Marco Reus Michy Batshuayi Borussia DortmundGetty Images

ENTRETIEN - Dortmund, Marco Reus : "Les blessures sont des défis pour moi"

Marco, vous avez rejoint le centre de formation du Borussia Dortmund à seulement six ans. Comment décririez-vous votre relation avec le club après 15 ans de vie commune ?

Marco Reus : Je suis né à Dortmund et j'ai grandi ici, c'est donc automatiquement que je suis devenu jaune et noir. J'ai joué ici pendant de nombreuses années durant ma jeunesse. Mais, au début, je n'ai pas eu la chance d'entamer ma carrière professionnelle au BVB. Ce qui était mon rêve. J'ai donc dû aller m'aguerrir et progresser à Rot Weiss Ahlen et au Borussia Mönchengladbach comme je l'avais imaginé et souhaité. Et ensuite il y a eu l'offre de Dortmund. Ça a toujours été un rêve de jouer pour le club parce que je me sens très connecté avec les fans. Cela me procure beaucoup de plaisir de jouer dans notre stade et en particulier de célébrer les victoires avec les fans. C'est un rêve d'enfance qui est devenu réalité pour moi.

La prolongation de contrat que vous avez paraphée jusqu'en 2023 n'est donc que la suite logique des choses… 

Dire "logique" serait trop simple. J'ai aujourd'hui 28 ans, c'est probablement mon dernier gros contrat. J'ai donc examiné attentivement ce que je veux au cours des cinq ou six dernières années au plus haut niveau. En fin de compte, deux choses étaient importantes pour moi : montrer que je me sens attaché à ce club et que je veux encore réaliser beaucoup de choses ici. Et je voulais aussi être moi-même fixé avant la phase cruciale et cette bataille finale pour les places qualificatives pour la Ligue des Champions. Et aussi, bien sûr, la Coupe du Monde en Russie qui se profile.

Les joueurs qui jouent toute leur carrière dans un club comme l'a fait Francesco Totti sont de plus en plus rares. Le statut de légende qu'on leur associe vous plait-il ?

Que signifie le statut de légende ? Je n'emploie que très rarement ce terme. Tout le monde fait ce qu'il pense être le meilleur et veut tirer le meilleur parti de sa carrière. C'est bien sûr sensationnel et aussi un bon signe pour les fans et le club quand vous êtes dans un club aussi longtemps que Totti ne l'a été à la Roma. Mais, en principe, tout le monde doit décider pour soi-même.

Y a-t-il une expérience particulière lorsque vous étiez tout jeune qui a fait que vous vous êtes senti connecté à ce club ?

Je me souviens encore quand l'équipe de Dortmund 1997 a présenté son trophée de la Ligue des Champions dans le stade. C'était extrêmement émouvant. Pour la première fois, je me suis rendu compte à quel point tout est grand ici et quel genre d'émotions ces situations provoquent. C'est probablement le moment où j'ai réalisé l'importance et le statut du club.

Tomas Rosicky est votre joueur favori. Il a rejoint le BVB en janvier 2001 et est très vite devenu le chouchou des fans. Qu'est-ce qui vous a fasciné chez lui ?

La façon dont il jouait au football, l'insouciance et la légèreté de ses actions. J'ai aimé le regarder jouer. Malheureusement, je ne l'ai pas rencontré personnellement, mais on m'a dit que Tomas avait aussi un très bon caractère. C'était toujours agréable de le voir sur le terrain, avec sa classe et ses talents de buteur.

Comme l'était Rosicky à l'époque, vous êtes maintenant l'idole de beaucoup de fans de Borussia. Comment vivez-vous avec ça ?

Pour moi, l'essentiel est de prendre du plaisir en jouant. Je suis conscient de ma responsabilité. C'est au fil des ans qu'on apprend à gérer tout cela. Vous ne pouvez pas faire cela à l'âge de 22 ou 23 ans, mais c'est à l'âge de 26 ou 27 ans... c'est à ce moment que vous comprenez ce que vous devez défendre. 

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2017 fut une année très agitée pour Dortmund : il y a eu les départs d'Ousmane Dembele et de Pierre-Emerick Aubameyang. Il y a eu un court intérim de Peter Bosz, et aussi  l'attentat perpétré contre l'équipe. Comment avez-vous vécu cette année ?

Nous avons aussi gagné la Coupe d'Allemagne, que vous venez d'oublier dans votre liste.  Mais ce n'est pas un reproche. Vous suivez la tendance actuelle. Malheureusement, la société d'aujourd'hui a évolué dans cette direction, voyant souvent le négatif d'abord, les difficultés, les problèmes. Nous devrions tous voir comment aborder les choses de manière positive. C'est l'une des raisons pour lesquelles, en tant que joueur de football, nous nous devons d'être des modèles pour les enfants. Des enfants qui ne comprennent peut-être pas encore certaines choses.

Dix mois après, comment l'équipe gère-t-elle l'attaque dont elle a été victime ?

Je n'étais pas dans le bus, donc je ne peux pas comprendre ce que mes coéquipiers ont vécu. Quoi qu'il en soit, tout le monde doit trouver sa façon individuelle de faire face à cette terrible expérience. Quelque chose comme ça vous frappe toute une vie. Il y a également eu des situations où beaucoup ont été effrayés quand il y avait un bruit fort. Il est tout à fait normal qu'une telle expérience ne se digère pas du jour au lendemain, ni en l'espace de quelques mois. Vous ne pouvez pas tout simplement revenir à la normalité. Cela prend du temps. Mais le club a fait les choses correctement et a offert par exemple une aide extérieure. Une aide que chaque personne pouvait et peut encore solliciter.

Dans un domaine un peu différent, les blessures à répétition peuvent aussi constituer un fardeau psychologique. Vous êtes malheureusement habitué aux pépins physiques. Comment arrivez-vous à revenir ?

J'ai une question pour vous contrer : quelle est l'alternative ? Bien sûr, j'ai dû accepter de nombreux coups durs, mais je ne pouvais pas dire : 'bon, je suis de nouveau blessé maintenant, je vais arrêter.' Ce n'est pas comme si je n'avais plus l'envie de pratiquer ce sport que j'aime tant et qui me procure tellement de plaisir tous les jours. En ce sens, c'est vraiment facile. Vous devez vous motiver mentalement. La patience est nécessaire. Vous devez vous dire : d'accord, maintenant c'est comme ça, il faut juste faire avec. Il y a des choses bien pires dans la vie. C'est pourquoi les blessures sont des défis pour moi.

Mais ces blessures ne sont pas stressantes à force ?

Elles l'étaient par le passé, et ça m'a influencé. Mais aujourd'hui, il est encore plus facile pour moi de gérer certaines choses. Beaucoup de choses ne me pèsent pas comme elles l'ont fait par le passé. Je prends plus de plaisir en jouant au football maintenant. Avoir acquis ça est un facteur important.

Est-ce la plus grande leçon que vous avez tirée des nombreuses blessures ?

Oui, je pense. Normalement, au cours d'une carrière, il n'y a pas que des hauts, sauf peut-être pour Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, mais la stagnation ou même les mauvaises passes sont également des phases qu'on connaît. Ensuite, il est important de réaliser que c'est comme ça et que ce n'est pas un problème. Les blessures font partie de la carrière d'un footballeur. Chacun raisonne comme il veut, mais il est très important que vous soyez équilibré dans votre esprit. Vous ne devriez pas simplement dire : je dois aimer le football maintenant. Vous devriez vraiment apprécier le football.

On remarque que vous êtes toujours revenu à un très haut niveau. Est-ce que, en comparaison avec d'autres joueurs, vous prenez le temps qu'il faut pour revenir ?

Il y a une chose sur laquelle vous pouvez me croire : quand il y a un arrêt de sept, huit mois, vous ne voulez pas attendre plus longtemps. D'un autre côté, quand vous êtes absent si longtemps, vous devez garder à l'esprit que le corps, et dans mon cas le genou, a changé suite à l'opération. Il faut un certain temps pour retrouver votre rythme - non seulement lors des matches, mais aussi à l'entraînement. Il était aussi crucial que je n'ai pas connu de rechutes durant les phases de réhabilitation. Je fonctionnais donc avec l'idée suivante : je me sens bien, tout va bien, allons-y.

Et maintenant vous êtes à nouveau un leader qui tire l'équipe vers le haut et donne une ambiance positive au sein du club…

Merci. C’est sympa si vous le croyez. Pour moi, il ne s'agit pas seulement de marquer des buts ou de fournir des passes décisives. C’est également important pour moi de progresser de match en match. Même si je suis revenu assez bien maintenant, je sais que j'ai encore beaucoup à prouver. Actuellement, il m'est difficile de jouer 90 minutes. C'est tout à fait normal, parce que j'ai joué beaucoup de matches après mon retour et on doit se rendre compte que j’ai été écarté des terrains pendant huit mois. C'est pourquoi il faudra certainement encore quelques mois avant que je ne revienne à 100%. Néanmoins, je suis détendu sur ce point. Je suis heureux de pouvoir aider l'équipe directement. Tout le reste, en-dehors des succès de l’équipe, est secondaire de toute façon.

D'une part, vous êtes toujours invaincu en Bundesliga avec Peter Stöger. D’autre part, il y a des critiques sur la façon de jouer. Où se situe la vérité ?

Nous pouvons tous imaginer quelque chose de différent à propos de notre jeu, qui résulte de l'histoire de ces dernières années (il fait référence au jeu déployé sous Klopp et Tuchel, ndlr), et ensuite cela devient une norme dans l'esprit des gens. Mais vous devez également voir que chaque entraîneur a sa propre philosophie qu'il doit d'abord enseigner à l'équipe. Peter Stöger n'est pas là depuis longtemps et il faudra encore quelques matches pour que son idée soit complètement intériorisée. Marco Reus Michy Batshuayi Borussia DortmundGetty Images

En dehors de la patience, d'autres facteurs jouent également un rôle ?

Certainement. Il y a eu beaucoup de changements surtout en attaque et nous avons aussi eu de gros problèmes de blessures. Nous pouvions à peine nous habituer les uns aux autres qu'une blessure arrivait. Nous devons juste continuer à travailler sur nous-mêmes. Il est important de continuer à jouer pendant plus de 90 minutes. Cela viendra, je n'ai aucun doute à ce sujet.

Vous êtes amis avec Mario Götze et André Schürrle. Depuis quelques semaines vous évoluez enfin tous les trois dans le onze de départ...

Cela nous rend vraiment heureux. Nous sourions quand nous pensions que nous étions ensemble depuis presque deux ans, mais que nous n'avions jamais été capables d’évoluer en simultané pendant plusieurs rencontres. Je suis content de voir que nous pouvons maintenant tous être sur le terrain et prouver nos capacités. Mais là encore, on a besoin d'un peu de temps. Ce n'est pas parce que nous nous apprécions hors du terrain que nous cela va s’harmoniser très vite en match. Je pense que ça ira mieux, étape par étape.

Schürrle a eu un départ difficile après son transfert à Dortmund et était déjà considéré comme un flop, maintenant il est célébré par les supporters avec des chants à son nom...

C'est vraiment important pour lui. Il ne faut pas oublier qu'il a aussi été absent pendant quelques mois. Des joueurs comme Mario (Götze), Schü ou moi-même avons besoin de rythme pour vraiment performer. Bien sûr, avec le calendrier serré, les nombreux matchs et les quelques séances d'entraînement, ce n'est pas facile. Mais cela fait partie du jeu, nous devons être capables de gérer cela, ce n'est pas un problème. Avec Peter Stöger, Schürrle a eu la chance de trouver son rythme. Ensuite, vous avez également vu que c’est un grand footballeur. Il est important pour l'équipe. Et je suis presque sûr qu'il sera encore meilleur.

Quels objectifs poursuivez-vous cette saison ?

Fondamentalement, l'accent est mis sur la qualification pour la Ligue des Champions. C'est notre grand objectif, que nous devons atteindre, coûte que coûte. Nous nous devons d’être dans cette compétition et nous devons le prouver maintenant. Pour moi personnellement, bien sûr, un grand objectif rester de jouer la Coupe du Monde en Russie.

Surtout parce que vous avez manqué les deux derniers grands tournois (Coupe du Monde 2014 et Euro 2016) ?

C'est du passé, je ne peux plus le changer. Je ne suis pas non plus quelqu’un qui me projette si loin vers l’avenir. Les choses peuvent changer tous les jours, quelque chose peut arriver à n’importe quel moment. Si tout se passe bien et que je montre ma valeur, je pense que j'ai une bonne chance d'y participer.

Vous êtes perçu par le sélectionneur national comme un joueur capable de faire la différence…

Bien sûr. Il est bon et important d'avoir le soutien du sélectionneur et du club, même si je suis resté si longtemps sur la touche. Cela n’est pas évident de revenir si bien après avoir été blessé pendant si longtemps. Cela sera peut-être aussi différent avec des moments où je serai moins bien, mais maintenant, j’aime juste apprécier le fait de rester sur le terrain après une si longue absence.

Propos recueillis par Niklas König

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