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ENTRETIEN - Bora Milutinovic : "Toutes mes expériences en Coupe du Monde ont été satisfaisantes"

Sa dernière expérience comme entraîneur date d'il y a neuf ans déjà. Et ses principaux faits d'armes remontent surtout au siècle dernier. Mais, Velibor Milutinovic reste une référence. Un grand technicien, dont le nom est irrémédiablement associé à la Coupe du Monde. Et pour cause ; avec le Brésilien Carlos Alberto Parreira, il est le coach qui a dirigé le plus de sélections dans cette prestigieuse compétition (5). Et, aujourd'hui encore, il détient le record de participations en huitièmes de finale de l'épreuve reine (4).

À soixante-treize ans, celui que l'on surnomme Bora, n'a pas encore complètement pris sa retraite. S'il ne sillonne plus les terrains de football, il reste impliqué dans ce sport, en tant que conseiller au sein de la fédération qatarie. Dans un long entretien accordé à Goal, il nous a parlé de son quotidien. Et, il est aussi et surtout revenu sur ses différentes expériences comme sélectionneur, vécues dans huit pays et quatre continents différents. Avec beaucoup de sincérité, une dose de nostalgie et la bonne humeur et l'énergie qui l'ont toujours caractérisé, Milutinovic a remonté le temps et ressassé ses souvenirs de Coupe du Monde.

Comment allez-vous aujourd'hui ? Dites-nous ce que vous faites en ce moment ?

Je travaille toujours car le football, c'est toute ma vie. Je suis installé au Qatar. Je suis ambassadeur pour la Coupe du Monde 2022. Je suis aussi conseiller du président de la fédération. Je reste donc actif. J'essaye aussi de partager mon expérience du haut niveau, des Coupes du Monde que j'ai connues.

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Le métier d'entraîneur, c'est fini pour vous ?

Non, il ne faut jamais dire que c'est fini. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Je continue de suivre le football. Je continue de travailler. Et je suis les équipes que j'apprécie. Par exemple, pour le Mondial qui arrive je vais garder un œil très particulier sur les sélections mexicaine, costaricaine et nigériane. Celles que j'ai dirigées.

Bora Milutinovic

"Un entraineur doit savoir s'adapter à n'importe quelle époque"


La compétition, les matches, l'atmosphère d'un grand tournoi, cela ne vous manque pas ? Nous avons l'impression que cela a été votre moteur durant votre longue carrière ?

Bien sûr, mais c'est bien aussi d'être conscient qu'on n'a peut-être plus le niveau d'avant. Je ne suis plus entraineur ou sélectionneur d'une équipe, mais il y a d'autres choses qui sont intéressantes pour moi. Je suis bien content de ce que je fais aujourd'hui, voir les matches de loin et pouvoir partager mon expérience avec les gens qui m'ont fait confiance.

Vous avez fait cinq Coupes du Monde comme entraineur. La dernière c'est en 2002 avec la Chine. Avez-vous été tenté par une sixième ? Et est-ce que vous avez eu une opportunité concrète ?

Ça ne sert à rien de parler des choses qui ne se sont pas produites. Je suis très heureux d'avoir participé à cinq Coupes du Monde, et avoir passé quasiment à chaque fois le premier tour. C'est ce qui est important à mes yeux. Et puis, il faut savoir rester mesuré et ne pas exagérer : avec cinq Coupes du Monde, je suis déjà très bien placé (rires).

La majorité de votre carrière de coach, c'était à la fin du 20e siècle. Mais auriez-vous aimé être entraîneur aujourd'hui ?

Je pense qu'il est nécessaire pour un entraîneur de pouvoir s'adapter à n'importe quel contexte. C'est inutile de mettre en avant une époque au détriment d'une autre. On doit toujours trouver une manière de transmettre notre expérience et de travailler avec de jeunes joueurs. Moi, je suis bien content, parce que j'ai eu la chance de commencer en 1983 avec le Mexique pour ensuite poursuivre avec le Costa-Rica, les Etats-Unis et la Chine. On s'adapte à chaque époque. Parce que c'est ce que veut le football. Et personnellement, le fait d'être issu de l'école yougoslave et du Partizan Belgrade m'a aidé afin de toujours partager mon vécu et de le faire de la meilleure façon qui soit, comme joueur ou comme entraîneur.

De toutes vos expériences comme sélectionneur, qu'est-ce que vous en avez tiré de positif en tant que coach, mais aussi en tant que personne ?

J'en ai tiré beaucoup de choses positives, et surtout beaucoup de fierté. J'ai été, par exemple, le premier entraîneur étranger à avoir coaché le Mexique. Et cette sélection mexicaine est entrée dans l'histoire en atteignant les quarts de finale de son Mondial. On a même terminé sixième de l'épreuve. Et ce qui m'a le plus plu de cette expérience c'est qu'au sein de cette équipe, il y avait huit joueurs que j'avais moi-même lancés en pro au sein de l'équipe des Pumas. Dont sept titulaires. J'ai été un entraîneur chanceux. Et ça, c'est une satisfaction énorme. Et après il y a eu le Costa-Rica, une petite nation, qui n'avait pas beaucoup d'expérience, mais qui a fait un parcours extraordinaire au Mondial 1990. On a notamment battu l'Ecosse et la Suède. J'ai poursuivi après avec les Etats-Unis, avec qui on a signé un grand exploit contre la Colombie lors du Mondial à domicile. Puis, il y a eu le Nigéria et cette première place du groupe acquise au Mondial 1998. Il y a énormément de satisfactions. En fait, tout n'est que satisfaction.

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"J'étais comme un voyageur sur un bâteau"


Vous avez été entraîneur sur quatre continents différents. Y avait-il ce besoin chez vous de découvrir à chaque fois une nouvelle culture ? Nous avons l'impression qu'au-delà des challenges qu'il y avait, c'était aussi votre motivation : découvrir constamment un nouvel horizon.

On peut analyser ça comme ça. Mais, vous savez, quand vous exercez et que vous avez des opportunités d'aller dans tel ou tel endroit, vous ne raisonnez pas comme ça. Ce qui est sûr c'est que c'est très enrichissant de découvrir à chaque fois un nouveau monde. J'étais comme un voyageur sur un bateau. Je suis allé à gauche, à droite, à la découverte de nombreux continents. C'était extraordinaire. Il y avait à chaque fois un nouveau challenge, et la possibilité de connaître un nouvel endroit. Et partager constamment tout mon vécu. Et je suis, en outre, bien content d'avoir pu à chaque fois parfaitement m'adapter à tous les pays.

Des cinq Coupes du Monde que vous avez jouées, quelle est celle que vous avez le plus appréciée ? Laquelle a été la plus réussie ?

Toutes. C'était à chaque fois de grandes réussites. Si on n'analyse que les résultats, c'est sûr que c'est le Mexique. Mais, en même temps, je ne peux pas ignorer ce que j'ai fait au Costa-Rica, un petit pays qui faisait ses débuts dans une aussi grande compétition et qui s'est qualifié pour les huitièmes de finale en gagnant deux matches. En plus, je n'étais venu que pour quelques mois, et en travaillant avec un groupe très jeune et sans le moindre match amical. C'était quelque chose d'unique. Je n'oublie pas non plus les Etats-Unis, un pays qui n'était pas vraiment une grande nation de foot. Et on peut dire qu'on y a laissé une trace, en compagnie des gens avec qui on a travaillé là-bas, puisqu'après le Mondial 94 le football y est devenu plus populaire. Je suis très heureux d'avoir contribué à cela, à cette avancée. Concernant le Nigéria, être sélectionneur en Afrique, c'est toujours une expérience extraordinaire. Malheureusement, on n'a pas pu aller plus loin que les huitièmes de finale. Mais c'était un immense plaisir que de travailler avec des joueurs aussi talentueux. Et pour la Chine…La Chine, qui ne s'est jamais qualifiée, ni avant, ni après moi. J'ai donc été chanceux d'être le directeur technique de la sélection la fois où elle s'est qualifiée pour le Mondial. C'était aussi une histoire de respect avec les joueurs et les dirigeants. Non, tout n'est que réussite. De grandes satisfactions. Et je ne peux pas privilégier une expérience plutôt qu'une autre. Les cinq participations étaient superbes. Et je n'oublie pas aussi mon passage en Irak, avec qui on a joué la Coupe des Confédérations 2009 et où on a fait un bon parcours. Avec toutes ces équipes, il y a eu donc de bons résultats.

Ce n'est pas la peine alors de vous demander s'il y a une édition de Mondial qui vous a laissé des regrets…

Non, je n'ai aucun regret. Même pas pour la Coupe du Monde 2002. La Chine y participait pour la toute première fois. Et je ne veux pas me chercher des excuses, mais il y avait très peu de chances pour qu'on fasse mieux. C'est difficile de bien figurer pour une sélection qui découvre à peine cette compétition. Je suis ravi du parcours que j'ai eu avec cette équipe, avec notamment les qualifications qu'on a réussies. Et ça, les gens en Chine, ne l'oublient pas.

La Coupe du Monde 1998 en France, il y a comme un sentiment d'inachevé. N'est-ce pas ?

Il est en effet logique de se dire que quand tu bats l'Espagne et puis la Bulgarie, tu dois aller plus loin. Mais, il faut reconnaitre aussi que l'équipe danoise, qui nous a battus en huitièmes, nous était simplement supérieure. Mais, là aussi, je ne garde que de bons souvenirs. Je conserve aussi de très bons liens d'amitié avec les joueurs du Nigéria. Et ce sont ces choses-là qui restent pour toujours.

A cette époque, beaucoup de monde disait qu'une sélection africaine allait finir par remporter une Coupe du Monde. Nous sommes en 2018, et cela n'est toujours pas arrivé. Qu'est-ce qui manque aux pays africains pour être champions du monde ?

Pour être champion du monde, il est nécessaire bien sûr d'avoir une bonne équipe, mais c'est surtout important d'avoir un bon état d'esprit général. Le "Team Spirit", pour reprendre l'expression chère aux Anglais. Il faut aussi qu'il y ait une responsabilisation de tout le monde. Il y a beaucoup de choses nécessaires pour aller au bout dans une compétition aussi relevée : être performant, avoir de l'expérience, un bon coach. Plein de choses peuvent faire la différence. C'est pour ça que je dis toujours que les qualités footballistiques ne suffisent pas. C'est un tout. Il faut que tout soit réuni pour que les joueurs puissent s'exprimer de la meilleure manière. Et ça ne s'acquiert pas au dernier moment. Il faut s'entourer de gens compétents et travailler avec les jeunes en amont. Construire un groupe. Je ne suis pas un expert du football africain, mais je sais que toutes ces choses-là doivent être réunies pour qu'une équipe puisse triompher au plus haut niveau.

Est-ce qu'il y a une équipe nationale, parmi toutes celles que vous avez entrainées, où vous regrettez de ne pas être resté plus longtemps ?

Non, pas vraiment. Le temps que j'ai passé dans chacun des pays, c'est le temps qu'il fallait en fin de compte. Il ne faut pas trop se retourner. Par exemple, avec le Costa Rica, je ne suis resté que 90 jours. Et cela a suffi. Il s'est passé à chaque fois ce qui devait se passer. Et j'ai parfaitement profité du temps que j'ai passé à la tête de chacune de ces sélections.

Durant votre longue carrière, quel est le plus beau compliment que vous ayez reçu ?

Le plus beau compliment ? Un compliment, je ne sais pas. Mais il y a plutôt une situation qui me remplit de fierté. C'est quand au bout de nombreuses années, je rencontre un des joueurs que j'ai dirigé, que ça se fait dans le plus grand respect et qu'il m'appelle "mon coach". Quand j'entends ça après tant de temps passé, ça m'est très agréable.

Le Mexique, le Nigeria et le Costa-Rica participent à la Coupe du Monde cette année. Laquelle de ces sélections a le plus de chances d'aller loin ?

C'est facile d'en parler, mais il y aura la vérité du terrain et il se peut qu'elle soit différente. Il y a le Mexique, qui est une sélection de qualité, et qui a certainement des chances de passer. Ça va se jouer sur de petites choses. Par rapport au calendrier, ils ne sont pas vraiment avantagés. Ils jouent leur premier match contre l'Allemagne. C'est un groupe difficile, surtout qu'il y a la Suède, dont le style de jeu est totalement différent. Concernant le Costa-Rica, ils sont tombés dans le groupe de la Serbie. Et moi je suis serbe et je reste donc avant tout supporter de mon pays (rires). De toute façon, leur tâche à tous les deux sera compliquée car ils sont avec le Brésil. Et il y a aussi avec eux la Suisse de Vladimir Petkovic, qui est, lui aussi, issu de l'école yougoslave. Enfin, vous avez le Nigeria, qui a été reversée dans la poule de l'Argentine, de la Croatie et de l'Islande. Je pense que de mes trois anciennes équipes, c'est celle-là qui a le plus de chances d'avancer.

Les Etats-Unis ne jouent pas la Coupe du Monde ? Vous, vous connaissez ce pays puisque vous avez entrainé quatre années là-bas. N'est-ce pas un inquiétant pas en arrière pour eux ?

Il faut leur demander à eux. Je ne suis pas bien placé pour en parler. Et évoquer le travail des autres, ce n'est pas vraiment ma manière de fonctionner.

Vous avez entrainé dans de nombreux pays, mais vous n'avez jamais coaché chez vous en Yougoslavie, et en Serbie. Est-ce que cela laisse un petit vide ?

Oh, vous savez, je suis parti très jeune de mon pays. Et je suis conscient et aussi reconnaissant de toutes les choses que j'ai apprises. J'ai joué avec la sélection nationale B de la Yougoslavie. Et je n'oublie que le Partizan Belgrade, c'était mon équipe. C'était même mon premier amour. Le destin m'a emmené vers d'autres directions. Mais je reste serbe et fier de l'être. Et puis, mon frère Milos était sélectionneur de la Yougoslavie lors des qualifications pour la Coupe du Monde 1986. Un Milutinovc comme sélectionneur c'était suffisant pour notre famille (rires).

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"J'ai entraîné huit pays différents. C'est comme un rêve. Que demander de plus ?"


Est-ce qu'un appel de la fédération serbe pourrait vous faire sortir de votre retraite ?

Vous savez, je reste le premier supporter de cette sélection. Et c'est normal car c'est mon pays. Après, on dit qu'il ne faut jamais dire jamais. Mais c'est difficile d'imaginer que quelqu'un ait l'idée de parler à Bora à cet âge-là.

Quelles sont vos sélections favorites pour la Coupe du Monde ?

Les favoris restent les mêmes, à chaque édition. Il y a beaucoup d'équipes qui rêvent d'être championnes du monde. En Amérique du Sud, on pourrait citer le Brésil et l'Argentine, même si les Argentins n'ont pas fait un très grand parcours qualificatif. Ils ont un joueur extraordinaire qu'est Lionel Messi. En Europe, vous avez la France, l'Allemagne et l'Espagne. Je pense que ces cinq sélections-là vont concourir pour le titre. J'aimerais qu'il y ait une surprise, mais ça sera difficile.

Vous avez joué en France pendant cinq ans. Y avez-vous gardé beaucoup d'amis ?

De cette période-là, pas vraiment. À l'époque, il n'y avait pas autant de liens et de contacts entre les gens du football. C'était légèrement différent. Mais, c'est sûr que je garde beaucoup de sympathie et d'amitié envers les gens de France.

Avez-vous eu durant votre carrière la possibilité d'entraîner en France ?

Jamais. Aucune proposition. Mais bon, j'étais loin, au Mexique. Et puis les expériences dans de différentes sélections nationales se sont enchaînées. Malheureusement, je n'ai donc pas eu l'occasion de coacher en France. Cela dit, je continue de suivre avec attention les résultats de mes anciennes équipes comme l'AS Monaco ou l'OGC Nice.

Et n'y-a-t-il pas un regret de ne pas avoir entraîné un grand club européen durant votre parcours ?

De mémoire, je n'ai vraiment aucun regret. Parce que les équipes que j'ai entraînées, ont réussi de grands résultats. Entraîner un grand club, ça aurait été bien oui, mais je suis très content de ce qu'a été mon parcours. Avoir coaché toutes ces sélections nationales, participé à autant de Coupes du Monde…Je suis même fier de mes expériences au Honduras, en Jamaïque et en Irak. J'ai entraîné huit pays, et c'est comme un rêve. Je ne peux pas demander plus.

Propos recueillis par Naïm Beneddra

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