plus à ranger dans la catégorie des joueurs à fort potentiel, mais dans celle des grands joueurs. La France l’a vu devenir adulte et l’apprécie à sa juste valeur, malgré les réserves de quelques consultants aigris dont l’extraordinaire banalité de nombreux milieux de Ligue 1 sied plus à leur plaisir visuel.

En Italie, il est aujourd’hui à la croisée des chemins. Joueur de présent, mais barré par deux légendes, et joueur d’avenir pour les prochaines échéances de l’Italie, il doit profiter de cette quinzaine internationale pour montrer à Antonio Conte que son statut de futur Pirlo peut également se conjuguer au présent.

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