Raymond Domenech© Caroline Darcourt

ENTRETIEN - Raymond Domenech : "Il n'y a pas de vrai leader en équipe de France"

EXCLU GOAL - Avant l'annonce ce jeudi (14h00) de la liste de Didier Deschamps, la dernière avant celle pour la Coupe du monde, Raymond Domenech s'est assis à nos côtés pour analyser la situation de l'équipe de France, mettant à profit son expérience d'ancien sélectionneur des Bleus (2004-2010).

Deschamps : "Irrationnel de remettre en cause Griezmann"

D'après vous, que doit-on attendre de la liste de jeudi et est-ce encore le moment de faire des essais en vue de la Coupe du monde ?

Raymond Domenech : Les essais sont particuliers. Quand on fait cette liste, on essaye de prendre les joueurs qu'on aimerait emmener à la Coupe du monde. Du coup, on va encore débattre sur les 4 ou 5 joueurs qui ne joueront jamais. Si on se concentrait sur ceux qui vont jouer, ce serait bien. Je pense que Didier doit en avoir ras-le-bol qu'on lui dise qui va être le 22e ou le 23e. Comme moi, il doit se dire "prenez une feuille, écrivez votre liste et mettez une équipe avec vos remplaçants". Vous verrez que ce n'est pas aussi simple que ça. Ce qui compte, ce sont ceux qui jouent. Ceux qui ne joueront pas sont là pour une autre fonction. Il y en a 6 ou 7 qui sont là pour faire les entraînements, mettre l'ambiance, mais aussi une pression sur ceux qui jouent pour les responsabiliser sur leur comportement. Qu'ils s'appellent Dupond ou Durand, je dirai que les entraîneurs s'en foutent un petit peu.

L'article continue ci-dessous

À suivre votre raisonnement, Didier Deschamps devrait donc avoir son équipe type en tête...

Je vais même aller plus loin. Il doit, et il a. Il a en tête son équipe et un ou deux schémas au cas où il manque un élément. Il a une trâme. En 98, je me souviens, on connaissait l'équipe, à part peut-être l'attaquant qui changeait de temps en temps. En 2006, pareil, je ne me posais même pas la question. L'équipe, je la connaissais, tout le monde la connaissait. Il y avait des débats sur la liste, mais pas sur l'équipe. Quand on a ça en tête, c'est déjà la moitié du travail qui est fait, et bien fait.


"Il n'y aura que des joueurs qu'on a déjà vus"


Il y a quand même quelques interrogations. Devant, par exemple, on ne sait pas vraiment qui accompagnera le trio Giroud, Griezmann, Mbappé...

C'est une bonne manière de poser la question. On ne sait pas qui accompagnera, justement. C'est l'accompagnant, ce n'est pas celui qui compte. Qu'il s'appelle Coman, Dembélé, Sissoko ou un autre, c'est à Didier de décider en fonction de l'idée qu'il a de son groupe, qui va devoir vivre ensemble pendant un mois et demi. Ce qui compte, c'est ce qu'il a en tête. Je n'ai pas de conseils à lui donner. Je peux avoir un avis là-dessus, mais je vais le garder pour moi. Lui choisira, et ce sera le bon choix.

Pouvez-vous nous expliquer comment Didier Deschamps pourrait éventuellement mener sa rélexion ?

Un sélectionneur fait avec ce qu'il peut faire. S'imaginer qu'on aurait pu faire autrement, on laisse ça aux journalistes. Les entraîneurs sont concrets. J'ai tel joueur, je peux le prendre, je le prends. Je ne l'ai pas, je ne le prends pas. On est basique.

PS Raymond Domenech

Vous parliez du 22e ou 23e, pensez-vous qu'un invité surprise pourrait faire ses premiers pas en Bleu, peut-être même dès jeudi ?

J'ai beau chercher, je ne vois pas. Peut-être sur les latéraux, où on ne sait pas ce qui va se passer, mais s'il change quelque chose, ce sera avec quelqu'un dont on a parlé. Aujourd'hui, je ne vois pas un joueur, même un jeune dominant, capable d'arriver tout d'un coup en équipe de France. Pour qu'il y ait une surprise, il faudrait éventuellement une projection d'avenir, mais nous, les sélectionneurs, on n'est pas dans cette optique. Il faut être performant. Pour moi, il n'y aura que des joueurs qu'on a déjà vus.


"Un patron, ça ne s'invente pas"


Au-delà des choix au sens large, on a souvent dit que cette équipe de France n'avait pas un, mais plusieurs leaders. Est-ce un problème ?

C'est un petit peu le débat en ce moment. Au début, c'est sûr que c'était un problème. Maintenant, je pense que quelques joueurs ont pris un peu de bouteille et peuvent s'imposer. Pour autant, on parle de l'équipe de Platini, de celle de Kopa, de celle de Zidane... Et là, on dit quoi ? Celle de Griezmann, celle de Pogba. On cherche, ce n'est pas clair, et c'est ce qui manque.

Du coup, on veut des noms. Qui pour vous pourrait prendre ce leadership ?

Personne. Il n'y a pas de vrai patron, de vrai leader. Sur le terrain, il y a des leaders techniques. Griezmann, de temps en temps. En plus en ce moment, il est en forme, mais il n'y a pas de vrai patron, de joueur sur lequel se reposer, qui va gérer les problèmes, qui va gérer la vie tout autour, donner la direction et imposer l'image de son équipe. Il n'y en a pas un seul, mais plusieurs. Ils ont tous des petits bouts, un petit rôle. Je dirai que c'est ce qui manque à cette équipe pour passer un cap et être certaine d'atteindre les demi-finales ou d'être finaliste. Nos joueurs ont les capacités pour, mais ça dépendra aussi du match décisif, des équipes qu'on pourra affronter. Au pire, on peut défier l'Argentine en huitièmes, et là on ne sait pas ce qui peut se passer. C'est aussi ça qui compte dans une Coupe du monde.

La liste de jeudi peut-elle servir à révéler un patron ?

Non, cette liste ne pourra pas servir à ça. Un patron, ça ne s'invente pas.

LE POKER ET RAYMOND DOMENECH

Cette interview a été réalisée en marge de la finale du Winamax Poker Tour, disputée à Paris du 1er au 6 mars. Invité à y participer, Raymond Domenech nous a accordé quelques mots sur sa passion pour le poker. "Je joue pour le plaisir. Ce que j'aime, c'est l'ambiance des tables de poker. J'adore les jeux de cartes et l'ambiance qu'il y a autour", nous a confié l'ancien sélectionneur des Bleus. Suffisant pour le revoir dans d'autres tournois ? "Si j'ai du temps et que je suis disponible, peut-être, mais je suis surtout là pour le plaisir de jouer entre copains, un peu comme un footballeur du dimanche qui viendrait transpirer, s'amuser, le temps d'un match."

Propos recueillis par Benjamin Quarez

Publicité