22f0e843f4cb74e0d29702fb400391353e5b8d9f

ENTRETIEN - Dragan Stojkovic : "Pour aller loin dans un Mondial, il faut aussi de la réussite"

Il y a vingt-huit ans, lors de la Coupe du Monde 1990 en Italie, la Yougoslavie ébahissait la planète avec un jeu séduisant et enthousiasmant. Le grand artisan de ce remarquable parcours, stoppé en quarts, était Dragan Stojkovic, alias "Piksi". Ce virtuose du ballon rond était alors en pleine force de l'âge (25 ans) et dans la meilleure période de sa carrière de joueur. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui, c'est un coach expérimenté, qui partage et inculque son savoir-faire depuis presque une décennie sur le continent asiatique (au Japon et en Chine).

La Yougoslavie n'existe plus et pour le Mondial russe c'est la Serbie et la Croatie qui représentent cette région. Stojkovic est serbe, et il va donc suivre avec une grande attention les sorties de la sélection de Mladen Krstajic. Il le fait en tant que supporter numéro un, et avec l'espoir que cette équipe puisse faire revivre à son peuple une partie des émotions vécues au siècle dernier. Dans un long entretien à  Goal, l'ancien meneur de jeu jete donc un pont entre l'édition 90 du Mondial et celle de 2018. Et, il revient aussi sur son passage à l'Olympique de Marseille, fait de beaucoup de joie et aussi de quelques déceptions.


"Marseille était et reste toujours la capitale du football français"


Vous êtes en Asie depuis presque dix ans. Travailler sur ce continent vous plait particulièrement, ou est-ce simplement une question d'opportunités ?

Dragan Stojkovic : Moi, personnellement, je suis très content. Parce que j'ai reçu une opportunité de travailler ici en Chine. Où je trouve que le football progresse très vite, surtout les derniers trois ans. Il y a eu beaucoup d'investissements, et de grands joueurs qui ont signé des contrats ici. C'est vraiment un grand challenge pour moi que d'essayer de faire quelque chose d'intéressant. Je suis d'autant plus content que les gens ici disent que nous sommes l'équipe qui joue le meilleur football. Cela veut dire qu'on travaille et qu'on fait quelque chose d'important. Avant la Chine, j'étais au Japon. Pendant six ans, j'ai coaché Nagoya. Travailler en Asie me plait beaucoup. 

L'article continue ci-dessous
22f0e843f4cb74e0d29702fb400391353e5b8d9f

Y a-t-il une chance pour qu'on vous voit un jour à la tête d'un club européen ? Eventuellement l'OM, votre ancien club ?

C'est possible, bien sûr. Dans notre métier, il y a toujours cette possibilité, mais c'est très difficile de dire quand. J'ai eu des opportunités de parler avec des clubs anglais, français et belges notamment. Mais on n'a pas trouvé d'accord. Et lorsque l'offre de Guangzhou est arrivée, j'ai accepté. Mais bien sûr, peut-être qu'un jour je reviendrai en Europe. Si un club a besoin de jouer au vrai football, je suis là (rires).

Quels souvenirs gardez-vous de votre passage à Marseille comme joueur ?

Pour moi, Marseille était et reste toujours la capitale du football français. Il y a une histoire extraordinaire. En plus, les supporters sont très chauds et sont toujours derrière le club. Marseille, c'est une ville de football. C'est incontestable. À cette époque-là, Bernard Tapie, le président du club, m'avait choisi comme le meneur de jeu de l'équipe. J'ai accepté et j'ai alors choisi l'équipe la plus forte en Europe à ce moment-là, à mon avis. Je sortais de la Coupe du Monde en Italie. Je me souviens qu'en même temps j'avais reçu des offres de la Juventus, du Barça et du Real. Mais ce que j'ai trouvé à Marseille, c'est une équipe qui était faite pour gagner la Ligue des Champions. C'est pour cette raison et pour le fait que Marseille était une ville de football que j'ai choisi cette destination. Et pour ce qui est des souvenirs, je me dis surtout que je n'ai pas donné mon potentiel à 100% car j'ai eu une blessure très grave au cartilage du genou. Mais bon, l'OM est toujours dans mon cœur. Et je suis toujours très fan de ce club, même aujourd'hui. Enfin, je ne peux pas oublier les deux finales de C1. On a perdu en 1991 contre l'Etoile Rouge à Bari. Malheureusement, j'étais sur le banc de touche. Je n'ai joué que 8 minutes en prolongations. Et deux ans après, on a gagné contre l'AC Milan à Munich. Mais vu que j'étais blessé, je n'étais pas dans l'équipe.

Un titre de champion d'Europe en 1991 aurait-il changé votre destin sur le plan personnel ? Peut-être qu'avec ce statut, vous auriez alors connu une autre grande aventure en Europe.

Par rapport à l'Europe, oui peut-être. Mais après l'affaire de VA-OM de 1993, Marseille a été lourdement puni par l'UEFA. On a dû jouer deux ans en deuxième division. En même temps, moi j'ai reçu une offre de Nagoya pour jouer en J-League. C'était bien pour tout le monde, car tous les joueurs étaient partis pratiquement.

Quand vous quittez l'Europe pour le Japon, vous n'avez que 29 ans. Si c'était à refaire, le referiez-vous ?

Je savais la décision que je prenais. Moi, je ne voulais pas jouer en Ligue 2, et jouer dans un autre club français de l'élite, cela ne m'intéressait pas. Et comme j'avais une blessure grave, une longue indisponibilité et beaucoup de temps de récupération, aller ailleurs en Europe c'était compliqué. J'ai choisi d'aller au Japon. Mais la décision était la bonne. Parce que tout ce que j'ai fait là-bas, c'était formidable et extraordinaire. Je pouvais faire la même chose en Europe, mais le cartilage du genou m'a tué. Mais une carrière c'est comme ça. Au Japon, je suis devenu une légende. J'ai même été désigné meilleur joueur du siècle. Malgré toutes les grandes stars qui étaient là-bas c'est moi qui était le numéro 1. Cela veut dire que j'étais vraiment quelqu'un qui savait très bien jouer au football. Les blessures ont fait que j'ai atterri là-bas, mais en sept ans passés au Japon comme joueur, j'ai donc gagné plein de choses. Tout ça veut dire que mon choix était bon.

51382aaf54957610a46bf7b370b52eecb7373665

"Le tir au but contre l'Argentine, j'étais pourtant sûr à 100% que j'allais le mettre"


Vous avez joué deux Coupes du Monde. Comment les évaluez-vous, sur le plan collectif et aussi individuel ?

En 1990, c'était une très belle Coupe du Monde. À cette époque-là, la Yougoslavie était une équipe très forte. Une sélection qui s'est arrêtée aux portes des demi-finales. On avait un mélange extraordinaire entre joueurs expérimentés et d'autres plus jeunes. On a joué un football très intéressant. Malheureusement, on a perdu aux penalties contre l'Argentine en quarts. Pour moi, cette Coupe du Monde, elle reste très spéciale. Il y a eu notamment le match contre l'Espagne à Vérone où je marque deux buts extraordinaires. C'est inoubliable.

Ce match contre l'Espagne justement, est-ce le meilleur de votre carrière ?

Non, ce n'est pas le meilleur, mais c'était un très bon match. Je pense que contre l'Argentine, en quarts de finale, j'ai joué beaucoup mieux que face à l'Espagne. Mais on n'a pas eu de réussite.

Pensiez-vous qu'en 1990, la Yougoslavie avait les armes pour aller au bout et remporter le titre ?

C'est difficile de dire ce qu'on aurait pu faire si on avait écarté l'Argentine. Mais c'est vrai qu'au fil des matches, durant cette rencontre, on était de plus en plus forts. Et on a joué avec une confiance extraordinaire. Le talent technique et tout. On méritait de battre l'Argentine. Eux, ils ont eu une chance énorme. Et il ne faut pas oublier qu'on a joué à dix contre onze. On a eu un joueur expulsé après trente minutes de jeu. Malgré ça, on a fini à 0-0 et en ratant beaucoup d'occasions. C'est vrai que si on était passé, à partir des demi-finales tout est possible. Est-ce qu'on aurait pu gagner cette Coupe du Monde ? C'est difficile à dire. Mais on était proches d'aller au bout. Cela dit, pour aller en finale, il faut de la qualité, mais aussi de la réussite. C'est très important dans ce genre de compétition. Et nous, on n'en a pas eues.

Le tir au but raté contre l'Argentine, vous y pensez encore ? Il vous arrive de vous dire "Et si…" 

Non, je ne me dis pas ça. J'étais toujours le premier à tirer lors des séries des tirs au but. J'ai pris le ballon, et au moment de tirer, j'ai fait une feinte avec le corps. À ce moment-là, j'ai vu duquel côté était parti Goicochea. Et je l'ai vu partir à gauche. J'ai changé la direction de mon pied. Et j'étais certain à 200% que j'allais marquer. Mais pour quelle raison le ballon a touché la transversale ? C'est difficile à expliquer. Mais, juste après moi, il y a Diego Maradona qui rate le sien. Je me dis à ce moment-là que si Maradona a aussi raté, alors ça va. Mais, à la fin, on a malheureusement loupé trois tirs au but et c'était trop pour espérer passer. C'est pour ça qu'on a perdu. À la fin, j'étais très triste car on a loupé une grosse occasion d'atteindre les demies. On a fini à la cinquième place de cette compétition. Ça reste un super résultat. On a bien représenté le football yougoslave. À la fin, tous les grands numéros 10 ont raté des penalties. Il y a eu Michel Platini, Roberto Baggio, Zico, Maradona et... moi (rires).

Et le Mondial 1998 ?

C'était en France, c'était pratiquement chez moi, même si j'étais au Japon depuis trois ans. Mais ce tournoi survient presque à la fin de ma carrière internationale. J'avais 34 ans environ. On a aussi franchi le premier tour. En 8es de finale contre les Pays-Bas, on a manqué de chance aussi. On loupe un pénalty par l'intermédiaire de Mijatovic. Et on s'incline ensuite sur une réalisation tardive d'Edgar Davids. On ne méritait pas de perdre cette rencontre. Mais voilà, on s'est fait éliminer. Ça reste quand même de bons souvenirs.

Si on vous dit que votre plus beau but, vous l'avez marqué en tant qu'entraineur et non en tant que joueur (ndlr, en 2009, il a trouvé le chemin des filets sur une volée de l'extérieur du terrain ). Vous seriez d'accord ?

Ah oui, ça c'est vraiment… En 2009, à Yokohama. C'était quelque chose d'extraordinaire. Inoubliable. Je suis l'unique entraineur à avoir marqué un but, et qui plus est de 70 mètres. Et ce qui est le plus impressionnant, c'est que je le frappe de volée. C'est difficile d'expliquer ce qui s'est passé. 

453e17e5e7ebeeb044dd2c29a8834db4782730d3

"Pour la Serbie, une qualification pour les 8es, ça sera le minimum"


Parlons de la sélection serbe actuelle, comment évaluez-vous ses chances de briller lors de la Coupe du Monde ? Jusqu'où peut-elle aller ?

Comme on a eu beaucoup de problèmes lors des huit dernières années. Par rapport à la sélection nationale et les non-participations à la Coupe du Monde et à l'Euro, la qualification pour la phase finale du Mondial russe c'était la priorité. Et cette sélection a réussi à se qualifier. C'était très important pour le football serbe, la fédération et les gens qui attendaient ce résultat. Maintenant, nous sommes dans un groupe où le Brésil est le favori numéro un. Mais avec la Suisse et le Costa-Rica, je pense qu'on peut se battre pour la deuxième place. Ce que j'attends ? Comme tout le monde en Serbie, une qualification pour les 8es de finale au minimum. Ça sera déjà un bon résultat pour nous. Face aux Suisses et Costaricains, c'est jouable. 

Aujourd'hui, la sélection est dirigée par Mladen Krstajic, un jeune coach. Il a été nommé en fin d'année dernière, en remplacement de Savo Muslin. Mais votre nom a alors circulé. Est-ce vrai que vous avez alors eu la possibilité de prendre en main cette sélection ?

C'est vrai. Mais comme je suis à Guangzhou et que j'ai signé un contrat ici, c'est difficile de faire deux choses à la fois. Je suis concentré sur mon travail au quotidien ici. Il y avait alors l'opportunité de la prendre sélection juste pour deux mois et la qualifier pour le Mondial, mais j'ai trouvé que ce n'était pas très sérieux. Parce que si je suis occupé dans un endroit, je dois être essentiellement concentré sur cette tâche. Vu que j'étais lié à Guangzhou, c'était donc impossible. 

La fédération serbe ne vous proposait donc que deux mois ?

Non, ce n'est pas ça. On a parlé de plein de choses et quand ils ont vu mon contrat et le fait que j'étais engagé ailleurs, ils ont tenté de trouver une solution intermédiaire. Mais, cela ne m'arrangeait pas. Et pour ce qui est de Mladen Krstajic, c'est mon ami et il a joué avec moi en sélection. C'est un ancien joueur et qui a du vécu. C'est vrai que comme entraineur c'est un peu difficile. Mais c'est le choix de la Fédération. Je pense qu'il va faire de bonnes choses. 

Vous avez été capitaine de la Serbie comme joueur. En devenir le sélectionneur, est-ce un objectif ? 

Pour le moment, je pense juste à Guangzhou. J'ai un contrat de quatre ans ici et toute mon attention est dirigée vers ce club. Après, dans le futur, tout est possible bien sûr. On verra.

Propos recueillis par Naïm Beneddra

Publicité